Chapitre 1/ Le monde en 1913 : vers la fin d'un monde européen ?

Introduction

Le 20e siècle est un siècle de tumultes jalonné par des guerres d'une ampleur exceptionnelle, des guerres dites totales et mondiales, des crises économiques d'envergure dont la crise de 1929 est est un symbole, de nouvelles idéologies (fascisme, nazisme, communisme) dont la nature et l'application ont eu des effets profonds, des génocides d'une ampleur exceptionnelle... 
Isaiah Berlin écrivait à propos de ce siècle : « Je m'en souviens seulement comme du siècle le plus terrible de l'histoire occidentale ». 
Pour réutiliser l'expression de l'historien britannique E. Hobsbawm, le 20e siècle est le « siècle des extrêmes ». Il s'inscrit néanmoins dans une continuité : continuité de l'état-nation tel qu'il émerge au 19e siècle et des nationalismes, continuité des luttes impériales... et dans le cadre d'un processus de mondialisation qui s'est accéléré à partir du 19e siècle. 
 Plus récemment, pour l'historien britannique Ian Kershaw dans son livre intitulé L 'Europe en enfer (2016) « le XXe siècle européen est un siècle de guerre. Deux guerres mondiales, suivies de plus de quarante années de « guerre froide »-elle même un produit direct de la Seconde guerre (…). au cours du XXe siècle, l'Europe alla d'un enfer à un autre ». 
Winston Churchill avait également affirmé en 1901 que « les guerres des peuples seront plus terribles que celles des rois. ». La modernité contemporaine est donc celle de guerres d'un nouveau genre, particulièrement destructrices. Nous allons indirectement évoquer ces enfers en abordant trois dates cruciales correspondant pour deux à des portes d'entrée des enfers : 1913 et 1939 et pour l'autre, 1945, une sortie ( en théorie) des enfers. 

1913 : l'année des « derniers feux de la belle époque » (M. Winock). C'est aussi l'année de publication du recueil de poèmes Alcools d'Apollinaire, un Guillaume Apollinaire qui paiera cher sa participation à la Première guerre mondiale (comme Péguy, Alain-Fournier et tant d'autres écrivains) ; année de la traversée en avion de la Méditerranée par un certain Roland-Garros : une traversée signe d'Européens qui entreprennent, agissent, innovent... 1913 : une année s'inscrivant dans un début de siècle également sous tensions : tensions entre la France et l'Allemagne, guerres dans les Balkans avec deux guerres balkaniques en 1912 et 1913... Néanmoins qui aurait imaginé un conflit mondial embrasant l'Europe ? Qui aurait imaginé la « mort de l'Europe » dans un conflit fondamentalement évitable mais que personne n' a voulu éviter ? En 1913, sans le savoir à l'époque, l'Europe, pour utiliser l'expression de Ian Kershaw est au « bord du gouffre » et 1914-1918 seront les années de « la grande catastrophe »
Paris en 1913

1/ La domination sans partage de l'Europe : l'apogée de la belle époque


En 1913, l'Europe domine le monde : une domination presque sans partage bien que de nouvelles puissances s'affirment comme les E.-U ou le Japon. Ce monde, dominé par l'Europe, l'est à tous les niveaux : politique, économique, culturel ou technologique. C’ est un monde hiérarchisé : quelques pays européens industrialisés et puissants comme le Royaume-Uni à la tête d'une économie monde dite britannique, l'Allemagne ou la France, des puissances fragilisées comme La Russie ou l'Empire ottoman (« l'homme malade de l'Europe »), des puissances émergentes et en devenir : les E.-U et le Japon et des territoires exploités et dominés dans le cadre notamment des grands Empires coloniaux. L' Europe est notamment une puissance économique, commerciale et financière presque sans rivaux.

 A/ Une domination économique hors norme 

 Les années 1880-1913-14 sont un temps fort d'un capitalisme qui change devenant un capitalisme industriel connectant les différents territoires de la planète et s'inscrivant dans ce que certains nomment la première véritable mondialisation (Suzanne Berger et son ouvrage : Notre première mondialisation). Cette première mondialisation et ce capitalisme sont générés par l'Europe, une Europe qui est devenue économiquement le pôle majeur de la planète.

 a/ Une puissance industrielle incontournable
 
  • L' Europe est avant tout une puissance industrielle exceptionnelle : seuls les E.-U sont en mesure de rivaliser avec les puissances européennes. En 1913, l'Europe occidentale représente 43% de la production industrielle mondiale. Les trois premières puissances industrielles sont européennes : l'Allemagne qui devance depuis peu l'Angleterre et la France. Les grands foyers industriels se localisent dans ces pays ou dans des pays proches : Midlands et Lancashire en Angleterre autour des pôles industriels de Birmingham, Manchester ou Liverpool ; bassin de la Ruhr ou de la Saxe en Allemagne, Nord de la France... La multiplication des innovations technologiques a notamment permis aux industries européennes de dominer. De grandes firmes européennes sont aussi les symboles de cette puissance industrielle comme les groupes allemands Thyssen ou Krupp, le groupe français Schneider...  Le groupe Krupp est lié à son fondateur à savoir Friedrich Krupp qui fonde en 1811 une forge près de la ville de la Ruhr d'Essen.
  •   L'entreprise va surtout se développer à partir des années 1850 et de la Seconde révolution industrielle et notamment l'essor des chemins de fer. Cet essor est en grande partie le fait d'Alfred Krupp qui fait de Krupp un groupe sidérurgique d'envergure mondiale mais aussi un groupe fabriquant des armes. L'entreprise passe de 1800 ouvriers en 1860 à plus de 45 000 en 1887 : elle est un des symboles du capitalisme industriel allemand. La nouveauté est le fait signalé plus haut que l'Angleterre, si dominante au 19e siècle à telle enseigne qu'on pouvait parler de pax britannica (elle était la première puissance industrielle en 1870 avec un tiers de la production mondiale), est désormais dépassée par l'Allemagne. Il s'agit là d'un élément à prendre en compte dans la rivalité entre ces deux pays et les tensions de plus en plus importantes entre eux. 

