Chapitre 1: Etats, territoires, cultures et sociétés

Introduction

Comme l'écrit Jean-Pierre Dozon dans son livre Afrique en présence (éditions de la maison des sciences de l'homme, 2015) “A propos de l'Afrique, il se dit dit tout et le contraire de tout.” Notamment, l'accent est le plus souvent sur un certain nombre de problèmes avec “une certaine actualité africaine depuis deux bonnes décennies, faite de guerres civiles, d'aides humanitaires aux populations réfugiées, d'une multitude de migrants (....) ou faite tout simplement de statistiques indiquant l'importance de la pauvreté et de la mortalité infantile comme l'entremêlement d'endémies chroniques anciennes (paludisme) et d'épidémies nouvelles (VIH, Ebola...).” Le continent africain est souvent vu sous le prisme de la misère, du retard de développement même si le continent n’est pas que cela. 
Comme le souligne l’éditorial de la revue Questions internationales (La Nouvelle Afrique, 2018), « les représentations de l’Afrique-surtout de l’Afrique subsaharienne- ont véhiculé les seules images de la désolation, des guerres civiles, des sécheresses et des famines. Désormais, ce sont les images d’un territoire en émergence, ouvert à la mondialisation qui le sont le plus souvent associées au continent. » Nous aurions ainsi et probablement que partiellement changé de paradigme en passant d’une Afrique du désespoir à une Afrique nouvelle davantage connectée au monde. 
L’ Afrique suscite des préjugés et clichés nombreux avec une Afrique « fantasmée ou rêvée » (Atlas des Afriques : Le Monde Hors-Série 2020). On pense souvent à une Afrique longuement colonisée hors l’histoire de l’Afrique est ancienne et ne se limite à la phase de la colonisation. On perçoit aussi l’Afrique comme étant toujours sous « perfusion » ayant besoin d’une aide constante avec l’idée que « l’Afrique vit de l’aide internationale »(Atlas des Afriques : Le Monde Hors-Série 2020) sans oublier une Afrique peinant tant à se développer qu’elle « sera toujours économiquement très en retard ». S’ajoutent bien d’autres idées préconçues avec une Afrique trop peuplée et dont les populations migrent ; des Etats africains qui ne seraient pas aptes à la démocratie... 
Dès 1962, René Dumont dans son livre L'Afrique noire est mal partie questionnait la problématique du développement d'états devenus récemment indépendants. Philippe Hugon et Jean-Christophe Servant dans Géopolitique de l’Afrique (éditions Eyrolles 2020) reprennent la question : « L’Afrique subsaharienne est-elle bien ou mal partie ? » ajoutant « Est-elle actrice ou figurante d’un monde multipolaire ? » On évoque souvent au sujet de l’Afrique subsaharienne un afro-pessimisme. 
Or depuis quelques années, « le regard sur le continent s’est dessillé depuis le tournant des années 2000. D’un coup de balance, il est passé, sans coup férir, de l’afro- pessimisme à l’afro-pessimisme. »
 Certains spécialistes depuis quelques années évoquent le temps de l'Afrique comme Jean-Michel Severino et Olivier Ray(livre: Le temps de l'Afrique paru en 2010) ou encore des revues comme la revue Books de mai 2010 titrant: “Quand l'Afrique s'éveille” ou la revue Géo de septembre 2019 avec le titre: “Afrique. Le réveil d'un continent”. 
Géraud Magrin, Alain Dubresson et Olivier Ninot se demandent si le continent n’émerge pas (Atlas de l’ Afrique, un continent émergent ? Éditions Autrement, 2016). Incontestablement, l’Afrique subsaharienne connaît des transformations importantes qu’elles soient sociales ou économiques. Le continent africain n’est pas figé dans un mal développement récurrent : il connaît des dynamiques le transformant.
 L'Afrique, c'est donc des images et représentations pouvant être contradictoires avec des Etats connaissant des trajectoires différentes notamment dans l’insertion dans la mondialisation. 
Comme l’écrivent Géraud Magrin, Alain Dubresson et Olivier Ninot « s’interroger sur l’Afrique implique d’intégrer sa diversité tout en échappant aux clichés afro- pessimiste et afro-pessimiste. »
 L’Afrique et les Etats la composant ont donc des trajectoires avec des « bifurcations » avec des Etats qui « s’inscrivent dans les logiques de l’émergence (Afrique du Sud, Maroc), quand d’autres s’enfoncent dans des spirales tragiques d’anomie politique et de pauvreté (République centrafricaine, Somalie). »
 L' Afrique est en fait plurielle ou comme l'affirme Philippe Hugon (Afriques, entre puissance et vulnérabilité, Armand Colin, 2016), “l'Afrique est une et plurielle” et son analyse doit se faire à différentes échelles: des régions aux états en passant par les villes. Définitions géographiques : Pour l'Afrique, la définition géographique est simple : elle est un continent avec au Nord la Méditerranée et au Sud le Cap, à l'Ouest l'océan atlantique et à l' Est l'océan indien. On peut différencier deux ensembles assez distinctement “séparé” par le Sahara à savoir l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne. 
Jean-Fabien Steck dans la revue de la Documentation française: L'Afrique subsaharienne (janvier-février 2018) rappelle qu'on ne peut considérer le Sahara “uniquement comme une coupure, alors qu'il est aussi, d'une certaine manière, une synapse”. En effet, ce Sahara a toujours été traversé par des routes commerciales et des échanges: il n'est pas un lieu clos. 
Les géographes distinguent plusieurs Afriques aux caractéristiques différentes: l'Afrique septentrionale (Afrique du Nord) composée du Maghreb (du Maroc à l'Egypte) puis l'ensemble formé par le Sahara et la zone sahélienne. 
A l 'Est, la corne de l'Afrique se caractérise notamment par des hauts plateaux et une forte activité volcanique et sismique. Le “coeur de l'Afrique” correspond à l'Afrique équatoriale et des grands lacs. 
Enfin plus au sud, l'Afrique australe sans oublier une île spécifique: Madagascar. L'ONU a notamment opéré un découpage régional de l'Afrique différenciant l'Afrique septentrionale du Maroc à l'Egypte et au Soudan (mais sans la Mauritanie), l'Afrique occidentale de la Mauritanie au Niger et au Nigeria, l'Afrique centrale du Tchad, Cameroun jusqu'en Angola et République centrafricaine et RDC, l'Afrique orientale du Soudan du Sud à la Somalie jusqu'au Mozambique (y compris Madagascar) et une Afrique australe comprenant la Namibie, le Botswana, l'Afrique du sud, le Swaziland et le Lesotho. Comme le dit Jean-Fabien Steck , ces découpages sont “problématiques” (comme tous les découpages géographiques d'ailleurs). 
Il faut en effet insister sur le fait que quelque soit le découpage retenu, les différents états et territoires entretiennent des liens, ont des échanges. “ L'Afrique est une et plurielle” comme le dit P.Hugon y compris au niveau géographique. On ne peut réduire l'Afrique à une essence, un espace homogène (L’Afrique n’est pas un pays!)

1/ Les cadres géographiques : les déterminants géographiques des espaces africains


A/ Les contraintes et atouts géographiques et environnementales 

 La superficie de l'Afrique est de plus de 30 millions de km carré (30 415 873 km carré) soit 22,5% des terres émergées donc trois fois la superficie de l'Europe avec de plus 30 000 km de littoraux: l'Afrique est de ce fait un continent géant. Ce continent s'étend du Nord au Sud sur près de 8000 kms et d'Est en Ouest (des îles du Cap Vert à la Somalie sur 7400kms). Ces dimensions importantes vont conférer à ce continent une certaine diversité des milieux et territoires. L'Afrique est aussi constituée d'importants plateaux mais les zones de montagnes élevées sont globalement peu importantes hormis le cas de l' Ethiopie, un pays qui comte la plupart des hautes plateaux africains dont l'altitude est supérieure à 2000m. Les géographes distinguent plusieurs Afriques: une Afrique soudano-sahélienne, une Afrique occidentale marquée par l'humidité, une Afrique australe en partie semi-aride. 
Parallèlement, on peut repérer deux grands ensembles assez densément peuplés: l'Afrique occidentale entre la zone sahélienne et l'océan Atlantique et les territoires compris entre l'Erythrée et l'Afrique australe. Enfin, il faut ajouter qu'il faut éviter ce qu'on nomme le déterminisme géographique pour expliquer le retard de développement: les contraintes n'expliquent pas tout. 

 a/ Des contraintes parfois fortes 

  • Le continent africain est lui aussi marqué par des contraintes fortes pour certaines proches de celles du Moyen-Orient. -Du Sahara au désert du Namib: le poids des déserts... Dans certaines parties du continent, les déserts et l'aridité sont out aussi prégnants. Ainsi, le Sahara occupe une place essentielle sur une partie notable de l'Afrique. Sa superficie atteint 8 millions 600 000 km carré et il s'étend de l'Océan Atlantique à la mer Rouge.
  • Il recouvre donc des étendues très importantes et fait partie du “paysage” de plusieurs états : Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, Soudan, Mali, Tchad, Niger et Tchad. Il fait partie de la diagonale aride allant jusqu'en Afghanistan. Il faut souligner qu'il est une séparation avec l'Afrique dite subsaharienne: une séparation d'environ 3000 kms. Il existe une autre zone désertique d'importance en Afrique: le désert du Namib, un désert littoral étonnant. Sa superficie est de plus de 80 000 km carré: il n'a donc pas la dimension du Sahara. Il faut ajouter à ces déserts des espaces dits semi-arides présents dans la corne de l'Afrique (Somalie, Ethiopie...). Ce type d'espaces correspond à 90% du territoire mauritanien ou algérien. Tout comme au Moyen-Orient, l'aridité joue de ce fait un rôle important pour certains états et territoires. 

 -le problème de l’enclavement 

  • L' Afrique comporte aussi des zones enclavées et à l'accès difficile. Un certain nombre d'états n'ont pas accès à la mer comme le Mali, le Niger, le Tchad, la République centrafricaine... Certains sont mêmes enclavés à l’intérieur d’un Etat comme le Lesotho ou le Swaziland (enclaves en Afrique du Sud). C’est sur le continent africain que se trouve le plus grand nombre d’Etats enclavés avec 15 Etats concernés : Botswana, Burkina, Burundi, Ethiopie, Lesotho, Malawi, Mali, Niger, Ouganda, Centrafrique, Rwanda, Swaziland, Tchad, Zambie et Zimbabwe. Le problème de cet enclavement est que les Etats concernés sont à l’écart des réseaux mondiaux. 
  • Comme l’écrit Olivier Hartmann (revue Afrique contemporaine, 2010), « comment les pays enclavés s’articulent à la mondialisation ? » Les stratégies de développement de ces Etats enclavés sont liés à l’essor des échanges, un essor qui suppose des connexions au monde et aux réseaux de communication. Si l’on prend l’exemple de l’Afrique de l’Ouest, trois pays sont enclavés : Le Mali, le Niger et le Burkina-Faso qui sont membres d’ailleurs d’une union régionale : l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Dans ces pays et en lien avec l’intégration régionale, les dirigeants tentent de développer des « corridors de transport » pour faciliter les échanges des pays enclavés. Plusieurs territoires sont également d'accès difficiles soit par la présence du désert soit par la présence de montagnes ou de forêts équatoriales comme les hauts plateaux éthiopiens. Ces territoires contraignants supposent donc des aménagements afin de pouvoir les aménager, les exploiter et là aussi faciliter les échanges et le commerce. 

 -L’impact du réchauffement climatique : une Afrique au premier plan

  •  Le continent africain est particulièrement concerné et exposé au changement climatique sachant qu’il est le continent qui est le moins pollueur au monde (le niveau de pollution étant lié au niveau de développement). Pourtant c’est le continent « le plus vulnérable au réchauffement climatique » (Atlas de l’Afrique, Agence française de développement, 2020). La zone sahélienne est particulièrement affectée par les effets du réchauffement climatique. 

b/ Mais aussi des atouts 

L' Afrique ne se limite pas à des déserts ou à des contraintes fortes. Plusieurs états ont des façades maritimes, des atouts comme la présence de fleuves et des précipitations suffisantes 

 -Les ouvertures et façades maritimes

  • L'Afrique et plusieurs de ses états ont des littoraux et accès à l'Océan atlantique ou Indien. Ces littoraux et façades maritimes sont bien entendu des atouts pour les échanges et le commerce dans le cadre d’une économie mondiale maritimisée. La Tanzanie, le Mozambique ont accès à l'océan Indien et leurs littoraux sont utilisés depuis fort longtemps (îles de Zanzibar pour le commerce au Moyen-Age). Il faut rappeler que les contacts avec les Européens puis la pénétration européenne se sont faits par ces littoraux. Aujourd'hui, dans une économie globalisée et où les échanges sont surtout maritimes, ils sont un point d'appui intéressant pour le développement d’où la nécessité de développer les ports et infrastructures portuaires (voir plus bas). 

 -l' Afrique des fleuves et des grands lacs

  • L' Afrique des grands lacs (Ouganda, Tanzanie, Rwanda, Burundi...) et l'Afrique équatoriale bénéficient de la présence de l'eau. Plusieurs fleuves jouent également un rôle crucial dans le développement économique et les échanges: c'est le cas du Nil qui traverse notamment l' Ethiopie et le Soudan, du fleuve Niger (Mali, Niger, Bénin...), du fleuve Congo ou du fleuve Sénégal (Sénégal, Guinée , Mali...). Ils sont à la fois des axes de pénétration, de développement et d'urbanisation. Une partie de l'Afrique se compose donc de vastes bassins fluviaux comme le bassin du Niger, celui du Chari-Tchad, du fleuve Congo ou encore le bassin du Zambèze. Il faut souligner que le réseau hydrographique a favorisé la circulation des hommes. 