 -les Révolutions industrielles et l' industrialisation : les éléments moteurs et vecteurs de la domination européenne 

  •  La force de l'Europe est liée aux Révolutions industrielles : celles-ci ont joué un rôle déterminant pour le développement économique et ont permis aux Européens (ainsi qu'aux Américains avec la Seconde révolution industrielle) de prendre une avance très importante, et d'asseoir leur domination. Il faut rappeler que les Révolutions industrielles s'inscrivent dans un contexte historique et culturel particulier s'appuyant notamment sur une révolution scientifique. Les Révolutions industrielles ont permis à l'Europe de conforter et d'accroître sa puissance. 
  • La première Révolution industrielle, avec comme lieu de naissance et d'émergence l'Angleterre, connaît son démarrage à partir du milieu du 18e siècle (années 1740) avec une accélération dans la première moitié du 19e et des secteurs moteurs comme le textile et la fonte : elle a lancé un processus d'industrialisation bouleversant les économies et les structures sociales avec l'exode rural, l'accélération de l'urbanisation, l' émergence de la classe ouvrière, la domination de la bourgeoisie industrielle.... 
  • La seconde Révolution industrielle, à partir des années 1860-1880, renforce le processus : une seconde Révolution industrielle dont les points d'ancrage géographique sont les E.-U et l'Allemagne qui ont de manière plus systématique que les autres lié science et technologie. Le processus d'industrialisation ne peut être séparé des évolutions scientifiques et techniques décisives comme le moteur à combustion de Daimler et Benz, le procédé Bessemer dans la sidérurgie : l'avance occidentale est également scientifique et technique. 
  • La première Révolution industrielle amorce ce que Kenneth Pomeranz a appelé « la grande divergence » en l'occurrence la divergence entre l'Europe et la Chine alors qu'à la fin du 18e ces deux ensembles géographiques étaient très proches au niveau de la puissance et des atouts dont ils disposaient ; la Seconde creuse encore davantage les écarts : des écarts qui seront particulièrement difficiles à combler. 

-des industries reflets de la domination économique européenne 

  •  Les Révolutions industrielles ont notamment comme effet la mise au point et le développement de nouvelles industries qui ont eu un impact économique considérable et on permis à l'Europe l'affirmation de la puissance. Aux industries textile et métallurgique de la première Révolution industrielle vont s'ajouter les industries sidérurgique, chimique, les débuts de l'industrie automobile... de la seconde Révolution.
  •  Ces industries, notamment celles liées à la seconde Révolution industrielle, voit la naissance des premiers grands groupes industriels est ce que les économistes appellent le capitalisme industriel.
  • En effet, le système capitaliste se développe par des firmes industrielles : des firmes qui peu à peu se concentrent pour former des groupes géants. C'est l'Europe qui détermine la division du travail de l'époque : elle est « l'usine du monde » et ses exportations sont à 90% des produits manufacturés et inversement importe des produits primaires dont elle ne dispose pas.
  • Il faut néanmoins souligner que ce capitalisme industriel prend des formes quelque peu différentes selon les états. Le capitalisme britannique est davantage fondé sur le libre échange : les Britanniques bénéficiant d'un Empire colonial immense et sont à cette époque l'atelier du monde. 
  • Le capitalisme américain à partir des années 1870 se caractérise par une concentration des firmes formant ce qu'on nomme des trusts avec un état américain plutôt protectionniste contrairement à une idée reçue. 
  • Toutefois, les E.-U ont fini par mettre en place un système antitrust avec le vote en juillet 1890 de la loi Sherman qui est complétée en 1914 par la loi Clayton (Clayton Antitrust Act) En Allemagne, se sont constitués également de grands groupes les Konzerns mais ce capitalisme allemand repose sur un état présent et une réelle politique sociale en faveur des ouvriers. Bismarck fait voter ainsi des lois sociales comme la loi de 1883 créant une assurance maladie, des lois sur les accidents du travail en 1884, des lois instaurant une assurance vieillesse et invalidité en 1889. 

 b/ Un commerce mondial contrôlé par les Européens 

 Les Européens profitant de leur supériorité économique, financière, technologique exercent une domination commerciale sans partage ou presque dans le cadre d'une intensification des échanges commerciaux sans précédent dans l'histoire. 

 -L' Europe : la première puissance commerciale mondiale 

  •  L' Europe contrôle les deux tiers des échanges et du commerce mondial en 1913 : des échanges représentant en valeur 40 milliards de dollars (20 fois plus que dans les années 1830) et en particulier plus de 80% des échanges de produits manufacturés. Le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France sont les principales puissances commerciales européennes : en 1913, l'Angleterre réalise 15% des échanges mondiaux et l'Allemagne 13% : la rivalité commerciale de ces deux puissances européennes est de plus en plus vive. Plusieurs éléments favorisent la puissance commerciale européenne : la monnaie internationale est la livre sterling (elle est d'ailleurs un symbole de la puissance britannique), les principales places boursières et financières sont européennes, les grandes firmes sont également européennes tout comme les grandes flottes commerciales. Enfin, l'explosion commerciale s'explique aussi par la baisse des coûts du transport, baisse elle même liée aux avancées techniques. L' Europe profite de l'essor exceptionnel du commerce, un commerce favorisant la croissance économique. 