B/ Des ressources importantes : des territoires riches

Les territoires africains du moins certains ont des ressources et des potentialités importantes. Les ressources naturelles peuvent être importantes : ressources minérales, ressources en hydrocarbures, ressources en terres. Ces ressources peuvent être vues comme une opportunité pour les Etats africains mais aussi comme un problème à telle enseigne qu’on évoque une malédiction des ressources. 

 a/ Les ressources, un vecteur de développement 

-des ressources minérales et en hydrocarbures

  • L'Afrique possède d'importantes ressources en minerais qui sont d'ailleurs l'objet depuis longtemps de convoitises tant des puissances occidentales que la Chine (depuis quelques années). « L’Afrique subsaharienne est perçue comme « potentiellement » riche, censée « regorger » de ressources naturelles et de matières premières de toutes sortes. » (Roland Pourtier : revue Questions internationales : La nouvelle Afrique, 2018). Les matières premières jouent ainsi un rôle important dans les économies africaines du moins pour certaines économies. Il faut aussi souligner que l’Afrique « a connu depuis l’an 2000 un véritable boom extractif » (Atlas de l’Afrique, un continent émergent, 2018). Mais, comme le souligne Laurence Caramel dans un article de l’Atlas des Afriques (2020), « abondance de ressources est parfois nuisible. » L’Afrique possède des ressources certes mais les populations en tirent peu de bénéfices. 
  • Ces ressources et leur exploitation peuvent être anciennes comme l'or de Guinée qui était échangé dès l'Antiquité et dont les flux atteignaient la Méditerranée. Face à la richesse en minerais, un géologue belge, Cornet parlait d'un “scandale géologique” à la fin du XIXe siècle. Tous minerais confondus, elle possède un tiers des réserves mondiales dont 89 % pour le platine, 61% pour le manganèse, 60% pour le cobalt: des minerais nécessaires soit pour l'industrie automobile ou la Sidérurgie. Les ressources en diamant et en or sont évaluées respectivement à 75 et 40% des réserves mondiales. Certes, l'Afrique représente encore une part assez faible dans le commerce des minerais : 4% pour le fer, 11% pour la bauxite, 5,5% pour le Nickel mais les réserves montrent que son potentiel est remarquable. Certains états sont bien pourvus comme la République démocratique du Congo perçu comme un “paradis” pour ses ressources : manganèse, cuivre (2e réserve mondiale avec 10% des réserves), cobalt (50% des réserves mondiales et 1er rang mondial pour la production),20% de la production mondiale de diamants, fer, or... 
  • La Mauritanie a d'importants gisements de fer, le Niger des mines d'uranium (4e producteur mondial d’uranium :mines d'Arlit) pouvant lui permettre de devenir à terme le second producteur mondial derrière le Canada, la Zambie est le 7e producteur mondial de Cuivre.... L'Afrique du Sud assure 80% de la production mondiale de platine, 42% du chrome, 16% du manganèse... : c'est le type même du pays minier. 
  • L'Afrique subsaharienne est aussi productrice de pétrole notamment avec le pétrole du golfe de Guinée avec des états comme le Nigeria, l'Angola, le Gabon mais aussi le Soudan, la Guinée équatoriale, le Tchad... 
  • Certes, l'Afrique subsaharienne n'est pas un producteur majeur de pétrole (environ 7% de la production mondiale) mais c'est une ressource non négligeable pour plusieurs états.La difficulté pour ces états n'est pas d'avoir de telles ressources, c'est de contrôler l'exploitation et d'en tirer de véritables bénéfices. Pour les Etats ces ressources sont fondamentales car les recettes de ces Etats dépendent des exportations de matières premières qui, soulignons-le ne sont pas transformées le plus souvent dans les Etats africains mêmes. Dans un pays comme la Zambie, 80 % des revenus d’exportation sont fondés sur le cuivre. 
  • L' Afrique y compris l’Afrique du Nord peut compter sur des ressources en hydrocarbures (pétrole et gaz naturel). L' Algérie, le Nigeria, le Gabon, ou l'Angola sont également des producteurs majeurs: il existe bien comme le dit Roland Pourtier une “Afrique du pétrole”. En ce qui concerne le gaz naturel, l'Iran, le Qatar, l'Arabie saoudite figurent parmi les producteurs les plus importants. L' Algérie est quant à elle le 10e producteur mondial de gaz naturel. Plusieurs états ont par le biais des ressources en hydrocarbures et/ou en gaz naturel des atouts notables devant en théorie faciliter le développement. Le golfe de Guinée joue un rôle important puisque la production de pétrole en Afrique subsaharienne se concentre fortement dans cette région. La région du golfe de Guinée a émergé au niveau de la production de pétrole dans les années 1960 avec un démarrage de cette production en Angola en 1956, au Gabon en 1957, en 1958 au Nigeria... 
  • D'autres pays se joints avec la mise en exploitation de nouveaux gisements comme le Cameroun (à partir de 1978) ou plus récemment la Guinée équatoriale (à partir de 1994). Il faut souligner l'importance de l'exploitation off-shore du pétrole du golfe de Guinée. De nouveaux gisements ont été découverts et mis en exploitations dans les années 2000 comme l'illustre le projet de Moho par le Congo (au large de Pointe-Noire), un projet auquel participent Total (pour 53%), le géant américain Chevron (31,5%) et la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC: 15%). La capacité de production est évaluée à 100 000 barils par jour et pourrait permettre au Congo de devenir le 3e producteur de pétrole en Afrique subsaharienne derrière le Nigeria et l'Angola. 
  • Dans le même ordre d'idée, un nouveau gisement vient d'être découvert au Gabon à Dussafu. Le pétrole est pour ces états africains une opportunité très intéressante même si l’ Afrique et les états africains restent des producteurs modestes en comparaison des états du Golfe perso-arabique. Cette modestie n'empêche pas que le pétrole représente un enjeu important notamment pour les puissances majeures: Chine, France, E-U, Royaume-Uni tout en pouvant être un levier pour le développement des états producteurs.

- avec des Etats et territoires à fort potentiel ?

  • Plusieurs territoires africains ont ainsi un fort potentiel mais se pose la question : « d’importantes ressources naturelles : pour qui ? Pour quoi ? (Atlas de l’Afrique, AFD 2020).D’abord, les différentes ressources qu’elles soient minérales, en hydrocarbures représentent une part notable des économies que pour une petite partie des Etats africains. La part de ces ressources dans le PIB est supérieur à 20 % du PIB que dans 10 Etats africains (sur 54 Etats) notamment au Nigeria, au Soudan, en RDC, en Angola, au Niger...Parallèlement, 25 Etats africains sont des pays riches ou pouvant être considérés comme tels en ressources naturelles. On s’aperçoit également d’un fait très intéressant : les pays les moins dépendants en Afrique de leurs ressources sont les pays économiquement les plus dynamiques (Maurice, Sénégal, Maroc notamment). Roland Pourtier met en évidence « une géographie renouvelée des ressources du sous-sol » (Revue Questions internationales, 2020).De nouvelles zones pétrolières sont mises en exploitation avec de ce fait de nouveaux pays producteurs de pétrole comme le Ghana, la Mauritanie... 
  • Dans l’espace saharo-sahélien, on note une « ruée vers l’or » (L’Afrique subsaharienne représente le quart de la production aurifère mondiale). Ainsi, l’or représente 70 % des recettes d’exportation d’un pays comme le Mali.Cette « ruée vers l’or » est très vrai au Soudan avec une production qui est passée de 2 tonnes en 2010 à 82 tonnes en 2016. Une autre ressource est intéressante : le gaz que certains perçoivent comme « une nouvelle frontière » (Roland Pourtier). 
  • Au large du Sénégal et de la Mauritanie se trouve un important gisement gazier off-shore (le champ dit Tortue). Un Etat comme le Mozambique semble être un pays d’avenir au niveau du gaz avec notamment le champ off-shore de Coral qui va être exploité par la firme italienne ENI. Ce qui est certain c’est que l’Afrique a connu et connaît « une ruée sur les ressources » (Atlas de l’Afrique, un continent émergent ?) C’est ce boom qui peut expliquer (au moins en partie) les taux de croissance élevés de certains Etats (Angola par exemple).

b/ suscitant des convoitises fortes

Aux ressources évoquées s'ajoutent des potentialités réelles à d'autres niveaux: pour les terres à exploiter ou pour les littoraux à aménager.

-la convoitise des terres (land grabbing)

  • Des terres à exploiter sont de plus en plus recherchées: l'Afrique offre à cet égard des perspectives. L’accaparement des terres en Afrique se poursuit. Plusieurs états et investisseurs privés sont à la recherche de terres à acheter en Afrique: Chine, Corée du Sud, Emirats du Golfe... Entre 2000 et 2010, selon le Land matrix project, 203 millions d'hectares de terres ont été achetées (land grabbing) par des investisseurs étrangers (8 fois la superficie (5% de l'espace cultivable). Environ 60% des transactions dans le monde au sujet des terres s'opèrent en Afrique. Les terres africaines sont donc convoitées, l'Afrique étant de venu un enjeu de ce que certains nomment le “monopoly foncier”. Les pays concernés par ces achats sont surtout la République démocratique du Congo, l'Ethiopie, le Soudan, Madagascar, le Mozambique...
  • La Chine achète des terres en RDC plus de 2 millions d’hectares de terres (pour l’huile de palme). La faiblesse du coût des terres en Afrique peut expliquer ce land grabbing. Ainsi, en 2012 un hectare de terre coûtait deux $ en Sierra Leone ou 6,75 $ en Ethiopie contre environ 6000 $ au Brésil. Ces achats de terres montrent qu'il existe un potentiel à exploiter. Par contre, pour les états africains, ils peuvent être une menace pour leur propre sécurité alimentaire et leur souveraineté. On peut même évoquer une nouvelle forme de colonisation par ce biais de l’accaparement des terres.

-des littoraux à aménager

  • Les littoraux sont aussi des espaces convoités: ils sont en effet les plus concernés par la globalisation. Plusieurs projets d'aménagement sont réalisés ou en cours de réalisation comme le montre le cas du Maroc avec la zone industrialo-portuaire de Tanger-Tétouan (2e pôle économique du Maroc) ou le plan azur consistant à créer plusieurs stations balnéaires afin de pouvoir accueillir 10 millions de touristes. 
  • L'aménagement des littoraux des Emirats arabes unis comme à Dubaï est un autre exemple des possibilités qu'ils offrent et de l'attrait qu'ils suscitent.

2/ Les héritages historiques et culturels: des clés de compréhension indispensables



A/ L'Afrique : des héritages multiples

Pour quelles raisons le passé de l’Afrique a t-il été occulté? Que révèle cette occultation de la perception du continent ? Quels sont les héritages essentiels ? Le continent africain est un continent de grande diversité tant au niveau historique que culturel avec des héritages multiples. 

 a/ Une Afrique oubliée et négligée : l’Afrique d’avant le processus de colonisation

  • L' Afrique a eu une histoire avant l'islam et la colonisation européenne: elle n'était pas ce que certains ont longtemps cru et affirmé à savoir un continent à l'écart de l’histoire y compris à l'écart du processus civilisationnel. L'histoire de l'Afrique ne débute pas avec la découverte et la colonisation du continent par les Européens comme ces derniers l'ont longtemps affirmé. Trop longtemps, l'histoire de l'Afrique a été résumée à ses liens avec l'Europe. Il y a eu en Afrique bien avant l’arrivée des Européens des royaumes et des Empires. 
  • De plus, dans un registre un peu différent, les anthropologues et ethnologues européens ont voulu rechercher les permanences des sociétés africaines avec une quête d'informations sur les différentes tribus et en voulant mettre en évidence les notions soit de primitivité soit d'évolution ou encore en analysant ces sociétés selon le schéma tradition et modernité comme si la réalité se résumait à un schéma binaire. Comme l'affirme Philippe Hugon, il y a des “legs pré-coloniaux”: tout ne peut s'expliquer par la colonisation. Les réalités africaines sont fortes avec aussi des histoires différenciées selon les régions. 

-L’Afrique du Nord avant l’islam : quelle histoire et quels héritages

  • L' Afrique du Nord (Maghreb) est un espace de peuplement ancien avec une présence humaine remontant à au moins 400 000 ans. Plus récemment (environ 1000 ans avant J-C), des populations nouvelles se sont implantées: les Berbères appelés aussi Numides. Les Berbères sont toujours présents en Afrique du Nord. L' Afrique du Nord est un espace de migrations et d'implantations: la création de Carthage au 9e siècle avant J-C par les Phéniciens en est une illustration. Plus tard, l'Afrique du Nord est contrôlée par les Romains notamment par la création de la province proconsulaire d'Afrique. 
  • Cette partie de l'Afrique devient chrétienne à partir du IIe siècle: Saint-Augustin en est le représentant le plus célèbre. Lorsque l'Empire romain s'effondre, une partie notable de l'Afrique du Nord est conquise par un peuple germanique: les Vandales (ils créent un royaume de 439 à 533 après J-C). 
  • L'héritage antique est toujours présent: site de Volubilis au Maroc (nord du Maroc à proximité de Meknès), site de Tipasa à 70 kms à l'ouest d'Alger, site de Carthage en Tunisie, site de Leptis Magna en Libye (à l'est de Tripoli)... 

 -l'histoire “invisible” de l'Afrique subsaharienne

  • L'histoire de l'Afrique subsaharienne a longtemps été négligée comme si cette partie de l'Afrique n'avait pas eu d'histoire. Or l' Afrique a bien une histoire pré-coloniale même si les traces écrites sont en partie absentes et des héritages pré-coloniaux. En Afrique, les états et Empires sont anciens tout comme les échanges. Certains, comme Cheikh Anta Diop un historien et anthropologue sénégalais (1923-1986), ont rappelé que l'histoire de l'Afrique commençait avec l'Egypte de l'Antiquité, l'Egypte étant effectivement en Afrique. Pour Anta diop, la civilisation égyptienne était profondément africaine. De façon générale, il a toujours insiste sur l'historicité des cultures et peuples africains (voir ses ouvrages comme Nations nègres et culture: de l'Antiquité nègre aux problèmes culturels de l'Afrique noire d'aujourd'hui publié en 1954 ou encore l'Afrique noire précoloniale. 
  • On peut à cet égard rappeler l'importance dans la formation de l'Egypte antique de la Haute-Egypte si proche de ce qu'on appelait la Nubie, cette région du Nord soudan où se forma l'Empire de Koush autour de cités comme Méroé ou Axoum (moins 1085- moins 700 avant J-C) nommé aussi l'Empire des Pharaons noirs. Par la suite la corne de l'Afrique a connu des invasions perses (5e siècle après J-C) puis l'arrivée de l'islam et l'émergence d'une culture spécifique: la culture swahilie. 
  • La Nubie (Soudan actuel) a connu des royaumes chrétiens à partir du 5e siècle après J-C qui deviennent musulmans à partir du 14e siècle. Les sociétés d'Afrique subsaharienne hormis les cas de l'Ethiopie, d'une partie du Sahel (rôle clé de Tombouctou) ne connaissaient pas l'écriture ce qui ne les empêchait pas de commercer. On sait aussi que la plupart des sociétés africaines considéraient la terre comme étant sacrée étant un patrimoine collectif. On note des oppositions également entre éleveurs et agriculteurs, sédentaires et nomades avec des sociétés organisées pour certaines de manière centralisée et d'autres dites segmentées. On peut différencier des Empires (voir ci dessous), des chefferies et des sociétés acéphales (sans direction nette). Des Empires se sont constitués liés à l'expansion de groupes “ethniques “: Empires d'Afrique de l'Ouest comme l'Empire du Ghana au 11e siècle, du Mali au 13e-14e siècle, l'Empire Songhaï (15e-16es). Globalement, on peut mettre en évidence deux zones géographiques où d'importants royaumes et empires se sont formés: l'Ethiopie et l' Afrique sahélo-soudanienne.  Les Empires avaient une organisation politique et économique (liens commerciaux avec les Arabes...).  Certes, ces Empires n'étaient pas toujours clairement délimités: l'Empire du Ghana s'étendait de l'océan Atlantique à Tombouctou. 
  • Autre Empire celui du Monomotapa (fondé au 15e siècle) en Afrique australe en l'occurrence correspondant aux territoires actuels du Zimbabwe et du Mozambique.Le Grand Zimbabwe est une ville à l'organisation remarquable: les ruines actuelles témoignent de son importance avec des constructions monumentales en pierres datées des 13e-16e siècles.Cet Empire du Monomotapa a rayonné sur une partie notable de l'Afrique australe (sur les états actuels du Zimbabwe, Mozambique, Malawi et Zambie). Lorsque les Portugais découvrent cette zone géographique au 16e siècle, l'Empire du Monomotapa est en déclin. Il faut préciser que pendant longtemps notamment pendant la période coloniale et même du temps de la Rhodésie “blanche”, les blancs ne pouvaient imaginer que le site du Grand Zimbabwe pouvait être l' oeuvre de populations noires. L'Empire du Mali fondé au 13e siècle était très présent en Afrique de l'Ouest. 
  • On peut aussi signaler la structuration des états Haoussa à partir du 11e siècle, les royaumes Mossi au Burkina-Faso... L' Afrique occidentale pendant la période médiévale (VIIIe-XIVe siècles) est une Afrique où de nombreux échanges s'effectuent. Des routes dites trans-sahariennes permettent des échanges entre l'Afrique du Nord et le sud du Sahara: des villes comme Tombouctou (Mali), Gao (Mali) ou Agadès (Niger) ont profité de ces échanges. Quant à l'Afrique orientale ou à l'Afrique australe, elles sont également des espaces d'échanges avec les monde arabe, chinois et indien par le biais notamment de l'océan Indien. La ville de Mombasa (Kenya) dès le 14e siècle est une ville portuaire d'échanges tout comme Mogadiscio (Somalie), ville fondée par les Arabes afin de développer le commerce avec l'Est africain. Il est néanmoins important de souligner que de véritables formations politiques se sont développées en Afrique notamment en Afrique centrale comme les Empires Luba et Lunda (Angola actuelle). Il ne faut donc pas s'imaginer l'Afrique comme étant à l'écart des circuits commerciaux. 
  • L'Afrique avant même l'arrivée des blancs et le processus de colonisation a connu des brassages de populations et des mouvements migratoires internes au continent. Ces brassages ont contribué à la formation d'aires ethnolinguistiques. Certaines sociétés contemporaines “demeurent les héritiers des grands Empires du Ghana, du Mali...” (Philippe Hugon). Les sociétés africaines n’étaient pas repliées sur elles-mêmes : elles avaient des contacts avec leur environnement plus ou moins proche. 

 b/ L’islam en Afrique subsaharienne : diffusion et réalité

Les contacts avec l'islam vont en partie changer la donne en Afrique: l'islam va devenir pour certaines régions une dimension incontournable. Une partie de l’Afrique subsaharienne a été islamisée.