 -une puissance fondée sur le contrôle des transports et des océans 

  •  Incontestablement, la puissance commerciale européenne est renforcée par le contrôle des mers et océans ainsi que des transports en particulier le transport maritime. Ce contrôle est essentiel pour conforter et assurer la puissance comme l’affirmait Alfred Mahan (sea power). 
  • L' Europe contrôle les moyens de transport qu'ils soient terrestres ou maritimes : l'Europe domine aussi technologiquement.
  •  Les Européens sont à l'origine d'une révolution qui est celle de la vitesse grâce notamment à la vapeur. La révolution des transports est marquée par trois éléments fondamentaux : la navigation à vapeur certes mais aussi le développement du chemin de fer et la construction des canaux interocéaniques. Les navires à vapeur deviennent particulièrement performants à partir des années 1840-1850 corrélativement à la mise au point d'hélices pour propulser efficacement les navires en question. 
  • Ces navires vont aller de plus en plus vite, de 10 nœuds soit environ 20km/h) dans les années 1850 à 20-25 nœuds dans les années 1910. Parallèlement, ces navires transportent de plus en plus de marchandises : entre 1850 et 1914 , le tonnage des navires à vapeur est multiplié par 22. 
  • En 1914, on atteint 45 900 000 tonnes de marchandises transportées (contre 5 820 000 en 1820). 
  • Les grands ports mondiaux sont européens à l'image de Londres, Liverpool ou Anvers tout comme les marines marchandes et militaires dominantes sont aussi européennes ce qui permet de dominer les échanges et de contrôler les mers et océans. Les ports deviennent fondamentaux dans le maillage des transports internationaux et contribuent au développement de plusieurs façades maritimes. 
  • A la veille de la Première guerre mondiale, ce sont les ports britanniques qui dominent avec pour Londres le premier port mondial mais aussi les ports de Liverpool, Southampton... sans oublier le port de Cardiff est fondamental dans le développement de la ville puisqu'il facilite les exportations du charbon gallois. 
  • Se développent les ports de la façade nord-ouest de l'Europe avec les ports du Havre, d'Anvers, de Rotterdam et de Hambourg, ce dernier étant au début du 20e siècle, le port le plus important du continent. Il faut signaler le dynamisme des ports américains comme ceux de New York, Boston, Baltimore ou Philadelphie. Si les principaux ports sont européens confirmant la domination du monde par l'Europe, on peut signaler que des ports non européens profitent de l'intensification des échanges internationaux notamment par leur fonction d'entrepôt. 
  • C'est le cas du port de Valparaiso (Chili) devenu fondamental en Amérique latine et dans le Pacifique sud ou encore Singapour, une ville néanmoins sous contrôle britannique depuis 1819. 
  • Ce sont d'ailleurs les Européens qui sont à l'initiative de la construction des nouveaux points de passage comme le canal de Suez : ces points de passage sont des accélérateurs du commerce mondial. Dès 1820 un canal est construit permettant en Egypte de relier la ville d'Alexandrie au Nil ce qui dynamise la ville en question ; en 1825, le canal de l' Erié permet le lien entre les grands lacs américains et le littoral atlantique contribuant au développement de cette zone géographique et à l'affirmation du port de New York... 
  • Mais ce qui est fondamental est la construction de canaux interocéaniques. Le canal de Suez est construit entre 1859 et 1869 avec une inauguration officielle le 17 novembre 1869. 
  • En 1875, les Britanniques prennent le contrôle financier du canal en rachetant les parts de l'Egypte (une Egypte trop endettée et contrainte de vendre ses parts) : un contrôle renforcé lorsque le Royaume-Uni prend le contrôle de l'Egypte en 1882 au détriment de l'empire Ottoman. 
  • Le canal de Suez devient un enjeu essentiel pour les états européens puisqu'il est devient une route majeure dans le cadre de la mondialisation facilitant les liens entre l'Europe et l'Asie. Un peu plus tard est construit le canal de Panama dont la construction est lancée en 1881 par une français Ferdinand de Lesseps dont le projet ne peut aboutir . Le canal est terminé bien plus tard et il est inauguré en août 1914 : un canal sous contrôle des E-U. En novembre 1903, les droits de construction et d'exploitation du canal ont été octroyés aux E.-U par le Panama devenu indépendant cette même année en se détachant après trois ans de conflit de la Colombie. 
  • Les indépendantistes panaméens avaient été soutenus par les E.-U. On peut aussi ajouter la construction du canal de Kiel en Allemagne en 1895 permettant la connexion entre la mer du Nord et la mer Baltique. 
  • Enfin, il ne faut pas négliger l'importance des chemins de fer.
  •  En 1830 est ouverte la première ligne en Angleterre entre Manchester et Liverpool, une ligne clé dans une des régions les plus industrielles de ce pays. A l'échelle planétaire, le nombre de km de voies ferrées atteint 35 000 km en 1850 et surtout plus d'un 1 million en 1914. Les Etats-Unis à eux seuls en contrôlent 300 000 km et on sait l'importance des chemins de fer aux E-U dans le développement économique et le contrôle du territoire (conquête de l'Ouest). 
  • Entre 1891 et 1903 est construite une ligne devenue emblématique du rôle des chemins de fer à savoir en Russie, le transsibérien : cette ligne a permis à la Russie de se développer davantage et notamment d'exporter le charbon exploité en Sibérie. Par le biais de ces éléments, le coût des transports ne pouvait que diminuer avec une baisse de l'ordre de 70% entre 1840 et 1910 pour les transports internationaux.
  •  La révolution européenne des transports a également conduit à une certaine spécialisation économique des régions du monde et à leur développement : l'Argentine a pu exporté sa viande vers l'Europe et les E.-U tout comme l'Australie a plus aisément exporté sa laine de mouton. Surtout, le développement des transports, et il faut insister sur cet aspect, a aussi permis aux grandes puissances de s'affirmer encore plus politiquement notamment dans les colonies (entre 1853 et 1914, le Royaume-Uni a construit à peu près 50 000 km de voies ferrées en Inde).
  • Ce développement permet donc aux puissances d'organiser le maillage de la planète selon leurs besoins ce qui conduit à la mise à l'écart de certains territoires ou à la valorisation d'autres comme les littoraux. 

c/ Des investissements au service de la puissance 

-des investissements européens généralisés..

  •  L' Europe bénéficie d'une hégémonie financière (60% de l'or monnayé dans le monde en 1914) : forte de sa puissance économique et financière, elle procède à des investissements importants. 90% des capitaux investis à l'étranger le sont par pays européens. 
  • Le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France mais aussi les Pays- Bas ou la Belgique sont les investisseurs principaux. Les flux de capitaux sont donc essentiellement européens. 
  • Ces investissements importants répondent à plusieurs objectifs : accroître les profits, augmenter la puissance et l'influence (objectif géopolitique)... 
  • Le principal investisseur est le Royaume-Uni : près de la moité des capitaux investis sont britanniques en 1913. La répartition des capitaux investis est intéressante : une partie mais pas la partie la plus importante est à destination de l'Empire colonial (47% en 1914 des capitaux investis) et la majorité des capitaux (près de 53%) sont investis hors de l'Empire colonial notamment vers les Etats-Unis (20%) et l'Amérique latine (20%). 
  • Le second investisseur mondial est la France. Contrairement à ce qu'on pourrait penser la plus grande partie des investissements ne concerne pas l'Empire colonial ( à peine 9% seulement des capitaux investis) mais l'étranger (plus de 91%) dont l'Europe (plus de 60%). En Europe, la France a privilégié la Russie : la stratégie d'investissement dans l'Empire des Tsars s'explique pour une raison politique : il s'agit de privilégier un axe franco-russe face à l'Allemagne. 
  • Enfin, le troisième investisseur, l'Allemagne, son Empire colonial étant particulièrement réduit, ses investissements sont à 99% à destination de l'étranger : plus de 53% en Europe et plus de 45% hors d'Europe. L' Allemagne privilégie la zone balkanique ainsi que l'Autriche et la Turquie pour des raisons stratégiques (élargir sa zone d'influence). 

-...aux effets inégaux sur les territoires concernés 

  •  On constate donc que les investissements des grandes puissances européennes ne privilégient pas les colonies. De plus, les investissements dans les Empires coloniaux sont inégaux : on s'aperçoit ainsi que le Canada est la partie de l'Empire où les Britanniques investissent le plus alors qu'il n' est pas démographiquement la zone majeure. Ces investissements ont des retombées financières certaines pour les pays européens (10% du revenu national britannique) mais, c'est le cas pour la France, réduisent les investissements nationaux. 
  • Enfin, il faut insister sur le fait que ces investissement s'inscrivent dans les rivalités entre puissances européennes : ils ne sont pas purement économiques. Les investissements de l'Allemagne dans l'Empire ottoman sont ainsi perçus négativement par les Britanniques. Ces derniers voient dans ces investissements allemands une façon d'accroître leur influence au Moyen-Orient qui est une zone en partie contrôlée par le Royaume-Uni. 

d/ L’Europe : un espace d'émigration massive favorisant l'européanisation du monde 

 Le long 19e siècle (jusqu'en 1914) est marqué par des vagues migratoires européennes très importantes : les principaux pôles émetteurs sont à l'époque des Etats européens. 

-des vagues d'immigration majeures façonnant les « nouveaux mondes »

  •  Les vagues d'immigration européenne furent considérables du 19e au début du 20e siècle. Entre 1840 et 1913, plus de cinquante millions d'Européens quittent l'Europe.
  •  Il faut noter que la majorité des mouvements migratoires ont lieu dans les années 1880-1914 avec des vagues pouvant monter jusqu'au million de migrants par an (début 20e).
  •  Ces vagues ont plusieurs origines géographiques : Europe du Nord, Royaume-Uni et Irlande (surtout entre 1850 et 1880), Europe centrale et méditerranéenne entre 1880 et 1914. Les destinations principales sont en premier lieu les E.-U, terre d'immigration par excellence, le Canada, l'Amérique latine (Argentine, Brésil...) et dans une bien moindre mesure les empires coloniaux. 
  • Le cas des E.-U est intéressant puisque ce pays attire les deux tiers des migrants européens. Entre 1850 et 1880, les principaux migrants viennent de Grande-Bretagne avec un pic en 1870 de plus de 103 000 migrants, d'Irlande (pic en 1850 plus de 160 000 migrants) mais aussi des pays scandinaves (pic en 1880 : plus de 65 000 migrants) et d'Allemagne (pic en 1870 : plus de 118 000). 
  • A partir des années 1880, les flux sont majoritairement en provenance d'Europe centrale et du Sud.
  •  On note notamment des vagues de migrants très importantes en provenance d'Italie avec deux pics impressionnants en 1913 et 1914 de plus de 250 000 migrants (1914 : plus de 278 000). Les migrations en provenance de Russie et des pays baltes sont aussi très conséquentes avec un pic en 1913 : plus de 291 000 migrants tout comme celles d'Europe centrale (1907 : plus de 338 000 migrants). Les E.-U représentent véritablement la terre d'une réussite possible : ce pays est passé d'ailleurs de 4 millions d'habitants en 1789 à plus de 90 millions à la fin du 19e siècle : les migrations représentant une bonne partie de cette croissance. 