-la diffusion et l’essor de l'islam en Afrique : une dimension importante de l’histoire africaine 

  • L'expansion rapide de l'islam concerne notamment l'Afrique du Nord: la Libye, le Maghreb, une zone conquise assez rapidement dès la fin du 7e siècle : en 711-12, l'Afrique du Nord est dominée par les troupes arabo-musulmanes auxquelles se sont joints des Berbères. L'expansion musulmane se poursuit ensuite progressivement. Dès le VIIIe siècle, des populations d'Afrique de l'Est entrent en contact avec l'islam et s'islamise notamment les populations swahilis. Du VIIe siècle au XII e siècle, les côtes d'Afrique orientale sont en liens avec des commerçants arabes qui implantent des comptoirs (entre l'Erythrée et l'Afrique du Sud). Ce processus d'islamisation se réalise en Afrique de l'Ouest par l'intermédiaire des réseaux commerciaux et donc des commerçants arabes ou berbères devenus musulmans. 
  • L'Empire almoravide fondé par des Berbères islamisés au 11e siècle (1056-1147) qui a dominé le Maroc et le sud de l'Espagne a contribué à la diffusion de l'islam en Mauritanie mais aussi jusqu'au Ghana. L'islam est présent dans ce qu'on appelait le Soudan central (Niger, Tchad) et ce dès le 7e siècle, au Mali depuis le 11e siècle. En Afrique de l'Est, le long du littoral de la Somalie jusqu'aux Comores s'est formée une civilisation particulière: la civilisation swahili (le terme signifie le rivage) constituée de populations bantoues converties à l'islam. 

-le développement d’une culture islamo-africaine spécifique 

  • La diffusion et la conversion à l'islam a produit une culture islamo-africaine avec un syncrétisme entre la nouvelle religion et les anciennes croyances et pratiques. Ainsi, on note la forte influence des confréries (confrérie mouride au Sénégal), le rôle du culte des saints (Tombouctou), usage des amulettes... des pratiques aujourd'hui contestées en particulier par les mouvements islamistes. Au niveau de la langue, l'influence de l'arabe est réelle sur les langues africaines notamment par l'apport d'un système graphique à des langues comme le swahili (50% de son vocabulaire est arabe), le haoussa (Niger, Nigeria, Ghana...), le peul... Le droit musulman n'est pas totalement imposé: il coexiste avec le droit coutumier. 
  • L'islam s'est intégré aux cultures africaines (rituels, sacrifice du mouton...) mais n'a pas supprimé les cultures locales. Surtout, pour faire le lien avec l'actualité et avec ce qui pour certains apparaît comme un fait nouveau, on peut rappeler que le jihadisme n'est pas une nouveauté en Afrique. Les racines du jihadisme actuel comme avec Boko Haram se trouvent au 18e-19e siècle avant même l'arrivée des colonisateurs européens. Aux XVIIIe et XIXe siècles s'étaient formés des califats comme celui de Sokoto à partir de 1804 avec des leaders comme Dan Fodio ou El Hadj Omar, un califat auquel Boko Haram fait référence. 
  • On peut signaler que ces califats (Sokoto, Macina...) avaient instauré la charia dans les zones qu'ils contrôlaient. Conclusion: L'actualité des Etats et sociétés africaines ne peut se comprendre et s'analyser dans plusieurs cas qu'en faisant référence à une histoire pré-coloniale. La colonisation et le choc qu'elle a représentée ne peut tout expliquer. L'Afrique n’est pas dépourvue d’une histoire avant l’arrivée des Européens. 

 c/ Une Afrique polyphonique et plurielle

L' Afrique est d'une diversité exceptionnelle que ce soit au niveau des peuples la constituant, des histoires connectant ou non ces peuples ou au niveau culturel (langues, religions). Ce continent est une mosaïque de peuples comme nous allons le voir. Les “matrices culturelles” sont indispensables pour comprendre les Afriques. 

 -la multiplicité des peuples et des histoires

  • Les peuples africains sont nombreux, ont pour certains des histoires connectées. On peut toutefois dégager des convergences. On soulignera dès à présent que les ethnies sont en grande partie le résultat d'un processus historique et une construction des Occidentaux dont la volonté de classification émerge au 19e siècle. Les administrations coloniales ont joué un rôle important dans ce processus (Hutus et Tutsis au Rwanda...). L'Afrique est une “mosaïque” de peuples et de sociétés (environ 850). Ces peuples et sociétés obéissent à des logiques différentes dans leurs organisations sociales avec des sociétés pouvant être très fragmentées ou au contraire très centralisées.
  •  Le pouvoir n'est pas exercé de la même façon selon le type de société, ces peuples n'obéissent aux logiques des frontières et l'idée d'un état-nation est étrangère à ces sociétés et peuples (jusqu'à l'arrivée des Européens). Plusieurs de ces sociétés ne relèvent pas de l'état (société sans état) étant des groupes organisés autour de la famille (patriarcale) et de clans. Dans les sociétés plus centralisées, on retrouve des stratifications sociales plus fortes avec des ordres et des castes aux fonctions identifiées. Il faut mettre l'accent sur le fait que le concept d'ethnie pour reprendre Catherine Coquery-Vidrovitch est un concept “mouvant, fluctuant et insaisissable”. 
  • La liste des peuples étant trop longue à dresser, certains anthropologues ont mis l'accent soit sur des groupes dominants soit sur des classements et localisation en aires géographiques (Afrique de l'Est, Afrique australe...).
  •  On peut ainsi identifier pour l'Afrique du Nord des peuples Berbères, Kabyles puis Arabes arrivés plus tardivement. Plus au Sud, les peuples liés au Sahara: Touaregs, Toubous (peuple du Tchad), Peuls (peuple nomade)... 
  • En Afrique de l'Ouest, les peuples Mandingues (dont les Soninké), Sénoufo (Côte d'Ivoire et Mali), Mossi (Burkina Faso) ou Akans (dont les Ashantis au Ghana) occupent une place importante tout comme les peuples Bantous (locuteurs de langues bantoues environ 450 langues dont les peuples Zoulou, Kongo). Ces peuples ont des histoires connectées car certains sont nomades comme les Peuls et plusieurs peuples ont migré sur le continent. La proximité de nombreuses langues confirment ces mouvements migratoires. 

 - une mosaïque culturelle exceptionnelle 

  • De façon générale, il existe des cultures africaines ayant des référents pouvant être communs mais aussi très différents. Ces cultures africaines ont de plus été en contact avec d'autres cultures: arabo-musulmane, européenne dont elles ont été imprégnées. La mosaïque linguistique est considérable à tel point qu'on peut utiliser l'expression de babel africaine: 1500 à 2000 d'importance très variable soit un tiers approximativement des langues de la planète sachant que 300 langues ont moins de 10 000 locuteurs. Dès lors, la fragmentation linguistique est considérable ce qui peut expliquer que les langes des anciens colonisateurs comme le français, l'anglais, le portugais servent en tant que langues de communication tout comme dans certains l'arabe. On constate que souvent les élites des états africains sont bilingues car maîtrisant la langue de communication et un des langues nationales. Il existe des dizaines de langues dites bantoues. On retrouve cette mosaïque dans certains états: 27 langues en Afrique du Sud, 41 en Angola, 60 au Congo... Les langues vernaculaires (langues parlées au sein d'une communauté) ont néanmoins été classées en grandes familles pour plus de commodité: langues éthiopiennes (amharique, tigréen...), couchitiques, tchadiennes, nilo- saharienne, nigéro-congolaise, khoïsane...
  •  Il existe également des langues véhiculaires permettant à des peuples différents de communiquer: haoussa en Afrique de l'Ouest, Swahili en Afrique orientale... A ces langues, il faut greffer les langues de états colonisateurs: français, anglais, portugais...
  •  On peut néanmoins évoquer de grandes aires linguistiques: aire bantou (entre 450 et 600 langues), aire somali...Les spécialistes distinguent cinq souches (ou phylums) majeures (voir le livre de Jean-Claude Bruneau: l'Afrique continent pluriel). La première souche est nommée souche afro-asiatique avec un grand étalement géographique: elle comprend une langue sémitique qui est l'arabe parlé au Sahara, dans la vallée du Nil mais aussi les langues dites tchadiques parlées au Tchad ou encore d'autres langues sémitiques comme en Ethiopie ou les langues couchitiques dans la corne de l'Afrique (Somalie...). Seconde souche: la souche nigero- kordofan avec des langues dites atlantiques dont le mandé, voltaïques et guinéennes implantées entre Sahel et Golfe de Guinée sans oublier les langues bantoues.
  •  La troisième souche se compose des langues songhaï (boucle du Niger), nubiennes (moyen-Nil), les langues chari de la zone des grands lacs... La 4e souche est le khoïsan parlée par moins de 350 000 individus, un type de langue très particulier dont les “Bushmen” sont parmi les derniers représentants. Enfin, il existe une souche austronésienne avec une forme de malais parlé à Madagascar (17 millions de locuteurs). 
  • Diversité linguistique mais aussi diversité religieuse. Le religieux et les religions jouent un rôle important en Afrique. Les religions mais ce n'est pas spécifique à l'Afrique sont des éléments des mémoires mais aussi des éléments centraux des représentations mentales et symboliques. Bien entendu, elles peuvent être instrumentalisées par les pouvoirs politiques. 
  • Les religions traditionnelles ou animistes (les religions dites de l'oralité) sont toujours présentes reposant sur le culte des ancêtres, la présence et l'influence des esprits, le poids de la sorcellerie et des féticheurs, guérisseurs... ce sont des religions fondées sur l'oralité. Le culte des ancêtres s'avère très important.Dans des états comme le Mali, le Bénin et bien d'autres, ces religions ont une influence certaine. La présence de l'islam est importante (Afrique du Nord + Afrique sahélienne) : un islam à grande dominante sunnite (1 africain sur 3 est musulman): un islam clivé entre l'islam des confréries (confrérie mouride au Sénégal) et un islam plus radicalisé. L'islam est présent depuis longtemps en Afrique avec un islam de cour mais s'est fortement développé au 19e siècle et poursuit son développement actuellement. Les confréries jouent dans les sociétés un rôle important comme les confréries Sammaniya et Khatmiya au Soudan à partir du 19e siècle. 
  • Il existe également dans cet islam africain, un djihadisme depuis le 19e siècle avec Usmane Fodio (1754-1817) qui avait fondé dans le nord du Nigeria et du Cameroun le califat de Sokoto (un califat qui sert actuellement de référence à Boko Haram). En Afrique de l'Est, on constate une forte influence de l'islam salafiste et wahhabite (Soudan, Somalie...). On utilise parfois l'expression d'un “islam noir”.
  •  On a souvent pris pour habitude de différencier un islam rural d'un islam savant mais également l'islam malékite occidental (origine berbère) à un islam oriental marqué par le salafisme et le wahhabisme. Le salafisme s'est développé assez récemment par le rôle social qu'il joue: rôle éducatif en particulier.La géographie de cet islam est relativement simple allant d'Est en Ouest et le long en partie du Golfe de Guinée et de l'Afrique australe. On peut différencier quatre ensembles: une zone comprenant le Sénégal allant jusqu'au Tchad qui a connu et connaît encore une islamisation progressive. Dans plusieurs états, l'islam est en nette position dominante avec des populations comprenant entre 80 et 90% de musulmans (voire plus) comme au Sénégal, au Mali ou des états ayant une proportion de musulmans comprise entre 50 et 75% comme en Côte d'Ivoire, en Sierra Leone, au Cameroun... 
  • La seconde zone géographique est la vallée du Nil à partir du Soudan où on note à la fois islamisation et arabisation comme au Soudan. La troisième zone est la corne de l'Afrique: Somalie, Djibouti... et une quatrième zone correspond aux littoraux longeant l'océan Indien (culture swahilie): Zanzibar, nord du Mozambique...
  • L'Afrique est également une terre chrétienne: un christianisme, présent depuis l'Antiquité en Ethiopie. Catholicisme et les multiples églises protestantes sont présentes dans plusieurs états comme en République démocratique du Congo.
  • Il existe des zones de contacts (voire d'affrontement entre islam et christianisme comme au Nigeria (le Sud est à dominante chrétienne et le Nord à dominante musulmane).Le christianisme est en expansion en Afrique équatoriale et australe avec le poids de plus en plus important des églises dite du réveil (environ 1500) souvent d'inspiration protestante. 
  • Enfin l'Afrique est une terre de “création religieuse” par le développement de messianismes à matrice chrétienne. C'est le cas du Kimbanguisme, fondé par Simon Kimbangu dans les années 1950, très présent en RDC. Les mouvement sectaires et les prophètes autoproclamés se sont multipliés sur le continent à l'image du “prophète des lagunes”, William Harris (créateur de l'église Harriste ,2e moitié du 19e- début du 20e): une église présente au Liberia, en Côte d'Ivoire où elle est devenue une église officielle en 1961. Le culte Déhima toujours en Côte d'Ivoire est un autre exemple: un culte dont une femme Marie Lalou est à l'origine (culte reconnu dans les années 1950). On peut également signaler le développement des églises évangéliques ou pentecôtistes dans des états comme le Nigeria, le Ghana ou encore le Congo. Il faut s'interroger sur la nature du religieux: est-il instrumentalisé ou au “fondement du politique” pour utiliser l'expression de Philippe Hugon ? Incontestablement, la religion et les structures religieuses jouent en Afrique un rôle important de socialisation (rôle éducatif, apport de soins...). 
  • Bien sûr, elles sont aussi utilisées par les hommes politiques pour parvenir à leurs fins. Néanmoins, les conflits qu'on juge souvent comme étant de nature religieuse ou ethnico-religieux ont d'autres dimensions: dimension économique, sociale... 
  • On ne peut nier l'instrumentalisation du religieux dans plusieurs conflits comme les conflits de la zone sahélienne, en République centrafricaine ou encore les conflits au Nigeria. Le présent tant de l'Afrique que du Moyen-Orient ne peut être saisi et compris sans toutes ces dimensions historiques et culturelles. A ces dimensions locales vont s'ajouter des dimensions externes: celles du processus de colonisation: un processus qui a imprégné tant l'Afrique que le Moyen-Orient. Les Européens ont laissé des héritages qui vont également rendre possible une meilleure compréhension des enjeux actuels.

3/ La colonisation : une rupture majeure pour les Etats et sociétés africaines


Avant même la colonisation européenne, il est un phénomène crucial pour comprendre l'Afrique: l'esclavage dont l'impact sur les sociétés africaines fut considérable (encore aujourd’hui de façon indirecte). La colonisation va, quant à elle, non seulement permettre la domination de l'Europe mais aussi déterminer l'histoire récente du continent. On peut effectivement parler pour l'Afrique d'un poids de l'histoire, une histoire marquée par la colonisation, les traites négrières notamment et ce même si comme l'affirme Philippe Hugon, “l'Afrique n' a pas été découverte par l'Europe”. 