 -s'expliquant par plusieurs facteurs génèrant la diffusion du « modèle européen » 

  •  Ces vagues de migrations du « vieux continent » s'expliquent par plusieurs facteurs : des facteurs conjoncturels liés à des crises économiques ou autres dans certains pays comme en Irlande dans les années 1848-1852 avec la crise de « la pomme de terre » ; des facteurs économiques et sociaux durables : la misère et les difficultés poussent des Européens à quitter leurs régions : Siciliens, Calabrais, Sardes quittent une Italie du Sud pauvre. 
  • Pour comprendre le phénomène, il faut préciser que l'Europe est en phase de transition démographique au 19e siècle (450 millions d'habitants en 1914) et connaît un processus d'industrialisation induisant un fort exode rural. Or, les pays européens ne peuvent fournir à tous des emplois et des conditions de vie décentes : partir devient de ce fait une solution à la fois pour les individus et les Etats concernés (un moyen de lutte contre le chômage). Aux facteurs évoqués peuvent se greffer des facteurs politiques et/ou religieux : fuite de persécutions, de guerres...
  •  On peut rappeler que ces migrations peuvent également s'inscrire dans le cadre de politique(s) (répressive des Etats) comme l'illustrent les peuplements de l'Australie, de la Nouvelle-Calédonie ou de l'Algérie. Ces migrations ont incontestablement favorisé la diffusion du « modèle européen » : les migrants viennent avec leurs cultures, leurs langues.... Ils forment dans les pays d'accueil des communautés gardant au sens large leur(s) culture (s). Les E.-U, le Canada, l'Argentine... sont des pays « européens » bien qu'ils aient forgé leur identité propre. 

 B/ Une hégémonie politique et idéologique sans équivalent 

a/ Des puissances politiques majeures au cœur des relations internationales 

 Quelques puissances européennes se sont affirmées et sont les pivots des relations internationales à savoir le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France. D'autres puissances sont plus secondaires ou n'ont pas, n'ont plus les moyens de leurs ambitions : Empire austro-hongrois, Russie des Tsars. 
La suprématie européenne est forte, notamment la suprématie de l'Europe de l'Ouest. Cette puissance de l'Europe repose sur plusieurs fondements : une démographie active avec une Europe (avec la Russie) totalisant en 1900 environ 423 millions d'habitants soit 27 % de la population de la planète, une suprématie technologique et scientifique, une suprématie commerciale et industrielle, une suprématie financière. Les Européens grâce à leur domination économique, financière et technologique ont réussi à conquérir le monde 

 -le Royaume-Uni, une économie-monde puissance incontournable du 19e 

  •  Le Royaume-Uni est la puissance clé du 19e siècle : elle l'est encore en 1913 bien qu'elle soit contestée. Jusqu'aux années 1870-80, l'Angleterre assurait le tiers de la production mondiale avant d'être rattrapée progressivement en Europe par l'Allemagne. Les années 1850-1901 (1901 : mort de la reine Victoria) ont marqué l'apogée de la puissance britannique. On peut même évoquer une économie-monde britannique qu'illustre le long règne de Victoria.
  • Dans les années 1880, le Royaume-Uni, représentait  30% de la production mondiale de biens dits manufacturés avec, 30 millions d'habitants en 1881 et une ville, Londres qui symbolise la puissance.
  •  En 1913, le Royaume-Uni est toujours une puissance économique, financière et commerciale majeure. Il possède le premier Empire colonial au monde : un Empire de 450 millions d'individus pour une superficie de 33 millions de km carré. Le Royaume-Uni est également une puissance politique et militaire disposant de la plus grande flotte de guerre. 
  • Cette flotte permet le contrôle des mers et océans : le Royaume-Uni est la puissance maritime du monde. La puissance politique s'est traduite par de multiples interventions extérieures : guerre de Crimée en 1856, guerre dite des Boers au début du siècle en Afrique du Sud... 
  • Cette puissance politique prend appui sur un fort courant nationaliste ayant conscience de la puissance britannique: le jingoïsme (mot tiré d'une chanson patriotique), une expression inventée en 1878 dans le cadre de fortes tensions en Orient notamment avec la Russie. faisant référence à un patriotisme exacerbé. 
  • Mais, en 1913, le Royaume-Uni apparaît comme moins fort qu'il ne l'était au 19e siècle. Ce « déclin » relatif commence à partir des années 1880 où la production n'est plus que de 1,6% par an, il en est de même pour la croissance qui après 1900 est à moins de 1% par an. Les signes de ralentissement sont apparus depuis les années 1880. 
  • Au niveau économique, il est dépassé en Europe par l'Allemagne et la seconde Révolution industrielle est née aux Etats-Unis et en Allemagne. Les gains de productivité se ralentisse et des difficultés à l'exportation montrent une économie-monde britannique en passe d'être rattrapée .
  • L'industrie anglaise est moins puissante : les grandes innovations liées à la seconde Révolution industrielle ne sont pas anglaises. Le Royaume-Uni représente encore 15% du commerce mondial en 1913 mais cette part était de 21% en 1900. 
  • De plus, il est en déficit commercial : certes ce déficit est compensé par l'argent des capitaux investis à l'étranger mais il est un signe d'une économie concurrencée et moins dominante. Les structures du capitalisme anglais vieillissent, les investisseurs britanniques préfèrent investir à l'étranger. Au niveau politique, la question irlandaise pose de plus en plus problème avec un mouvement nationaliste irlandais, le Sinn Féin de mieux en mieux structuré.
  •  En Irlande du Nord, les tensions sont particulièrement importantes entre le Sinn Féin et le mouvement orangiste protestant qui souhaite le maintien de l'Irlande dans le Royaume-Uni. Ce dernier a néanmoins décidé de rompre ce qu'on appelait le « splendide isolement » par lequel le Royaume-Uni pensait pouvoir décider seul. 
  • En 1904, le Royaume-Uni et la France décident une « entente cordiale » puis à partir de 1907, les Britanniques signent un traité avec la Russie. Les Britanniques sont, en fait, de plus en plus inquiets de la montée de la puissance allemande. Mais comment peut-on expliquer ce déclin d'une puissance qui paraissait inébranlable au 19e siècle ? 
  • Pour certains, ce déclin est lié à un démarrage économique très ancien avec la 1e révolution industrielle et l'avance de l'Angleterre ne pouvait que fondre surtout que d'autres états avaient suivi le mouvement en tirant d'ailleurs profit des découvertes britanniques.
  •  Des historiens affirment que le maintien d'un immense empire colonial aurait pesé sur l'économie britannique ou surtout que le capitalisme britannique est progressivement devenu financier (rôle clé de la City) avec une industrie quelque peu délaissée et également une monnaie, la Livre sterling trop forte ce qui est un handicap au niveau des exportations et du commerce extérieur. A cela s'ajoute le choix d'un libre échange alors que dans le même temps, plusieurs économiques (comme la France à partir des années 1880 ou les Etats-Unis) optent pour un protectionnisme certain : pour les exportations anglaises ce la devient donc plus difficile. 
  • Bien entendu, tous ces facteurs peuvent se combiner pour expliquer ce déclin. 

 -Allemagne, France : des puissances continentales majeures 

  •  Par contre, l'Allemagne est la puissance montante depuis les années 1870 et son unification. Au niveau économique, elle est une puissance dominante possédant des atouts réels : sources d'énergie abondante (charbon...), une population nombreuse (67,8 millions en 1914) lui procurant une main d' œuvre importante et globalement bien formée grâce à un système de formation performant... L' Allemagne possède de grands groupes industriels, les cartels, qui symbolise cette puissance économique. Les grands groupes (Konzerns) de la sidérurgie et de la chimie en témoignent : Thyssen, Krupp... 
  • D'autres firmes comme AEG ou BASF sont des firmes dominantes. Au niveau commercial, ses exportations entre 1887 et 1912 ont augmenté d'environ 300% (de 3,1 milliards de marks à 8,9 milliards). Ainsi,l' Allemagne produit en 1913 plus d'acier que l'Angleterre et la France réunies à savoir 18;3 millions de tonnes contre 7,7 pour le Royaume-Uni et 4,7 pour la France : c'est un des symboles de la puissance qu'est devenue l'Allemagne.
  •  L' Allemagne s'appuie donc sur des secteurs économiques et industriels performants, de grands groupes (Krupp dispose de 73 000 salariés en 1913, le groupe Thyssen de 30 000...) mais aussi des banques dynamiques comme Deutsche bank qui finance notamment la formation du groupe AEG (Allgemeine Elektrizität Gesellschaft) ou encore la Dresdner bank. Cette économie cherche toutefois de nouveaux marchés percevant le marché allemand comme trop limité, une recherche qui inquiète ses rivaux comme le Royaume-Uni. 
  • Elle est devenue une puissance politique et militaire de premier ordre depuis la guerre gagnée contre la France de Napoléon III en 1870-71. Elle a de ce fait des ambitions : ambitions coloniales, des ambitions contrariées certes ; ambitions géopolitiques comme le développement d'une sphère d'influence en Europe centrale et orientale mais aussi au Moyen-Orient (Empire ottoman). 
  • Les dirigeants allemands pensent que les puissances européennes comme le Royaume-uni, la France ou la Russie font tout pour limiter les ambitions allemandes qu'elles soient économiques et coloniales. L' Allemagne est notamment à la recherche d'espaces à dominer afin de développer son empire colonial limité. Il faut ajouter qu'à cette époque se développe une pensée géopolitique allemande dont Friedrich Ratzel est le symbole. 
  • Ce dernier affirme que la puissance d'une nation est liée à son dynamisme démographique, un dynamisme que connaît l'Allemagne et l'affirmation de la puissance par le contrôle direct ou indirect de territoires. S'appuyant sur ces éléments, les dirigeants allemands souhaitent à la fois contrôler ce qu'ils nomment la Mitteleuropa à savoir l'Europe centrale en s'appuyant sur l'allié qu'est l' Empire austro-hongrois et se forger un Empire colonial digne de ce nom.
  • Parallèlement se développe l'idéologie pangermaniste dont l'un des objectifs est la réalisation d'une grande Allemagne comprenant toutes les populations d'origine allemande. L'association Alldeutscher Verband est ainsi une association (plus de 20 000 membres) qui se forme en 1891 et donc l'un des dirigeants principaux dans les années 1900 est Heinrich Class qui milite pour une politique expansionniste tout en faisant preuve d'un fort antisémitisme. Ce mouvement est né à l'issue d'un échange contesté entre l'Allemagne et l'Angleterre : les Allemands ont récupéré l'île de Helgoland en mer du Nord en accordant aux Britanniques l'île de Zanzibar et l'Ouganda (les pangermanistes estimaient cet échange inégal).
  • Ce mouvement réclamaient aussi la germanisation des territoires du second Reich ayant des populations polonaises. L' Allemagne a donc des ambitions comme toute puissance d'ailleurs. 
  • La France est encore en 1913 une des puissances sur lesquelles il faut compter. Toutefois, économiquement, la France n'est pas capable de rivaliser véritablement avec le Royaume-Uni et l'Allemagne mais elle dispose d'atouts notables. Parmi ces derniers, une richesse financière réelle : la Société générale et le Crédit lyonnais sont deux des banques les plus puissantes d'Europe, une industrie pouvant être performante avec des secteurs dynamiques comme le secteur électrique, la sidérurgie (la France est en 1913 le 3e producteur de fer), l'industrie automobile naissante (Peugeot, Renault...) dont la production est en 1914 de 107 535 automobiles soit le premier rang européen et le second rang mondial derrière les E.-U. La France possède elle aussi des groupes industriels performants : groupe de Wendel, Compagnie générale d'électricité, Saint- Gobain ( première firme française avec 24 usines et 20 000 ouvriers). Par contre, la France a également des faiblesses : une démographie atone avec une natalité faible : 37,5 millions d'habitants en 1880 et seulement 39,6 millions en 1914 ; des investissements nationaux trop faibles et une concentration industrielle jugée trop peu importante (en 1906, 99% des entreprises ont moins de 50 ouvriers). Ce qui inquiète en particulier les hommes politiques de l'époque est la faiblesse démographique d'une France qu'on peut qualifier de malthusienne. Son accroissement naturel est faible s'expliquant par plusieurs facteurs conjugués : des paysans qui craignent le partage des exploitations avec une famille nombreuse, des familles aisées (bourgeoisie) qui voient le nombre d'enfants davantage comme une charge. 
  • Se greffe le processus de déchristianisation qui accentue le phénomène. Les effets de cette démographie ralentie sont évidents sur les mentalités et l'idée que la France perd de sa puissance alors que le rival allemand connaît une démographie bien plus forte. Certains historiens font le lien entre ce malthusianisme démographique et un malthusianisme qui serait économique avec des Français qui épargnent beaucoup (trop) et investissent peu : en 1913, les Français ont ainsi placé pour 43 milliards de francs or à l'étranger sur des placements perçus comme étant sans aucun risque. 
  • Face à cette démographie, l'armée française est inquiète et les dirigeants politiques répondent à cette inquiétude et rallongeant la durée du service militaire qui passe à trois ans en 1913. Au niveau politique et géopolitique, la France dispose toutefois du second Empire colonial : un Empire source de fierté et de grandeur mais la France ne s'est pas véritablement remise de la défaite de 1870 : la perte de l'Alsace et de la Moselle reste une fracture ouverte. 
 -des puissances secondaires : Empire d'Autriche-Hongrie, Empire de Russie 