 A/ Le poids des traites négrières et de l’ esclavage

 Les traites négrières et l'esclavage ont modifié les sociétés africaines dans leurs structures, leur organisation et ont eu des effets territoriaux et sont des éléments d'une mémoire douloureuse. 

 a/ De la traite arabo-musulmane à la traite européenne: une Afrique meurtrie 

-Traites négrières, esclavages: des peuples asservis et dominés

  • Il faut différencier le fait d'être esclave c'est-à-dire d'avoir le statut d'esclave et le commerce des esclaves à savoir les traites négrières. Il existait avant même l'arrivée des Européens, des traites africaines. Les traites négrières sont à la fois arabo-musulmane et européenne même si l'accent a été mis sur ces dernières par une ampleur exceptionnelle. La traite des noirs commence lors d'un traité conclu entre le conquérant arabe Ben Sayd et les Nubiens dès 652 après J-C (un tribut de 350 esclaves par an). Il faut savoir que les musulmans considéraient les Noirs non seulement comme des impies mais aussi comme une race inférieure. Les esclaves noirs servaient de main d' oeuvre pour les travaux agricoles, dans les mines ou encore comme domestiques. 
  • La traite arabo- musulmane commence véritablement à partir du 8e siècle et ce jusqu'au 20e siècle : elle concernerait entre 12 et 17 millions d'africains selon les historiens spécialistes de la question. Les négriers ne sont pas tous arabo-musulmans: ils peuvent être Berbères, Persans.... Cette traite négrière se fait à destination de la péninsule arabe pour ce qu'on nomme la traite orientale ou à destination de l'Afrique du Nord notamment pour l'Afrique subsaharienne. 
  • La traite atlantique, sur une période plus restreinte à savoir deuxième moitié du 15e jusqu'au 19e siècle, est responsable de la déportation de plus de 12 millions d'Africains. Elle commence avec les Portugais à partir du 16e siècle donnant naissance au commerce dit triangulaire. Il faut d'ailleurs savoir que la moitié des esclaves déportés d'Afrique l'ont été vers le Brésil à partir des côtes de l'Angola et du Mozambique (une traite interdite par le Brésil qu'en 1850). Enfin, il faut évoquer la traite intérieure, une traite dont les guerres et les razzias sont les vecteurs. 

- les effets de la traite 

  • Les effets des traites négrières sont considérables au niveau économique et démographique même si ils ne sont pas toujours faciles à évaluer (entre 11 et 15 millions d'esclaves déportés). Les traites représentent une ponction démographique notable en particulier pour certaines régions (L' Angola et le Soudan par exemple). Economiquement, elles sont rentables pour ceux qui les pratiquent tout comme elles ont permis le développement des économies de plantation aux Amériques. Par contre, elles ont détruit partiellement ou totalement le tissu économique et social des régions les plus affectées. 
  • Les traites ont eu également des effets spatiaux notamment sur la répartition des individus. Certains territoires ont bénéficié du fait d'être en retrait géographiquement ou protégé par des barrières naturelles: c'est le cas de la région des grands lacs difficilement accessibles à la fois pour les razzias conduites par les arabes ou celles menées par les royaumes d'Afrique orientale. Par contre, les territoires compris entre la Côte d'Ivoire et l'Angola ont été plus impacté en particulier par les traites atlantiques. 

 b/ Un passé difficile à porter

 Les traites négrières et l'esclavage n'ont pas seulement des conséquences démographiques ou économiques: les conséquences sont également morales. Les mémoires de ces événements sont douloureuses. Plus généralement au sujet de l'histoire de l'Afrique on relève deux façons de percevoir le continent dont un afro-pessimisme que nous retrouvons en partie dès 1962 dans le livre de René Dumont: L'Afrique noire est mal partie ou plus récemment dans l'ouvrage de Stephen Smith de 2004 Négrologie. Cette Afrique est vue comme minée par les conflits, un retard économique très important qu'elle peine à combler... Inversement, il existe un afro- optimisme mettant l'accent sur l'émergence d'une partie du continent. 

 -des mémoires douloureuses et réactivées

  • Les mémoires des traites et de l'esclavage ont été réactivées partiellement. L'accent a été mis surtout sur la traite transatlantique donnant naissance à des lieux de mémoire comme Gorée au Sénégal ou Ouidah au Bénin. Ouidah, un ancien port négrier est notamment l'objet d'une cérémonie annuelle et d'un programme depuis 20 ans celui de la route des esclaves. 
  • L'île de Gorée a été reconnu par l'ONU en 1978 comme île mémoire et est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l' UNESCO. Par contre, ces mémoires ne sont pas toutes promues de la même façon:la mémoire de la traite arabe est généralement occultée et tous les états n'ont pas les mêmes pratiques mémorielles. Depuis plusieurs années, la question d'éventuelles réparations est mise en avant soit dans des pays qui ont participé à l'esclavage comme la France par des associations (voir le CRAN: Conseil représentatif des noirs de France)) soit des états africains comme lors de la conférence de Durban en 2001. 

 - sources parfois de difficultés internes 

  • Ces mémoires sont l'objet de tensions internes: peu d'états africains tiennent à évoquer la participation active de royaumes ou de peuples à la traite des esclaves. Des élites africaines se sont enrichies avec le commerce d'esclaves: les Ashanti du Ghana sont perçus par leurs voisins comme entrant dans ce cadre. De façon générale, la mémoire de l'esclavage interne est gommée afin de ne pas susciter trop de tensions. 
  • Néanmoins, en Afrique subsaharienne, les populations victimes de la traite ont toujours une peur : c'est le cas des populations noires du Darfour, du Sud Soudan ou du Sud du Tchad par rapport aux populations d'origine arabe. Ces dernières sont vues comme potentiellement dangereuses. 

B/ Un autre événement rupture: la colonisation 

 a/ La colonisation comme nouveau paradigme destructeur de l’histoire africaine... 

La colonisation européenne introduit une rupture essentielle dans l'histoire africaine: elle modifie les équilibres politiques, économiques, sociaux et culturels. Il faut rappeler que la colonisation dite directe de l'Afrique est tardive puisque les Européens entre le 16e et le 18e siècle se sont appuyés uniquement ou presque sur des comptoirs commerciaux le long des littoraux, l'exception étant la colonie du Cap en Afrique du Sud. Plusieurs états africains ont d'ailleurs bénéficié des échanges avec les Européens et de la présence de ces comptoirs commerciaux comme les royaumes Ashanti, du Kongo ou du Luanda. “Le legs colonial demeure évidemment important. Il a été culturel (architecture, vêtement, urbanisme, éducation, langue), psychologique (complexe du colonisé), institutionnel (l'état colonial) et matériel (économie de la traite).” (Philippe Hugon) Pourtant la colonisation peut apparaître comme brève dans le temps mais elle a impacté l'Afrique. Elle a produit des discours sur l'Afrique et les Africains mais en retour les Africains se sont appropriés des éléments de cette colonisation avec mêmes des créations culturelles hybrides comme au Congo où à partir du christianisme a été forgé un nouveau mouvement religieux: le Kibanguisme. La colonisation a généré des effets parfois surprenants. 

-une Afrique partagée et colonisée

  • Les explorations et les conquêtes ont précédé la colonisation même. Le double processus d'explorations et de conquêtes s'opère véritablement dans la première moitié du 19e siècle jusqu'aux années 1870. Après les années 1870, les puissances européennes passent au stade de la colonisation directe avec ce que certains ont nommé la “course aux colonies”: une course dans laquelle s'engagent les puissances européennes de l'époque: Royaume-uni, France, Allemagne, Belgique...Ainsi, la France a constitué un important empire colonial en Afrique notamment en Afrique occidentale et centrale alors que les Britanniques ont formé un Empire colonial plutôt centré sur l'Afrique australe. La conférence de Berlin de 1884-1885 confirme ce processus en “partageant” l'Afrique entre les puissances par des sphères d'influence et en fixant des règles de conduite à tenir pour éviter les conflits entre puissances. Suite à cette conférence de multiples traités sont signés entre les états européens concernant la délimitation de leurs zones. Par contre, l'idée que cette conférence a produit les frontières de l'Afrique est un mythe: le processus des frontières et des territoires à contrôler émerge à la fois avant la conférence et après.Le Royaume- Uni et la France sont les puissances contrôlant la plus grande partie du continent. 
  • Dans ce processus de colonisation, il faut souligner que les puissances coloniales se sont appuyées sur des populations locales: Wolofs au Sénégal pour les Français, Ashantis au Ghana pour les Britanniques. Les délimitations frontalières évoquées plus haut sont en partie arbitraires mais pas systématiquement : la complexité ethnoculturelle de l'Afrique rend difficile tout découpage. Le système colonial mis en place par les Européens repose sur une administration coloniale qui impose une organisation administrative, sur le contrôle et l'appropriation d'une partie des terres par des colons, sur un statut des populations (code de l'indigénat) ou encore sur l'exploitation des populations (par le travail forcé). Ce système colonial se caractérise donc par la mise en place d'une administration, une appropriation des terres au moins dans les colonies de peuplement, le poids des sociétés commerciales dont l'objectif est de commercer et pas de valoriser les systèmes productifs africains sans oublier dans nombre de cas l'utilisation d'une main d'oeuvre forcée comme au Congo. Les colonies sont en fait des zones où sont exploités des produits de base qu'ils soient agricoles ou miniers et des zones dites de déversoirs des produits manufacturés produits par les métropoles coloniales. 

 -une Afrique sous domination 

  • L'Afrique est de ce fait dominée et exploitée. Au niveau social, en s'appuyant sur des groupes ciblés, les colonisateurs ont modifié les rapports de force entre les peuples (cf Rwanda, Nigeria...). Au niveau culturel, les Européens ont imposé leurs religions et leurs langues modifiant là aussi les équilibres anciens des sociétés africaines. Politiquement, les peuples africains ne sont pas souverains: ils ont dans une relation de complète dépendance. Il faut insister sur le fait que les politiques coloniales des différents états colonisateurs ne sont pas identiques. 
  • En ce qui concerne la France, le “modèle” colonial était fondée sur une administration directe, un “modèle” de ce fait plutôt centralisé avec des indigènes soumis à un code de l'indigénat. Les états francophones devenus indépendants ont hérité de pratiques liées au fonctionnement des administrations françaises comme la centralisation, une nette hiérarchisation, le rôle de l'ancienneté dans les promotions... 

 b/ Les effets de la colonisation

Les conséquences de la colonisation sont très importantes: elles déterminent encore pour une part ce qu'est l'Afrique actuellement.

-des effets idéologiques et politiques 

  • Le premier effet politique est le découpage et le modelage de l'Afrique. Ce sont les Européens qui sont à l'origine de ce qu'est politiquement l'Afrique et de ses états. Les frontières de ces derniers sont un héritage de la colonisation: 87% des frontières (70 000 km sur 80 000) en sont le résultat. Certains états sont une création sans fondement historique ou culturel comme le Gabon, le Cameroun... 
  • Dans d'autres régions, les Européens ont tenu compte au moins en partie de structures politiques ayant existé (royaumes...). Le Burkina-Faso correspond peu ou prou aux royaumes Mossi. Les frontières sont de fait artificielles du moins pour plusieurs d'entre elles: elles n'ont pas pris en compte les réalités linguistiques, les solidarités “ethniques”: plus de 170 peuples se sont ainsi retrouvés éparpillés sur plusieurs états. Ces états sont donc constitués de groupes pouvant être rivaux. Pour tenter d'apaiser les tensions après les décolonisations, les états africains ont décidé l'intangibilité des frontières lors d'une conférence des chefs d'états de l'OUA (Organisation de l'unité africaine) qui s'est déroulée au Caire en 1964.  Cette décision n' a pas évité, comme nous le verrons ultérieurement certains conflits. 
  • Autre effet politique: le choix de s'appuyer sur une partie de la population d'un territoire a produit des clivages comme au Rwanda entre Hutus et Tutsis ou au Nigeria où le pouvoir colonial s'appuie sur les Ibos. Ces choix sont en partie responsables de conflits ultérieurs: guerre du Biafra au Nigeria, conflits à répétition au Rwanda jusqu'au génocide de 1994... 

 -mais aussi des conséquences démographiques, économiques et sociales 

  • Les effets économiques et sociaux sont également fondamentaux. Certes, la colonisation a favorisé le passage à la modernité mais elle a conduit à la déstructuration des sociétés africaines les obligeant à s'adapter plus ou moins bien à la nouvelle société imposée. Les structures économiques ont été imposées par les colonisateurs notamment les éléments sur lesquels il fallait s'appuyer pour le développement économique. Les économies de rente sont le résultat de ces choix qu'elles soient fondées sur les matières premières ou des productions agricoles.
  • Enfin même l'organisation territoriale et spatiale interne des futurs états africains a été déterminée par les stratégies coloniales. La construction et le développement de ports par les Européens ont favorisé la littoralisation des activités et des hommes: une littoralisation toujours vraie aujourd'hui. Le choix par les Européens de développer certaines villes a produit des déséquilibres territoriaux toujours prégnants au profit généralement des villes littorales et au détriment de l'intérieur des terres. Bilan: l'Histoire: quels legs? Il y a incontestablement un héritage précolonial ce qui signifie que la colonisation par sa courte durée n'est pas l'unique héritage de l'Afrique. En Afrique de l'Ouest, l'ancienneté des réseaux commerciaux tout comme l'ancienneté des états ou Empires continuent d'influer et de structurer les états et sociétés actuels que ce soit dans les mémoires, les histoires et les identités nationales qui se sont construites. 
  • On peut même faire remarquer que les mouvements djihadistes actuels (voir plus haut) comme au Mali ou au Nigeria (Boko Haram) revendiquent des liens avec une histoire ancienne celle du début du 19e siècle.  Le mouvement Boko Haram n'hésite pas à se référer au califat de Sokoto, un califat créé au 19e par Usman Fodio dans le nord de l'actuel Nigeria autour de la ville de Sokoto. Fodio et ses hommes ont annexé plusieurs territoires dont certains se trouvant dans le Nord du Cameroun. 
  • Ce califat prônait le djihad contre les impies et avaient instauré la charia. Il en est de même avec le Front de Libération du Macina composé de Peuls (un FLM rattaché à Ansar Dine, groupe proche d'AQMI): ce dernier se réfère à l'Empire Peul du Macina, un empire théocratique fondé au 19e siècle par Sékou Amadou au Mali entre Tombouctou et Djenne, empire lui aussi basé sur la charia. 
  • Même un conflit comme celui du Rwanda ayant conduit à un génocide en 1994 peut être lié à une dimension précoloniale bien qu'on ne doit pas oublier la responsabilité des Belges dans l'instrumentalisation des peuples. L'opposition entre Hutus et Tutsis est aussi liée à d'anciens statuts héréditaires où les individus étaient soit agriculteurs (Hutus) soit éleveurs (Tutsis), ces derniers formant un type d'aristocratie dominante. 
  • La confrontation entre Hutus et Tutsis n'est donc pas à connecter à une culture différente puisqu'ils ont la même: même langue, même religion mais aussi à un passé ancien. Bien entendu, on ne peut pas nier le legs colonial qu'il soit culturel avec les langues, le christianisme, institutionnel avec le maintien des structures de l'état colonial...

4/ Etats et sociétés: les continuités et les changements


A/ La construction des états: le “modèle importé” (Bertrand Badie) pour des Etats-Nations fragiles

 Comment se sont crées et organisés les états africains? Quelles sont leurs logiques de fonctionnement? Quels sont les problèmes auxquels ils sont confrontés ? 

a/ La décolonisation de l’Afrique : une nouvelle rupture. 

 Le 19e siècle est pour l'Afrique le siècle de sa colonisation et de son partage entre puissances coloniales de l'époque (cf Conférence de Berlin en 1885). Les années 1950-60 sont au contraire les années du processus de décolonisation: un processus soit dans un contexte de guerres comme en Algérie, en Angola ou au Mozambique ou au contraire des indépendances négociées comme pour les pays francophones d'Afrique subsaharienne. 