  •  Deux Empires : l'Empire d'Autriche-Hongrie et l'Empire russe, sur lequel nous reviendrons plus tard, sont également des puissances en Europe. L' Empire austro-hongrois est incontournable en Europe centrale et Vienne est une des grandes capitales culturelles de l'Europe de l'époque. Mais cet Empire est jugé déclinant en particulier depuis les années 1860 et sa défaite contre la Prusse en 1866. De plus cet Empire multinational est « victime » de la poussée des mouvements nationalistes et séparatistes internes s'inscrivant dans les revendications nationales. L' Empire d'Autriche-Hongrie ne paraît plus à avoir les moyens de ses ambitions.

 b/ Colonisation et empires coloniaux : une traduction de la puissance européenne 

 -la formation et le développement des Empires coloniaux

  •  Les puissances européennes sont des puissances coloniales et donc des puissances impérialistes : l'impérialisme européen est la traduction d'une puissance hors norme. Le phénomène de colonisation européenne débute aux 15e-16e siècles avec l'Espagne et le Portugal auxquels vont se joindre l'Angleterre, les Provinces-Unies ou la France à partir du 17e siècle. 
  • Le 19e siècle est une nouvelle étape du processus de colonisation puisque un nouveau continent, l'Afrique, est colonisé et partagé entre Etats européens. Le congrès de Berlin en 1885 est une étape à la fois décisive et symbolique de ce partage du « gâteau africain ». Certaines puissances européennes vont se forger de véritables Empires.
  •  Ainsi en 1913, l'Empire britannique, déjà évoqué, est le premier des Empires coloniaux (450 millions d'habitants pour 33 millions de km carré) : il permet au Royaume-Uni une présence mondiale. Le Royaume-Uni contrôle une partie de l'Afrique : la partie orientale de l'Egypte à l'Afrique du Sud mais aussi des territoires d'Afrique de l'Ouest (Gold Coast...) ; est présent en Asie par l'intermédiaire de l'Inde (« perle de la couronne »), de la Birmanie... 
  • Autre Empire dominant, l'Empire français avec ses 11 millions de km carré et 50 millions d'habitants seulement. La France contrôle l'Afrique du Nord, une partie notable de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale (AOF et AEF), l'Indochine en Asie (Laos, Cambodge, Vietnam). D'autres Etats européens ont des colonies mais elles n'ont pas la dimension des colonies britanniques et françaises. La Belgique dispose du Congo : un Congo propriété personnelle du Roi des Belges (Léopold II) dans les années 1880 et devenue colonie belge en 1908 ; l'Italie contrôle la Somalie et l' Erythrée. 
  • L' Allemagne dispose de quelques colonies : elle s'est lancée tardivement dans le processus : possessions en Afrique : Sud-Ouest africain (Namibie), Cameroun, Togo, Tanganika (Tanzanie) et quelques possessions dans le Pacifique comme une partie des îles Samoa, les îles Mariannes et Carolines achetées à l'Espagne. Les puissances coloniales ont généré une division du travail reposant sur des colonies productrices de produits bruts et de matières premières qui sont ensuite transformés en Europe puis exportés notamment vers les pays dits neufs.
  • Enfin, il est intéressant de mettre l'accent sur l'Asie lorsqu'on évoque les impérialismes européens. Comme le rappelle Pierre Grosser dans son livre L'histoire du monde se fait en Asie, « L'Asie est entrée réellement dans le jeu international des grandes puissances » au 19e siècle. Les grandes puissances européennes déjà présentes dans une partie de l'Asie depuis le 16e siècle vont profiter de l'affaiblissement notamment de l'Empire chinois au 19e. 
  • Cet Empire chinois est contraint suite aux guerres de l'opium des années 1840 de s'ouvrir dans un premier temps à la puissance britannique puis aux autres puissances européennes sans oublier les Etats-Unis. Ce que Grosser nomme « l'intrusion occidentale » change la donne pour l'Asie. 