-des processus d’indépendance différenciés

  •  Le double processus de décolonisation et d'émergence de nouveaux états se réalise sur plus d'une trentaine d'années entre 1956 avec les indépendances de la Tunisie et du Maroc et 1990 avec un nouvel état la Namibie. Ces indépendances sont globalement des indépendances négociées et octroyées par les puissances coloniales: l'Algérie, l'Angola, le Mozambique, Madagascar ou encore le Cameroun (1947: une très violente répression de l'armée française avec plus de 60 000 victimes) sont des exceptions.Les indépendances en Afrique subsaharienne s'opèrent entre 1956 et les années 1990: indépendance du Soudan en 1956, du Ghana en 1957, de la Guinée (Guinée Conakry) en1958, du Cameroun, Togo, Sénégal... en 1960 (18 états deviennent indépendants en 1960), Sierra Leone et Union sud-africaine en 1961, Rwanda, Burundi et Ouganda en 1962, Kenya en 1963... Djibouti en 1977, Rhodésie du Sud devenue le Zimbabwe en 1980, Sud-Ouest africain devenu Namibie en 1990 sans oublier en 1993 l'Erythrée qui se détache de l'Ethiopie. 
  • On peut rappeler que les nationalismes africains se sont développés entre les deux guerres mondiales. Il faut signaler que le Royaume-Uni avait posé des bases nouvelles avec la mise en place d'une autonomie dite indirecte (indirect rule): l'Afrique du Sud bénéficie du statut de dominion comme le Canada ou l'Australie, le Kenya dépend du ministère des colonies mais les Britanniques laissent les Kényans gérer le Kenya. Il en est de même au Nigeria ou en Sierra Leone. Cette autonomie n'empêche pas le développement de mouvements d'émancipation comme l'African Student Union au Nigeria ou le Congrès national Ouest-Africain créé en 1920 au Gold Coast (futur Ghana). Des mouvements similaires sont créées dans les colonies françaises: Néo-Destour en Tunisie (1934), parti de l'Istiqlal en Tunisie (1944)... Les revendications d'indépendance existent donc avant le second conflit mondial et elles s'accentuent après la Seconde guerre mondiale dans un contexte d'affaiblissement des puissances coloniales. La Tunisie et le Maroc obtiennent l'indépendance en 1956 après plusieurs années de troubles.
  • L' Algérie devient indépendante suite à un conflit de huit ans entre 1954 et 1962: en 1962, l'ensemble de l'Afrique du Nord est de ce fait indépendante (la Libye l'était depuis 1949). Puis entre 1958 et 1960, les territoires français d'Afrique noire deviennent indépendants sans conflit : Guinée en 1958 puis Mali, Sénégal, Togo, Madagascar en 1960...  Les territoires britanniques d'Afrique obéissent à une logique identique: en 1955, le Soudan est indépendant, en mars 1957 c'est au tour du Ghana, du Nigeria et de la Sierra Leone en 1960, du Kenya en 1963...  Par contre, le processus est plus difficile pour les colonies portugaises du Mozambique et de l'Angola qui deviennent indépendantes en 1975 suite à des guerres d'indépendance.  Quant à la Namibie, elle devient indépendante en mars 1990 après avoir été sous contrôle de l'Allemagne puis de l'Afrique du Sud. 
  • On met souvent en évidence trois processus de décolonisation : un processus britannique fondé sur une certaine anticipation des indépendances par la mise en place d’une autonomie ; un processus français avec une volonté de garder l’empire colonial le plus longtemps possible ou de maintenir une intégration de ces colonies dans une Communauté française à laquelle elles appartiendraient et un processus belge et portugais où il n’y a aucune anticipation des indépendances.
  • On peut enfin dresser une typologie rapide sur la façon dont se sont déroulées ces indépendances avec des indépendances qui se sont réalisés plutôt dans de bonnes conditions comme en Afrique Occidentale française, au Ghana, au Soudan ; des indépendances réalisées difficilement avec des conflits lors des indépendances ou juste après les indépendances : RDC, Angola, Mozambique, Algérie... et enfin quelques situations spécifiques avec des Etats où le pouvoir demeure plusieurs décennies encore : Afrique du Sud, Rhodésie (devenue Zimbabwe).  Il est intéressant de mettre en exergue ce qu’affirme Seloua Luste Boulbina une philosophe sur la thématique des indépendances dans L’Atlas des Afriques (2020). Elle insiste sur le fait qu’il ne faut pas confondre la décolonisation et la lutte pour les indépendances .
  • En effet, cette dernière ne clôt pas la décolonisation car « la tutelle coloniale est parfois transformée et maintenue » comme c’est le cas de la France qui après les indépendance exerce toujours cette tutelle (Françafrique) à telle enseigne que Jean-Pierre Peyroulou évoque « une indépendance inachevée de l’Afrique française » (Atlas des Afriques, 2020). Surtout, Seloua Boulbina différencie à juste titre l’indépendance politique qui peut d’ailleurs être purement « formelle » et « l’indépendance économique, sociale et culturelle. » Les Etats indépendants africains encore aujourd’hui sont souvent dépendants des anciennes puissances coloniales, des institutions internationales... 

 -La naissance de nouveaux Etats 

  • Ce sont donc de nouveaux états qui naissent et vont devoir se structurer et se construire: se construire en tant qu'états nations, se positionner politiquement dans un contexte de guerre froide. Entre 1957 et 1975, 40 des 54 Etats que compte le continent africain actuellement deviennent indépendants. Ces états sont nouveaux mais avec des frontières héritées des puissances coloniales ce qui n'est pas sans poser problème. 
  • Les indépendances ont suscité un fort enthousiasme auquel a rapidement succédé nombre de désillusions : désillusions politiques avec l’essor de régimes autoritaires, l’absence de démocratie, la dépendance maintenue à l’égard des anciennes puissances coloniales ; désillusions économiques et sociales avec un développement pour le moins difficile... 

b/ La question des frontières: les enjeux 

-héritages et mise en place

  • Pour bien comprendre l'Afrique, les enjeux et conflits qui s'y déroulent, il est nécessaire de mettre l'accent sur les territoires et sur les frontières. Les territoires tels qu'ils ont été construits et configurés sont en partie des héritages avec des frontières pouvant poser des problèmes. L'Afrique a été découpée, un découpage résultant de la colonisation. On peut insister sur le fait que la grande majorité des états africains sont récents. De plus, a été exporté le modèle de l'état- nation en Afrique et ces états-nations sont délimités par des frontières. Ces frontières, déjà abordée précédemment, des états d'Afrique notamment subsaharienne sont un héritage colonial en particulier de traités signés entre états européens.Lorsque les Européens ont tracé les frontières, la géographie de l'Afrique n'était pas complètement maîtrisée et on peut considérer que le découpage de l'Afrique comme le dit Roland Pourtier a été “précipité”. 
  • Elles sont de ce fait récentes: 70% d'entre elles ont été conçues entre 1885 (conférence de Berlin) et la première guerre mondiale. Il faut rappeler que les anciens empires et royaumes africains n'étaient pas délimités par des frontières linéaires et figées: il existait ce qu'on nomme des “espaces-tampons” entre ces royaumes et Empires. Ces frontières sont jugées artificielles (mais quelles frontières ne sont pas artificielles?). On peut d'ailleurs considérer dans le cas de l'Afrique que les frontières anticipent les états. 70 000 km de frontières sur les 80 000 sont un héritage des partages entre puissances coloniales (Voir Michel Foucher): 40% de ces frontières ne sont d'ailleurs pas encore démarquées. Selon M. Foucher, les problèmes de frontières concernent 177 groupes ethniques et religieux ; 44% de ces frontières sont des lignes droites, 34% ont une logique hydrographique et 17% sont le reflet de faits humains ce qui est très peu. 
  • On doit donc le tracé des frontières non aux Africains eux mêmes mais aux Européens. Elles obéissent de ce fait à des logiques qui ne sont pas toujours celles des royaumes africains existant avant la colonisation: elles sont parfois le résultat d'un tracé géométrique peu regardant sur les logiques historiques, tribales ou autres. Il faut rappeler que la conquête de l'Afrique s'est opérée du littoral vers l'intérieur des terres par plusieurs puissances européennes d'où des territoires aujourd'hui devenus des états correspondant à des couloirs (Togo, Bénin, Gambie). Certes des puissances comme la France ont regroupé les territoires conquis (AOF et AEF) mais cela n'a pas empêché un découpage tout aussi artificiel à l'intérieur même de ces regroupements. Dans certains cas, les Européens ont adopté la logique des fleuves (hydro-frontières) afin de délimiter les frontières: c'est la cas du fleuve Congo qui sépare le Congo sous domination française et le Congo belge ( aujourd'hui la RDC). Les Européens ont été rendus coupables d'un découpage jugé peu cohérent (on parle parfois de “balkanisation de l'Afrique”). 
  • Contrairement à ce que certains pensent, il ne s'agissait pas de structurer l'Afrique selon le principe diviser pour régner mais plutôt pour les puissances européennes de se forger des zones les plus importantes possibles dans le cadre d'une rivalité entre elles. D'ailleurs, de nombreux états africains ont une superficie importante (12 ont plus de 1 million de km carré): la “balkanisation “ de l'Afrique en états de dimension réduite n'est donc pas confirmée. Si le découpage est arbitraire c'est le fait qu'il soit réalisé par les Européens et non par les Africains eux-mêmes: les Européens ont procédé en suivant des logiques. Une première logique est liée à la pénétration du continent africain à partir des littoraux vers l'intérieur des terres produisant des zones (des tranches) colonisées par différents états comme c'est le cas dans le Golfe de Guinée avec 15 états dont certains sont d'ailleurs de véritables “états -tranches” à l'image du Togo ou du Bénin. 
  • Le cas du Togo est significatif puisque ce territoires a été colonisé par les Allemands dans un espace “libre” et de ce fait le Togo s'est intercalé entre la Gold Coast anglaise devenue le Ghana lors de son indépendance et le Dahomey français devenu le Bénin. Dans certains cas, les logiques hydrographiques ont été déterminantes, dans d'autres cas, les colonisateurs se sont appuyés sur des frontières déjà existantes (au moins formellement) comme en Haute-Volta avec le “pays Mossi”, au Sénégal sur les territoires des Wolofs ou encore au Ghana sur les territoires des Ashantis.
  •  Néanmoins, certaines frontières n'ont pas tenu compte des fortes mobilités de populations nomades comme les Peuls pour qui les frontières fixées par les colonisateurs avaient peu de sens. Les états africains et leurs frontières sont donc le résultat des partages de la colonisation. Mais il faut insister qui plus est sur un fait majeur : l'OUA (Organisation de l'unité africaine) a confirmé, comme nous l'avons déjà évoqué, en 1964 l' intangibilité des frontières reprenant à son compte la logique coloniale. L'OUA a même imposé de “respecter les frontières existant au moment où les états ont accéder à l'indépendance nationale”.
  •  L'article 3 affirme également “le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de chaque état et de son droit inaliénable à une existence indépendante.” Les frontières, et pas seulement pour l'Afrique, sont fondamentales pour l'état- nation et sa souveraineté: les dirigeants africains en étaient conscients. 

 -les enjeux 

  • Ces frontières, quelque soit l'histoire de leur tracé, sont un enjeu entre états mais globalement elles ont été peu modifiées (même si 43 litiges ont été recensés). Certains états sont entrés en conflit suite à une querelle portant sur les frontières. Ainsi, dès 1963, l'Algérie est en conflit avec le Maroc (“guerre des sables”) pour un problème frontalier dans le secteur de Tindouf dans l'Ouest algérien: une frontière qui est restée inchangée suite à une médiation de l'OUA. Les tensions entre le Maroc et l'Algérie se retrouvent au niveau du Sahara occidental dont le Maroc a pris le contrôle en 1976. Le Maroc se heurte dans cette région au Front Polisario souhaitant un état Sahraoui avec l'appui de l'Algérie. Le Sahara occidental peut être vu comme la “première fêlure dans le consensus territorial panafricain” selon l'expression de Philippe Moreau-Defarges. Pour le roi du Maroc Hassan II le contrôle du Sahara occidental s'inscrit dans un contexte interne difficile et doit permettre de souder la nation marocaine ce que semble traduire la “marche verte” organisée à destination du Sahara occidental. 
  • La prise de possession du Sahara occidental entraîne la formation le 27 février 1976 de la République arabe sahraouie avec le soutien de l'Algérie. Pour les Sahraouis, la création de leur République s'inscrit dans la logique du respect des frontières issues de la colonisation alors que pour le Maroc, le Sahara occidental est dans la sphère d'influence du Maroc auquel il doit donc appartenir. En 1982, la République sahraouie est admise au sein de l'OUA ce qui pousse le Maroc à quitter cette organisation (le Maroc a fait son retour au sein de l'Union africaine en 2017). La seconde fêlure est l'indépendance de l'Erythrée en 1993 qui se détache de l'Ethiopie après un long conflit. Il faut rappeler que l'Erythrée avait été rattachée à l'Ethiopie après la Seconde guerre mondiale après avoir été colonie italienne entre 1890 et 1941. En fait c'est l'ONU qui a poussé à fédérer Ethiopie et Erythrée en 1952. En 1962, l'Erythrée est annexée par l'Ethiopie ce qui conduit à un long conflit qui se termine en mai 1991 par la victoire du Front populaire de libération de l'Erythrée dont le leader est Issayas Afewerki. Ce dernier est toujours au pouvoir ayant instauré un véritable régime autoritaire. Enfin, la dernière cassure est la sécession du Soudan du Sud par rapport au Soudan intervenue le 9 juillet 2011. Cette cassure s'inscrit dans un processus de longue durée: lorsque que le Soudan devient indépendant en 1956, on note déjà une opposition entre le Nord musulman et le Sud animiste et chrétien. 
  • Le gouvernement soudanais avait promis la formation d'un état fédéral dans lequel le Sud aurait une importante autonomie: la promesse n' a pas été tenue déclenchant une première guerre civile jusqu'en 1972.
  •  A cette date, une certaine autonomie est accordée au Soudan du Sud mais en 1983 l'homme au pouvoir (depuis 1969) à savoir Gaafar Nimeiry prend la décision d'étendre le droit musulman au droit pénal dans tout le Soudan. Une seconde guerre civile se déclenche avec la formation d'une Armée populaire de libération du Soudan dirigée par John Garang. Le Soudan du Sud finit par obtenir son indépendance en juillet 2011 (capitale Juba). Mais depuis la fin de l'année 2013, le Soudan du Sud connaît une guerre civile liée à des affrontements ethniques entre l'ethnie Dinka et l'ethnie Nuer Un autre exemple est le conflit entre la Libye et le Tchad au sujet de la bande d'Aouzou dans le nord Tchad que la Libye a occupé en 1973 et qu'elle a rendu depuis au Tchad (en 1994).  En 1994, le Nigeria et le Cameroun s'opposent à propos de la péninsule de Bakassi: le litige est tranché en faveur du Cameroun par la cour internationale de justice de La Haye.En Afrique de l'Est, un conflit avait opposé la Tanzanie et le Malawi au sujet du lac Nyassa entre 1964 et 1968.
  • Les conflits frontaliers en Afrique sont nombreux même si l' OUA avait pensé en 1964 éviter ce type de problème. Enfin, il convient d'évoquer les volontés sécessionnistes qui sont une contestation de frontières internes s'ajoutant à une volonté d'indépendance. La guerre du Biafra (voir plus bas) entre 1967 et 1970 en est une dramatique illustration avec la proclamation de la République du Biafra dans le sud-est du Nigeria par le peuple Ibo (une minorité chrétienne).Le 30 mai 1967, le lieutenant- colonel Emeka Ojukwu proclame l'indépendance du Biafra.  Le Sénégal est confronté à une volonté séparatiste (depuis 1982) de la Casamance. Il en est de même pour la République démocratique du Congo avec la région du Katanga en 1960 ou actuellement la région du Kivu.
  •  Deux états ont réussi à naître suite à de longs conflits: l'Erythrée qui s'est détachée de l'Ethiopie en 1993, année où son indépendance est proclamée et reconnue; c'est aussi le cas pour le Sud Soudan suite à un référendum d'autodétermination en juillet 2011 après plusieurs années de guerre avec le Nord Soudan mais les tensions frontalières à la fois entre l'Ethiopie et l'Erythrée et le Nord et le Sud Soudan ne sont toujours pas réglés. Globalement, on note globalement peu de contentieux territoriaux liés aux frontières et les volontés sécessionnistes ont rarement obtenu gain de cause à l'exception de l'Erythrée en 1993 et de la partition du Soudan en juillet 2011.
  • Néanmoins, le cas du Soudan du Sud peut laisser préager peut-être la fin de l'intangibilité des frontières promue par l'OUA. Les dirigeants africains sont conscients qu'un redécoupage de l'Afrique serait particulièrement difficile et il est donc préférable de garder le “dogme” de l'intangibilité des frontières dans la mesure du possible. Il faut mettre également l'accent sur l'échec de tentatives de regroupement entre différents états comme la Fédération d'Afrique centrale qui unissait la Rhodésie du Nord , la Rhodésie du Sud et le Nyassaland entre 1953 et 1963 à savoir trois colonies britanniques. Cette fédération reposait sur une Constitution et accordait des droits politiques aux noirs bien que la fédération était toujours dominée par une minorité blanche.
  •  Cette fédération finit par éclater en 1963 suite à de fortes tenions entre communautés. En 1964, la Rhodésie du Nord devient la Zambie (capitale Lusaka); le Nyassaland devient en 1964 également le Malawi (capitale Lilongwe) et la Rhodésie du Sud se maintient comme telle jusqu'en 1980 où elle devient le Zimbabwe (capitale Harare). Un autre échec est celui de la fédération du Mali qui réunissait le Sénégal et le Soudan français de 1959 à 1960: le 22 septembre 1960, le Soudan français proclame son indépendance sous le nom de Mali (capitale Bamako). 

 B/ Les logiques étatiques et sociales

Quelles sont les structures dominantes des sociétés africaines? Sont-elles toujours actives ou remises en question? Les sociétés africaines et les individus les composant sont sujets à ce que Pierre Gourou, dans un ouvrage écrit en 1973 et intitulé pour une géographie humaine, nomme les “techniques d'encadrement” à savoir les techniques d'encadrement liées à la société civile que sont la famille,les mentalités, la religion, le régime foncier et celles liées à la société politique: l'état et le cadre étatique, le clan et le cadre tribal, le village et le cadre villageois... En Afrique ces encadrements sont nombreux et organisent les sociétés avec, par exemples, un droit foncier (droit de la terre) qui coexiste avec les droits d'usage des collectivités, des clans et des chefferies qui persistent dans le cadre plus large d'états-nations... Toutefois, après les indépendances, l'Afrique et ses dirigeants ont privilégié le cadre de l'état (sur le modèle européen) mettant l'accent sur la nation et sa formation mais ces éléments n'ont pas pour autant annihilé l'importance de la famille élargie, des clans, des lignages... C'est ce qui rend l'analyse des sociétés africaines complexe. 

a/ Des structures fondamentales des sociétés africaines: clans et tribus, quelle réalité ? 

-des sociétés claniques et des structures tribales : des dimensions toujours présentes 

  • Les sociétés africaines obéissent le plus souvent à des organisation dites claniques et tribales où la famille joue un rôle majeur notamment la famille élargie. Les familles appartiennent à des lignages réunis dans des clans: les lignages se définissent par rapport à un ancêtre mort ou vivant. Les clans sont des groupes dont les membres revendiquent et se réclament d'un ancêtre commun (souvent mythique). 
  • La notion de tribu désigne un type d'organisation sociale reposant lui aussi sur des liens de parenté (une tribu peut intégrer plusieurs clans), des croyances et des pratiques communes. Une tribu n'est pas nécessairement composée d'individus ayant les mêmes origines. Elle est une “entité culturelle et sociale qui permet l'identification d'un peuple” comme l'exprime Brice Mankou. Dans ces sociétés lignagères et claniques, les hommes et notamment les anciens ont une importance essentielle. Enfin, on peut ajouter qu'il existe des clans matrilinéaires, patrilinéaires ou bilinéaires. Dans un clan matrilinéaire, le père a un rôle moindre que l'oncle maternel au niveau de l'autorité parentale.
  • La règle qui prévaut en ce qui concerne les mariages est la règle de l'exogamie: on se marie avec une personne qui n'est pas de son clan (un mariage perçu comme un échange entre deux familles avec le versement d'une dot). Il faut ajouter qu'en Afrique la citoyenneté n'est pas l'élément déterminant à l'inverse des solidarités qu'on peut qualifier de communautaires que ce soit la solidarité familiale ou clanique voire “ethnique”. La famille et les systèmes familiaux sont des éléments clés pour comprendre les sociétés africaines avec la solidarité liant les membres de la famille, le respect de l'autorité des plus anciens... 
  • En Afrique de l'Ouest par exemple, la famille au sens large est essentielle en tant que lieu de productions des biens qui permettent de faire vivre la famille. Il faut souligner néanmoins que l'Afrique a des systèmes de parenté profondément différents pouvant être patri ou matri- linéaire reposant ou non sur la monogamie... Ceci étant, quelque soit le système, les femmes sont le plus souvent dans une position de subordination avec des statuts les infériorisant. 

 -les liens entre clans, tribus et pouvoir

  • Les liens entre clans, tribus et pouvoir sont relativement affirmés: dans certains cas, ils se sont développés avec le processus de colonisation. Le tribalisme est aussi un instrument de domination ou d'exclusion du champ politique. Ainsi en Somalie, Syad Barré qui a dirigé le pays de 1969 à 1991 suite à un coup d'état avait organisé son pouvoir autour de son propre clan (le clan des Marehan, des pasteurs de la région de l'Ogaden). En Libye, Kadhafi lorsqu'il prend le pouvoir en 1969 a voulu s'appuyer sur les tribus notamment sur la sienne: la tribu des Khadafa. Les tribus en Libye jouent un rôle important y compris actuellement. La plus importante regroupe près d'un million d'individus: la tribu des Warfala (région de Benghazi). 
  • Lors du printemps arabe, cette tribu s'est soulevé contre Khadafi. L'organisation tribale est considérée comme essentielle en Libye mais c'est un système complexe intégrant des dimensions dites “ethniques”. Il existe en effet des tribus berbères (tribus Mdaghis et Alborns dans l'Est et le centre ouest de la Libye), des tribus arabes, les tribus Kouloughlis dont les membres sont des descendants des conquérants ottomans (Turkmènes, Kurdes...), les tribus Touaregs... 
  • On note la présence dans ce pays de 30 tribus principales ( plus de 4,5 millions d'individus). Autre cas intéressant le Tchad : au Sud de ce pays vivent les Saras, à savoir 30% de la population, qui sont organisés en douzes tribus (la plupart sont chrétiens); les Arabes (environ 30% de la population) structurés en trois grandes tribus dont la langue, l'arabe tchadien, est la langue véhiculaire la plus utilisée mais aussi les Toubou ou Goranes organisés en clans (une cinquantaine) qui furent un des derniers peuples de cette zone à se convertir à l'islam. 
  • Enfin, derniers exemples, la République démocratique du Congo: le peuple majoritaire sont les neri bantu subdivisé en 300 tribus (on recense au moins 400 tribus au total en RDC) et l'Afrique du Sud pays où le peuple Nguni a joué un rôle important notamment un de ses clans celui des Zoulous: l'actuel président sud-africain, Jacob Zuma, est un zoulou. Quant à Nelson Mandela, il appartient au peuple Xhosa et plus précisément aux Thembu ( il descend d'une famille royale de ce groupe). 

b/ “Au nom de l'ethnie” (Roland Pourtier): l’ethnisation des sociétés, un problème majeur source de conflictualité

 L'ethnie désigne un ensemble culturel, linguistique et territorial plus large que la tribu. Ce mot désigne un ensemble humain ayant un héritage culturel et social commun dont l'origine est le mot grec « ethnos » ( ce mot désignait les populations et peuples organisés certes mais n'étant pas structurés en cités-états). Ce mot s'est généralisé comme le rappelle Jean-Loup Amselle et Elikia M'Bokolo au 19e siècle lors de la colonisation de l'Afrique. Cette notion reste floue et pose de nombreuses questions : les ethnies sont-elles des réalités objectives ou des constructions idéologiques ? Comment s'inscrivent-elles dans l'histoire ?.... 
Pour l'ethnologue norvégien Frederic Barth, les ethnies ne sont pas des catégories immuables : elles évoluent, se reconfigurent. Elles ne forment pas un groupe toujours culturellement homogène. Pour Barth, ce qui est important sont les frontières et il affirme que le fait de partager une même culture est la conséquence de l'organisation des ethnies et non l'inverse. Les groupes ethniques seraient donc des « catégories d'attribution et d'identification opérées par les acteurs eux-mêmes. » Ce sont de ce fait les groupes qui se perçoivent comme appartenant à une ethnie. L' ethnicité serait une forme d'organisation sociale. Un autre problème important est celui de l'origine des ethnies et pour plusieurs spécialistes elles seraient une création coloniale comme l'affirmaient J.L Amselle et E.M'Bokolo. Ces deux penseurs ne nient pas le fait ethnique mais pensent que les Européens, avec la colonisation, ont figé les groupes ethniques notamment par leurs classifications. Le fait ethnique est néanmoins bien réel même si certaines ethnies sont des constructions et pour utiliser l'expression de B.Anderson au sujet des nations des « communautés imaginées ». Les membres d'une ethnie auraient des valeurs communes et s'identifient comme membres de celle-ci.
 On peut la considérer comme une communauté de taille plus ou moins importante reposant sur une parenté élargie (cette parenté pouvant être fictive ou réelle) avec un ou des ancêtres communs (fictifs ou réels).La réalité peut être très complexe. Les Peuls qui sont des pasteurs nomades se différencient des agriculteurs sédentaires Toucouleur alors qu'ils parlement la même langue, ont la même religion à savoir l'islam sunnite. Quoiqu'il en soit le terme ethnie reste un terme flou et délicat à définir: ce mot est d'ailleurs toujours en discussion surtout qu'il a souvent une connotation négative. Les ethnies, quelque soit leurs perceptions, ne correspondent pas ou très rarement à des espaces clairement délimités comme le sont les états.: iI existe des discordances spatiales entre ethnies et états. Quoiqu'il en soit, le (s) problème (s) ethnique (s), réels ou imaginaires, sont devenus un élément clé de nombreuses tensions. 

 -des “ethnies” au coeur de la structuration sociale et politique

  • Les “ethnies” structurent les sociétés africaines. Pour plusieurs spécialistes, elles sont, au moins en partie, des constructions et des inventions occidentales permettant de classer et de dominer les différents peuples. Comme nous l'avons déjà signalé le concept d'ethnie est vague même si il est couramment utilisé. On sait que les trois quart des langues du continent sont de la même famille linguistique celle des langues bantoues. Le terme Bantu est avant tout un terme linguistique et non ethnique. On sait que les locuteurs de ces langues se sont progressivement disséminés de l'Afrique Occidentale vers le bassin du Congo puis vers l'Afrique australe. Il existe plusieurs centaines de langues bantoues sans qu'il y ait autant d'ethnies identifiables. Les colonisateurs dans le processus de colonisation ont voulu identifier et fixer les populations afin de mieux les contrôler d'où l'idée et la nécessité de les faire entrer dans des catégories nommées soit tribus soit ethnies, les deux mots étant souvent pour les colonisateurs proches. Les Européens ont eu une fâcheuse tendance à la classification: il fallait nommer les peuples avec même la création d'ethnonymes avec le risque d'inventer des groupes. Dans ces inventaires, des “noms ethniques” ont disparu alors que d'autres ont été créés.
  • Les français ont ainsi créé l'ethnie des “bétés” en Côte d'Ivoire, un terme désignant des populations encore insoumises de Côte d'Ivoire au début du 20e siècle. Le mot Yoruba, qui au début désignait les habitants de la région d'Oyo dans l'actuel Nigeria, a été utilisé par les Britanniques pour évoquer une zone géographique beaucoup plus étendue avec certes des individus de langue et culture assez proche mais aux structures organisationnelles différentes. Le mot Yoruba a fini par désigner un groupe “ethnique” large. En ce qui concerne l'Ethiopie, les Galla dont le nom est présent dans des textes de l'Antiquité sont devenus les Oromos. Parallèlement, certaines appellations recouvrent des contours vagues et on peut ajouter que l'appellation d'un groupe dépend aussi des locuteurs: le mot Touareg est l'appellation arabe d'individus se nommant eux-mêmes Kel Tamacheq (du pays de langue tamacheq). 
  • De plus, pour différencier les ethnies, on utilise souvent la langue alors que l'Afrique est une babel linguistique et que le classement des langues est délicat conduisant les linguistes européens à différencier des langues qui dans la réalité appartiennent au même groupe linguistique. A cet égard, l'idée qu'il existe une ethnie bantoue peut s'avérer problématique au regard de la langue car cet ensemble nommé bantous se structure par rapport à plus de 450 langues différentes. Dans le cas que nous verrons juste après, les Hutus et les Tutsis du Rwanda partagent la même langue ce qui n' a pas empêché les problèmes. 
  • Il faut donc prendre garde au lien supposé entre langue et ethnie surtout que certaines langues sont devenues des langues véhiculaires parlées par des ethnies différentes comme le swahili parlé dans une grande partie de l'Afrique de l'Est. Il faut également préciser que les classements opérés par les Européens ont parfois eu tendance à être des classements hiérarchisés mettant en valeur certaines ethnies au détriment d'autres (voir Rwanda). L'exemple du Rwanda est intéressant à ce niveau: Les Hutus et les Tutsis ne se différencient pas par la langue, l'histoire ou la culture: ils sont une création coloniale en l'occurrence des Belges. 
  • De plus, avant la colonisation, de nombreux territoires étaient partagés avec des peuples différents mais qui parlaient la même langue. De plus, des langues comme l'arabe ou le songhaï sont des langues parlées et utilisées comme langues véhiculaires sans être liées aux peuples les parlant. 
  • Si les ethnies sont des constructions même partielles, on ne peut nier l'existence de langues, de croyances, de systèmes de parenté constitutifs de groupes qui se différencient eux-mêmes des autres. Les ethnies sont quoiqu'il en soit des productions de l'histoire (avant même la colonisation) et ne sont de ce fait pas des réalités immuables.Comme nous l'avons vu, elles ne sont pas l'unique réalité des sociétés africaines. 

 - des ethnies instrumentalisées par les pouvoirs 

  • Les états africains sont des états pluriethniques. Pour les gouvernants, il s'agit là d'une réalité qu'il convient de prendre en compte et de gérer. Les états africains s'appuient sur des classements ethniques comme c'est le cas en Côte d'Ivoire où le pouvoir ivoirien a repris à son compte l'ethnie bété pourtant création française aboutissant au fait qu'actuellement de nombreux ivoiriens (Ouest de la Côte d'Ivoire) se revendique comme tel. Parallèlement, il y a eu territorialisation des ethnies et ce dès la colonisation avec la volonté de fixer les populations: il est plus facile de contrôler des populations fixées que mobiles.
  • Le problème est qu'un certain nombre de dirigeants africains s'appuient sur cette réalité pour affirmer leur pouvoir en s'appuyant sur un peuple ou des tribus voire un clan. En effet, il existe un lien fort entre le contrôle du pouvoir et l'appartenance ethnique. Ainsi, au Rwanda des années 1960 aux années 1990, le pouvoir est contrôlé par des dirigeants Hutus qui vont mener une politique de discrimination à l'égard de ceux identifiés comme Tutsis. La crise et la guerre du Darfour, (une région du Soudan, province du Nord-Ouest) sont liées au pouvoir et à l'instrumentalisation des ethnies notamment entre populations arabes et non arabes: ces dernières se perçoivent comme discriminées par un pouvoir central contrôlé par les populations arabes. Les pouvoirs en Afrique utilisent à des fins politiques les ethnies. Un lien fort s'est tissé entre ethnie et identité renforcé par la territorialisation des ethnies évoquée antérieurement. Dans certains états, les tensions sont particulièrement fortes d'où la mise en place de solutions à priori intéressante. Un état comme le Nigeria a opté pour un “fédéralisme ethnique”. En effet, ce pays est constitué de plusieurs ethnies: Haoussas, Ibos, Yorubas, Peuls....
  • S'ajoutent une grande diversité linguistique (450 langues) ainsi qu'une diversité religieuse entre chrétiens, musulmans et animistes. Pour tenter de faire cohabiter les différents groupes, le Nigeria a choisi une organisation fédérale avec un découpage en 36 régions devant permettre aux différentes communautés de s'exprimer et de cohabiter. Néanmoins, cette organisation fédérale n'empêche pas les tensions. Le fait “ethnique” est devenu un des éléments de plusieurs conflits, un élément souvent instrumentalisé par les pouvoirs en place. Dans plusieurs états, la vie politique se structure en fonction des catégories ethniques. Dans le cas de la Guinée, trois ethnies majeures sont présentes représentant 80% des habitants (population de 10 millions d'individus): les Peul qui constituent 35% de la population guinéenne, les Malinké 32% de la population et les Sosso 15%.Dans les années 1950-60, les population Peul et Malinké entrent en concurrence pour le contrôle du pouvoir: à partir de 1958, ce sont les Malinké qui d'ailleurs ont le pouvoir notamment par le biais du dictateur Sékou Touré. A sa mort en 1984, un coup d'état porte au pouvoir un général: Lassana Conté, un Sosso. La situation change donc bien que ce dernier soit dans l'obligation de composer avec les ethnies dominantes. 

 Bilan: 

 Dans son livre Afriques noires de 2001, Roland Pourtier utilise une notion fort judicieuse pour évoquer les identités africaines: il utilise l'expression “d'identités gigognes”. Les Africains ( comme n'importe quels individus sur la planète d'ailleurs) ont plusieurs identités qui s'emboîtent: ils sont liés à une famille, un lignage, un clan, une ethnie, un état et une nation... Il ajoute que ces identités sont évolutives car elles se transforment. Dans le cadre de l'analyse des identités africaines, il ne faut pas négliger la dimension religieuse qui fait partie de l'identité. 
Avant le développement du christianisme et de l'islam, l'Afrique était avant tout animiste, une dimension qui n'a pas disparu, bien au contraire. Il faut aussi préciser l'importance des syncrétismes religieux dans cette partie du monde. Actuellement, on note une importance accrue des dynamiques religieuses avec, en particulier une rivalité et une “compétition” entre christianisme et islam.
 Il est intéressant également de souligner l'importance dans certaines régions des messianismes et des nouvelles églises comme le Kibanguisme en République démocratique du Congo. Jouent aussi un rôle important les confréries dans l'islam africain comme le montre le cas de la confrérie Mouride au Sénégal. 

C/ La difficile construction de l'Etat-Nation: le transfert délicat du modèle importé européen

Pourquoi peut on considérer l’importation du modèle de l’état-nation comme un échec? Les spécialistes de l'histoire africaine différencie les systèmes politiques africains (avant la colonisation) entre deux groupes: les sociétés à état et les sociétés sans état (sociétés acéphales) sachant qu'actuellement l'Afrique est structurée en états sur le modèle européen de l'état-nation. Il faut insister sur le fait qu'il existe dans plusieurs états africains ce qu'on peut nommer des “mémoires d'état” montrant que la notion d'état n'est pas seulement une importation coloniale et européenne: mémoires d'état liés aux anciens Empires et royaumes africains dont l'un des symboles est le royaume du Monomotapa au Zimbabwe (13e et 14e siècle après J-C). Une fois l'indépendance acquise, les dirigeants africains ont dû construire à la fois l'état et forger la nation. Mais on peut considérer qu'en Afrique subsaharienne l'état reste embryonnaire. 
Il s'agit de ce fait d'un double objectif: unir les individus dans le cadre d'une nouvelle nation et mettre en place un état capable de gérer les tensions, de mettre en oeuvre des politique de développement... Les pouvoirs politiques devaient et doivent répondre à de très importants défis : politiques, économiques, sociaux... Les indépendances acquises laissent espérer un avenir meilleur: c'est le “temps des espérances” selon l'expression utilisée par Hélène d'Almeida- Topor. Avec la fin des Empires coloniaux, c'est 46 états qui naissent en plus de l'Ethiopie et du Liberia. Les grands ensembles comme l'AEF, l'AOF ont été démantelés. Depuis se sont ajoutés l'Erythrée, le Soudan du sud.. Les états africains sont très différents tant par le nombre d'habitants que la superficie.
Certains états sont particulièrement importants par leur superficie: la République démocratique du Congo a une superficie de 2,344 860 millions de km carré, le Soudan de 1 879 357, le Tchad 1 284 000, le Niger 1 267 000... 
Au niveau de la population, un état comme le Nigeria a plus de 206 millions d'habitants, l'Ethiopie plus de 110 millions... Inversement, certains états sont de dimension réduite avec une population peu nombreuse: Les Seychelles ont une superficie de 460 km carré pour environ 100 000 habitants; Sao Tomé une superficie de 960 km carré pour 200 000 habitants, la Gambie une superficie de 11 300 km carré pour 2,4 million d'habitants.... 

 a/ Des constructions confrontées à la diversité des sociétés africaines

Suite à la décolonisation, les hommes politiques ont voulu créer des états modernes capable de répondre aux attentes des populations. 

 - des unités difficiles à construire et parfois à maintenir

  •  Les états nouvellement indépendants sont liés aux héritages coloniaux et doivent organiser l'état, fonder un projet partagé pour des populations loin d'être homogènes. Il faut construire un état et une nation et poser les bases d'une cohésion de l'état et de la nation. Dans cette optique, il faut évoquer l'importance du territoire qui est un des fondements de l'état- nation. Les états indépendants ont préféré garder le découpage opéré avant les indépendances avec des frontières considérées comme intangibles (reconnaissance par l' OUA).
  • Un autre choix possible concerne le nom de l'état à choisir ou garder: changer de nom, c'est rompre avec le colonisateur qui l'a imposé: on peut à cet égard parler de décolonisation toponymique. Le changement de nom peut se faire simplement en utilisant la langue locale ou en se référant à l'histoire d'avant la colonisation. En 1957, la Côte de l'Or devient le Ghana en référence à l'Empire du Ghana qui a contrôlé une partie de l'Afrique de l'Ouest entre les 8e et 11e siècle après J-C (le terme Ghana signifierait “héros” en langue soninké).Il faut préciser avec une certaine ironie que l'ancien Empire du Ghana ne correspond pas territorialement à ce qu'est aujourd'hui et depuis 1957 le Ghana. L'Oubangui-Chari devient la République centrafricaine en août 1960, le Soudan français, le Mali en septembre 1960 en référence là aussi à l'Empire du Mali du 13e siècle après J- C, le Nyassaland devient le Malawi en juillet 1964, la Rhodésie du Nord, la Zambie en octobre 1964... 
  • Plus tardivement, le Congo belge se transforme en Zaïre en 1971, le Dahomey en République du Bénin en 1975 en lien avec le nom du Golfe du Bénin lui -même ancien nom d'un royaume du Bénin ou encore la Rhodésie du Sud en Zimbabwe signifiant maisons de pierre en référence aux structures de pierres de l'Empire du Monomotapa en 1980 ou la Haute-Volta en Burkina-Faso en 1984, un nom signifiant “pays des hommes intègres”. On peut ajouter que les nouveaux états modifièrent dans certains cas le nom des villes: Tananarive à Madagascar devient Antananarivo, Léopoldville devient Kinshasa en 1966... Dans la construction de l'état-nation, il fallait également lier les luttes anticolonialistes et le processus des indépendances notamment en rappelant les liens entre les luttes et rébellions contre les colonisateurs et les indépendances. Ces rébellions devaient faire partie intégrante de l'histoire nationale à construire. 
  • Ainsi quand la Tanzanie devient indépendante, les leaders indépendantistes dont Julius Nyerere se sont considérés comme les héritiers de la rébellion des maji-maji ayant eu lieu entre 1905 et 1907 contre la puissance coloniale allemande de l'époque, une révolte qui a certes échoué (au moins 75 000 morts pour les rebelles) mais qui a imprégné l'imaginaire national en formation en Tanzanie. De même en Afrique du Sud où les populations noires n'hésitaient pas à se référer à la lutte des Zulus au 19e siècle contre les Britanniques. Dans plusieurs états, des hommes ayant lutté contre les colonisateurs ou ayant contribué à des faits historiques de premier plan ont été glorifiés comme Samory en Guinée, El Hadj Omar au Mali ou Béhanzin au Bénin. Samory Touré était à la tête au 19e siècle de l'Empire Wassoulou (ou Empire Mandingue) entre 1878 et 1898 qui résista longtemps à l'armée française (il meurt en captivité en 1900). 
  • Le premier président de la Guinée indépendante à savoir Ahmed Sékou Touré est son arrière petit-fils. El Hadj Omar de son vrai nom Umar Foutyou Tall est le fondateur de l'Empire Toucouleur au 19e siècle également sur une partie de l'actuel Mali. Ce souverain musulman est vu comme un fondateur d'Empire. Béhanzin (1840-1906), roi du Dahomey de 1890 à 1894, a résisté aux forces françaises plusieurs années avant de se rendre et d'être déporté avec sa famille à la Martinique. L'histoire joue donc un rôle important dans la formation de l'état-nation. On peut ajouter l'importance symbolique des surnoms donnés aux personnages clés des indépendances: Nkwamé Nkrumah, le grand leader ghanéen, était appelé l'Osaqyefo soit le faiseur de victoires; Jomo Kenyatta, l'indépendantiste kényan était surnommé le Mzee soit le vieux lion, Julius Nyerere, Mwalimu soit le professeur-maître... Les “pères fondateurs” des états indépendants ont joué un rôle important dans l'identification aux états-nations naissants: ils sont toujours comme des guides et des personnifications de l'indépendance même si ils ont pu être contestés. 
  • lls sont confrontés à une unité difficile à réaliser. Dans un premier temps, les institutions choisies pour forger l'état-nation étaient souvent calquées sur le modèle des anciennes métropoles coloniales sachant que les conseillers juridiques des nouveaux chefs d'état avaient été formés dans les métropoles coloniales. Ainsi, la Constitution française de 1958 inspire les Constitutions de plusieurs états d'Afrique francophone avec un pouvoir exécutif plutôt dominant. Très rapidement, les régimes en question deviennent des régimes présidentiels bien qu'il y ait une Assemblée. Il faut préciser que le modèle de l'état nation est un modèle importé d'Europe ne correspondant pas aux réalités africaines. Les états naissants n'ont pas de tradition nationale: il faut de ce fait construire à la fois l'état et la nation. 
  • Dans une très grande majorité de cas, le choix a été fait d'instaurer un parti unique donc d'éviter la démocratie et d'imposer un état autoritaire. Il s'agit d'une dérive quasi généralisée avec la confiscation du pouvoir par quelques hommes et des partis uniques. Pour expliquer le passage au parti unique, les dirigeants africains avançaient l'idée que cela facilitait la construction de la Nation.
  •  Le parti qui devient unique était le plus souvent le parti nationaliste majoritaire à la tête des indépendances acquises. Le problème est que ces systèmes à parti unique se sont transformés en régimes autocratiques durables. De plus, un certain nombre de ces dirigeants et partis uniques sont des organisations pensant davantage à piller et à profiter des ressources de leurs états qu'à les développer. Parallèlement, dans les années 1960, plusieurs dirigeants ont fait le choix économique d'un socialisme à l'africaine ou de ce qu'on nomme un capitalisme d'état: l'état était pour eux l'unique moyen de réaliser l'unité des pays. Parallèlement, ces états ont été dirigés par des individus à la forte personnalité ayant acquis une grande légitimité lors de l'accession à l'indépendance. Ces hommes politiques se sont appuyés sur des élites dont une partie avait été formée dans les anciennes métropoles coloniales mais aussi sur l'armée. Toutefois, il fallait former des cadres dirigeants et les états indépendants firent appel soit aux anciennes puissances coloniales soit à des pays comme les E-U ou l'URSS en fonction de leurs idéologies. La construction des états nations supposait également de lutter contre les forces jugées contraires à la nation en construction d'où la lutte contre les revendications tribales ou ethniques, ce qu'on pourrait appeler aussi les régionalismes. Il faut savoir que les dirigeants africains ont su jouer sur les identités pour imposer leur domination. De multiples coups d'état ont eu lieu et ont encore lieu. De nombreux coups d'état ont ont eu lieu et ont réussi entre 1963 et 1969 concernant 15 pays tout de même (14 autres états sont concernés entre 1969 et 1989). Des pays ont connu plusieurs coups d'état comme le Dahomey (Bénin) en 1965, 1967, 1969 ou 1972; le Burkina-Faso en 1974, 1980, 1982, 1983 et 1987. 
  • Entre 1963 et 1991, les états concernés par des coups d'état en plus du Dahomey et du Burkina-Faso sont le Togo, le Gabon, le Zaïre, la République centrafricaine, le Nigeria, le Ghana, le Burundi, la Sierra Leone, le Congo, le Mali, le Soudan, la Somalie, l'Ouganda, Madagascar, le Rwanda, le Niger, l'Ethiopie, Le Tchad, la Mauritanie, la Guinée équatoriale, le Libérai, la Guinée-Bissau, le Lesotho, le Swaziland, la Somalie. Ces coups d'état ont lieu aussi bien dans d'anciennes colonies françaises que Britanniques donc pas de lien entre un éventuel héritage politique et ces coups d'état (idée fausse d'une tradition Britannique de démocratie). Ces coups d'état ont différentes orientations idéologiques et pas seulement communistes. Il faut également souligner que dans plusieurs cas, les hommes au pouvoir s'appuient sur leur clan ou sur un groupe sur de de la population. D'ailleurs, dans de nombreux états africains, différentes types de pouvoir coexistent ou se superposent: pouvoir des anciens, pouvoir des clans ou des chefferies... Certes, il y a bien eu l'utopie du panafricanisme mais celle-ci n'a jamais eu de réalité bien qu'elle ait été porté par des hommes politiques de qualité comme John Peter Kaumau connu sous le nom de Kenyatta (homme d'état kényan) ou N'Krumah. Kenyatta, avant d'être considéré comme le père fondateur de la nation kényane avait participé en 1945 à l'organisation du congrès panafricaniste de Manchester (le cinquième).
  • Le ghanéen Kwame N'Krumah fut un de ceux qui développa le plus intensément la dimension panafricaniste en militant pour une identité supranationale. Il créa la première organisation panafricaniste: le West African National Secretariat concernant l'Afrique de l'Ouest. L'organisation de l'unité africaine est pour l'instant une vaine tentative d'unité. L'état africain post-colonial dont l'un des objectifs était la réalisation de l'unité nationale est un état fragile: entre 1960 et 1990, on dénombre 79 coups d'état. Ces états africains sont trop fortement instables. Il n'est pas démocratique donc peu en lien avec les citoyens et la société civile.Les états doivent en théorie reposer sur des structures fiables (administrations, ministères...), assurer un minimum de services. Il est également un instrument de régulation et de gestion des tensions. Or ces fonctions ne sont pas vraiment remplies par les états africains. 
  • Ces états ont des difficultés à gérer leurs territoires et leurs frontières: ces dernières sont souvent poreuses. Dans le même registre, il a des difficultés à gérer en interne son territoire avec des zones pouvant échapper au contrôle du pouvoir central. Les défaillances sont nombreuses dans la gestion des flux de marchandises, dans la lutte contre les réseaux illégaux... Les états n'ont pas la volonté de remettre en question un système qui rapporte à leurs dirigeants et à leurs fidèles: c'est ce que J. F Bayart nomme la “politique du ventre”. Les économies sont non seulement contrôlées par quelques oligarchies mais également détournées: la corruption est devenue un mode de fonctionnement. Dès lors, la construction de l'unité et de la nation ne peut qu'être difficile. Il faut insister sur la diversité des systèmes et régimes politiques. Certains états sont anciens comme l'Ethiopie, d'autres sont des états fondés sur des clivages claniques forts... 
  • Quelques états sont en voie de désagrégation comme la Somalie ou ne contrôlent pas des zones devenus grises : RDC avec le Kivu par exemple. Surtout les Etats africains sont pris dans deux logiques : « logiques centrifuges et consolidation » (Atlas de l’Afrique, un continent émergent : 2016). Les frontières des Etats sont certes globalement stables mais il y a eu dès les indépendances des logiques dites centrifuges avec des groupes revendiquant l’indépendance dans le cadre d’Etats africains récemment indépendants comme ce fut le cas en RDC avec le Katanga, le Nigeria avec le Biafra... Ces logiques ont perduré comme le montrent la séparation entre l’Ethiopie et l’Erythrée en 1993 ou plus récemment la scission du Soudan en 2011 avec la naissance d’un Soudan du sud. 

 -Comment unir la nation dans le cadre de la diversité ?

  •  Comme nous l'avons déjà perçu, cette volonté d'unité se heurte à des situations complexes: de nombreux états sont composés de peuples qui doivent cohabiter et vivre ensemble mais aussi de religions et de langues différentes parfois en forte opposition. Il y a donc la nécessité de construire une nation. 

 b/ Construire la nation: un acte pourtant fondateur

Les élites africaines, inspirés par le “modèle de l'état-nation européen” ont voulu forger des nations dans un contexte multiethnique et d'identités plurielles. 

-La question de la construction nationale

  •  Ils ont utilisé des vecteurs classiques pour construire la nation: le choix de symboles (hymnes, drapeaux...), mis l'accent sur l'école et l'éducation, le choix d'un nom pour le nouvel état... Ainsi, certains états vont choisir un nom lié à un passé d'avant la colonisation: Mali, Bénin (anciennement le Dahomey) en lien avec une histoire prestigieuse (Empire du Mali, Royaume du Bénin...) ou Ghana en lieu et place de Gold Coast, Burkina-Faso anciennement Haute-Volta jusqu'en 1984 comme nous l'avons vu antérieurement. L'expression Burkina signifie homme intègre en langue mooré (langue parlée par une majorité de Burkinabés dont les Mossis, le peuple majoritaire: 53%) et Faso la maison des ancêtres en langue dioula (une langue véhiculaire utilisée en Afrique de l'Ouest pour les échanges).
  • D'autres moyens sont exploités comme la culture et le sport: ce dernier permet de développer une identité forte (Coupe d'Afrique des Nations de football). Pour renforcer l'unité et la cohésion, certains états utilisent l'histoire avec des individus, des héros nationaux qui vont légitimer l'état-nation comme Béhanzin au Bénin, El Hadj Omar Tall au Mali fondateur de l'Empire Toucouleur dans la première moitié du 19e siècle... 
  • Les Etats lors des indépendances sont confrontés à un « millefeuille identitaire » selon l’expression utilisée dans l’Atlas de l’Afrique un continent émergent. La présence de nombreux groupes ethno-linguistiques, les différentes dynamiques religieuses ont rendu difficile et rendent encore délicate la construction nationale. 

 -des nations confrontées à des problèmes et des conflits 

  • Il faut mettre l'accent sur le poids des guerres civiles et ce dès les années 1960. On peut s'appuyer sur deux exemples marquant: le Congo Belge et le Nigeria. Lorsque le Congo Belge devient indépendant en 1960, très rapidement la situation va dégénérer. Tout d'abord, il y a une lutte pour le pouvoir entre le Président Joseph Kasavubu et son Premier minsitre d'inspiration marxiste Patrice Lumumba. 
  • Parallèlement, la province du Katanga décide de faire sécesssion à l'initiative de Moïse Tschombé. Ce dernier reçoit l'appui de puissances et d'entreprises occidentales qui lui fournissent argent et mercenaires: Il est vrai que cette province est riche en minerais très convoités. En janvier 1961, Lumumba est assassiné (on sait que les E-U étaient favorables à son élimination par crainte d'une extension du marxisme en Afrique) ce qui déclenche un soulèvement de ses partisans dont Antoine Gizenza qui va même jusqu'à créer un état indépendant à Kisangani l'ancienne Stanleyville. Le pouvoir en place finit par s'imposer notamment en 1963 par le contrôle du Katanga et plus tardivement par rapport aux rebelles de Kisangani. Cette dernière est prise en 1964 avec l'aide de troupes américaines, belges et anglaises ce qui montre le poids et l'ingérence des puissances notamment occidentales dans ce conflit. 
  • En octobre 1965, un coup d'état a lieu amenant au pouvoir le général Mobutu qui s'attribue les pleins pouvoirs: un Mobutu qui se maintient au pouvoir jusqu'en 1997 instaurant un régime autoritaire à parti unique (le Mouvement populaire de la révolution) devenant en 1982 le maréchal-président d'un état devenu le Zaïre en 1971 à son initiative. Le Nigeria est devenu indépendant en 1960 sous la forme d'une fédération d'états en l'occurrence trois dont un, celui du Nord, dominant démographiquement. En 1966, deux coups d'état ont lieu avec l'arrivée au pouvoir du général Gowon qui décide de modifier la fédération en la divisant en 26 états afin d'atténuer la domination du Nord. 
  • L'état de l'Est à majorité Ibo est lui aussi modifié et les Ibo (un peuple à majorité chrétienne et animiste) qui dirigeait cet état sont mécontents car ils perdent le contrôle de régions pétrolifères.  Ils réagissent en faisant sécession et en créant la République du Biafra en mai 1967. 
  • Les Ibo souhaitaient aussi s'émanciper de la tutelle des Haoussas un peuple à grande majorité musulmane. Une guerre se déclenche, la guerre du Biafra: une guerre d'une grande violence dans laquelle s'impliquent des puissances étrangères avec une République du Biafra soutenue par la France et la Chine. Le conflit se termine en 1970 avec la victoire du gouvernement central, un conflit ayant provoqué une famine et au moins un million de victimes. La construction de la nation est difficile et est un défi: les peuples constituant les états sont multiples et peuvent avoir des volontés séparatistes. De plus, les hommes politiques ont joué sur leurs appartenances claniques, tribales ou ethniques pour conforter leur pouvoir rendant ainsi difficile la construction nationale.
  •  L'état-nation en Afrique est en partie en crise. D'abord, le continent est aujourd'hui morcelé en 52 états avec un nombre important de conflits toujours en cours: RDC, Soudan, Somalie, Mali, Tchad... (l'expression d'Afrique balkanisée est utilisée). Les états africains ont gardé généralement les cadres administratifs de la période coloniale privilégiant les espaces centraux en l'occurrence les littoraux ou/et les capitales. Des zones périphériques sont de ce fait délaissées: des zones qui peuvent devenir rétives à la nation. On peut mettre l'accent sur les états dits faillis (failed state) ou du state collapse à savoir l'effondrement de l'état. Dans plusieurs états, les fonctions régaliennes ne sont plus assurées: l'état n'est plus en mesure d'assurer la sécurité du territoire, il n'est pas en mesure également d'assurer la sécurité des biens et des personnes, la corruption est généralisée, le système éducatif inefficace et les services de santé sont assurés par des ONG ou des structures onusiennes (OMS, Unicef...). Bilan Plusieurs problèmes se posent concernant l'état et la nation en Afrique subsaharienne. Tout d'abord, l'exercice du pouvoir est souvent opaque avec des pouvoirs se superposant: pouvoir des chefferies et des anciens souvent à l'échelle locale, pouvoir régional, pouvoir central... De plus, on peut considérer que les états africains souffrent de deux maux: des états autoritaires ou inversement des états défaillants.  La dérive autoritaire est ancienne: elle existe depuis les indépendances avec de nombreux états organisés autour de partis uniques, dirigés par des dictateurs s'appuyant sur des clans, des “ethnies”... 
  • Il existe aussi comme nous l'avons vu des états défaillants où les fonctions régaliennes ne sont pas assurées. Les états africains sont peu institutionnalisés et légitimes.Les états dits modernes supposent un contrat social respecté par une Constitution, des institutions qui ne sont pas contrôlées par un clan, un individu avec un réel équilibre des pouvoirs et des fonctions régaliennes. 
  • Or, en Afrique ces éléments sont rarement présents et effectifs. Comme nous l'avons déjà signalé, il existe des états faillis ou ce que Philippe Hugon nomme des “états débordés”. Ces états ont des difficultés à exercer leurs fonctions que ce soit le contrôle des frontières, la sécurité intérieure...avec dans certains cas des régions qui échappent au pouvoir central comme le Puntland et le Somaliland en Somalie. On peut considérer que plusieurs sociétés africaines fonctionnent sans état véritable comme la Somalie ou la République centrafricaine.  Un autre problème est le rôle et le poids parfois trop important des forces armées. Au moment des indépendances, les armées devaient jouer une fonction d'incubation de la nation or très rapidement elles sont devenues un instrument du pouvoir ou/et ont pris le pouvoir (voir le nombre très élevé de coups d'état en Afrique. 
  •  De nombreux états sont également trop liés à une économie rentière ce qui n'a pas permis dans la plupart des cas de développer de véritables secteurs industriels. A cette économie de rente s'ajoute souvent une hypertrophie du secteur public. Plusieurs guerres et conflits internes s'expliquent par la volonté de contrôler les rentes en question. De plus, ces états pratiquent ce que Jean-François Bayart appelle la “politique du ventre” consistant à acheter les électorats par des aides et des prébendes: les hommes politiques se constituent ainsi des clientèles qu'il convient de récompenser. Le pouvoir politique repose trop souvent sur des réseaux et des clientèles, sur des compromis entre les composantes de la société.
  • Les hommes politiques africains portent une lourde responsabilité dans ce que l'Afrique est devenue. A l'origine, ils voulaient fonder des états modernes mais pour réaliser leurs objectifs, ils ont instauré des régimes politiques autoritaires avec un parti unique. Il faut savoir que les pouvoirs traditionnels n'ont pas été nécessairement détruits et sont restés en place: c'est le cas du système des chefferies. Ces hommes politiques ont néanmoins cherché à légitimer leur pouvoir soit en utilisant l'histoire avec par exemple des partis politiques légitimés par les guerres d'indépendance menées au moment de la décolonisation comme l'ANC en Afrique du Sud ou le FLN en Algérie ou dans le cas du Maroc parce que le roi est le commandeur des croyants. 
  • Certains pouvoirs sont en place parce qu'ils ont le soutien de puissances extérieures: leur légitimité n'est donc pas interne mais externe. A cela se greffe le fléau de la corruption et de ce qu'on nomme l'économie détournée que les états ne cherchent pas à modifier quand ils ne l'encourage pas sans oublier que de plusieurs façons, les états africains sont dépendants de l'extérieur que ce soit des institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale ou de l'aide des grandes puissances. La démocratie est loin d'être acquise en Afrique subsaharienne bien que les puissances comme l'Union européenne l'encourage (voir les Accords de Cotonou). Le Nepad a également fait de la transition vers la démocratie un enjeu important mais le passage à une démocratie effective est encore loin d'être assuré. 
  • Certes, pour reprendre une expression de Magrin, Dubresson et Ninot dans l'Atlas de l'Afrique, celle-ci est “engagée dans un processus de décompression autoritaire“comme le montre la fin de l'apartheid ou la moindre importance des régimes autoritaires. Néanmoins, l’état de droit est peu présent, les minorités ne sont pas toujours respectées, la corruption est importante... Les pratiques dites clientélistes demeurent.

Bilan : 

L’Afrique politique en 2020 Trois problèmes qui perdurent : la corruption, les coups d’état et les régimes autoritaires 

 1/ La corruption 

  •  L’indice de corruption mis en place par Transparency international (chiffres 2019) est à cet égard intéressant/ Il s’agit d’un indice allant de 0 à 100 et plus on se rapproche de 100 moins le pays est corrompu sachant que le score moyen est de 432 à l’échelle mondiale. Les pays les moins corrompus sont le Danemark, la Nouvelle-Zélande et la Finlande avec des scores respectivement de 87 pour les deux premiers et de 86 soit des scores très élevés. L’indice pour la France est de 69 (23e rang mondial) et celui des Etats-Unis de 69 également. 
  • La majorité des Etats africains sont sous la moyenne mondiale : les plus corrompus étant la Somalie avec un indice de 8,le Soudan du Sud avec 12, le Soudan avec 16,la Guinée équatoriale avec 16 également... 

 2/ Les coups d’état 

  •  Les coups d’état sont fréquents : le dernier en date a eu lieu au Mali en août 2020 où l’armée a pris le pouvoir. Les coups d’état touchent tout le continent : le seul point positif est qu’ils diminuent. 
  • Les derniers sont hormis le Mali, les coups d’état au Gabon le 7 janvier 2019, au Burkina-Faso en septembre 2015, au Burundi en mai 2015, au Zimbabwe en novembre 2017 et au Soudan en avril 2019. Seuls les coups d’état au Soudan, au Mali et au Zimbabwe ont réussi. 

3/ Les régimes autoritaires. 

  •  Les régimes autoritaires sont toujours majoritaires en 2020 avec l’absence de pluralisme politique, avec des institutions jouant un rôle purement formel, des élections non libres quand elles se déroulent sans oublier la censure et la répression. Parmi ces régimes et états autoritaires, on peut noter la Mauritanie, la Guinée ; le Niger, le Tchad, le Soudan ; la RDC, le Mozambique, le Gabon... 
  • Existent des démocraties dites imparfaites avec des élections libres, des libertés civiles plutôt respectées mais des problèmes de corruption et une « culture de la démocratie » encore incomplète : Namibie, Afrique du Sud, Lesotho, Botswana, Ghana Un seul pays est considéré comme une démocratie totale : Maurice Enfin certains régimes sont dits hybrides avec des élections mais souvent irrégulières, des contraintes sur les partis d’opposition et un état de droit faible : Madagascar, Zambie, Tanzanie, Nigeria, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Sénégal... 
  •  Pour terminer , on peut dresser une typologie des régimes politiques africains en reprenant celle de Philippe Hugon en 6 types: Les autocraties réformistes Ce sont des régimes reposant sur un pouvoir charismatique avec un réel consensus social (“dictature éclairée”). Au niveau des institutions et de l'économie, on note une stratégie d'ouverture avec un état interventionniste. L'état est un état fort assurant un minimum de sécurité intérieure mais ne respectant pas toujours l'état de droit. Dans ces autocraties, l'armée joue un rôle notable comme élément de modernisation. Souvent, le pouvoir est détenu par un militaire. 
  • L'Egypte, l'Ethiopie, l'Ouganda, le Maroc, le Rwanda entrent dans cette catégorie Les dictatures Elles sont présentes en Afrique avec des systèmes où les libertés publiques n'existent pas tout comme l'état de droit, l'économie est contrôlée avec des ressources mobilisées pour la guerre et le contrôle du pays. Il s'agit de dictature militaire où l'armée est donc le pivot de l'état (l'armée contrôle l'état et les institutions.  L'Erythrée, le Zimbabwe, le Soudan et le Swaziland sont concernés. Les autocraties patrimonialistes Ce sont des régimes qualifiés de semi militaire avec une alliance entre le pouvoir et une oligarchie avec un fort clientélisme. Ce sont des économies de rente. 
  • L'armée est présente formant un complexe souvent militaro-pétrolier. L'Angola, le Congo, Djibouti, la Guinée équatoriale, la Mauritanie et le Tchad entrent dans ce cadre. Les régimes rentiers Ce sont ces états dit kleptocrates avec des institutions très personnalisées mais des états ne parvenant pas à assurer la sécurité intérieure. L'état a une faible légitimité et le territoire est souvent clivé. En ce qui concerne les forces armées, on peut utiliser le vocable de mafias militaires avec des armées contrôlant les trafics, les ressources... La Guinée-Bissau, le Cameroun ou le Nigeria sont des régimes de ce type. Les états fragiles post conflits ou encore en conflits Le territoire n'est pas contrôlé avec de fortes fractures territoriales. La sécurité intérieure n'est pas assurée, l'état a perdu sa légitimité... 
  • L'économie est une économie de guerre et de trafics. Au niveau militaire, il existe des milices et une armée régulière incapable de contrôler le pays ou en difficulté. Parfois, on relève une intrusion de forces armées étrangères. Le Libéria, la Sierra Leone sont des états fragiles post conflits alors que la République centrafricaine, le Mali, la RDC, la Somalie, le Soudan du Sud, la Côte d'Ivoire (entre 2000 et 2010) sont des états en conflits. Des démocraties plus ou moins matures Existence d'un état de droit (avec une Constitution respectée) avec des contre-pouvoirs, des économies de marché et une certaine croissance. Les institutions fonctionnent tout comme les administrations. La société civile est bien présente et le territoire est globalement sécurisé. Les armées ont un poids assez limité et sont subordonnées au pouvoir politique. Parfois, les régimes militaires sont encore présents mais sont transitoires. Entent dans cette catégorie: l'Afrique du Sud, le Botswana, le Ghana, le Kenya, l'île Maurice et à un degré moindre: le Bénin, le Burkina- Faso, le Sénégal et Madagascar.
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