 -une source de puissance, de rayonnement mais aussi de rivalités 

  •  La possession de colonies est pour les Etats européens un instrument de leur puissance. Elles ne sont pas seulement un apport économique et financier : celui-ci s'avère assez limité (le cas français le montre). Mais pour les gouvernements, elles signifient un rayonnement accru. Etant source de rayonnement et de puissance, les colonies sont également sources de rivalités et de conflits. 
  • Les crises marocaines de 1905 et de 1911 entre la France et l'Allemagne témoignent de ces rivalités. Le Maroc avait su pendant longtemps préserver son intégrité au moins jusqu'à la mort du sultan Moulay Hassan. Ses successeurs : Moulay Abdelaziz (1894-1908) et Moulay Abdelhafid (1908-1912 date de son abdication) n'y parviendront pas.
  •  En 1905, la France a déjà le contrôle de la Tunisie et de l'Algérie et souhaite également contrôler le Maroc. La France a obtenu l'accord de l'Italie en 1896, du Royaume-Uni et de l'Espagne en 1904 : il s'agit pour la France de faire du Maroc un protectorat. 
  • Or à aucun moment la France n'a sollicité l'avis de l'Allemagne pensant que cette dernière n'était pas une puissance « méditerranéenne ». L' Allemagne ne l'entend pas ainsi : elle souhaite utiliser le Maroc pour mettre à mal les relations franco-anglaises (l'entente cordiale entre les deux pays est récente). Fin mars, Guillaume II se tend à Tanger affirmant que le Maroc « libre sera ouvert à la concurrence pacifique de toutes les nations.» . 
  • Le sultan du Maroc (Adelaziz Ben Hassan) en profite pour demander la tenue d'une conférence : c'est le début d'une crise diplomatique complexe entre la France (soutenue par le Royaume-Uni) et l'Allemagne. Cette crise se traduit par la démission forcée du ministre français des affaires étrangères, Delcassé, désavoué par le Président du Conseil de l'époque, Rouvier. 
  • Une conférence se tient à Algésiras en 1906 : cette conférence se termine aboutissant à un acte final ambigu puisque la France doit renoncer à un protectorat mais on lui reconnaît une situation privilégiée au Maroc. A partir de 1907, la situation intérieure du Maroc se désagrège ce qui permet à la France d'intervenir de plus en plus. En 1909, l'Allemagne qui a compris qu'il serait difficile d'empêcher la France de contrôler le Maroc signe un accord avec elle dans lequel elle reconnaît la situation privilégiée de la France tout en obtenant des avantages économiques.
  •  La situation se dégrade encore en 1911. En avril de cette même année, la France s'engage dans la conquête militaire du Maroc. L' Allemagne est hésitante sur la conduite à tenir : intervention allemande ou tentative d'un nouvel accord par lequel l'Allemagne abandonnerait le Maroc à la France contre des contreparties (le Congo français)? 
  • Le 1er juillet, les Allemands envoient un navire de guerre (une canonnière) devant la ville d' Agadir ce qui provoque une seconde crise marocaine. La France refuse la proposition allemande d'une cession du Congo et a obtenu l'appui très important des britanniques. La tension est importante mais les négociations, ardues, aboutissent à un accord en novembre 1911 : l'Allemagne ne s'oppose plus à un protectorat français et obtient un « morceau » de territoire en Afrique au niveau du lac Tchad. 
  • Cette crise est une étape dans les tensions entre les deux pays : les nationalismes s'exacerbent et une course à l'armement est lancée. 

 Conclusion : 

 A la domination politique, économique, financière, il faudrait ajouter la domination culturelle. Les puissances européennes imposent par la colonisation leur (s) culture (s) notamment leur (s) religion (s), leur (s) langue (s)... Les expositions universelles, les expositions coloniales, le développement du tourisme (c'est un britannique, Thomas Cook qui invente en 1841 les voyages organisés et qui va créer en 1865 sa première agence à Londres) en témoignent. Les années 1900-1913 sont perçues à l'époque comme un âge d'or (pour les Européens et les Américains) d'où les expressions de « belle époque » et de « gilded age » utilisées en France et aux Etats-Unis.
E-U en 1913

2/ Une Europe concurrencée ? L'émergence de puissances nouvelles


A la fin du 19e siècle, de nouvelles puissances émergent et s'affirment : les Etats-Unis mais aussi une puissance asiatique : le Japon. Quant à l'Est de l'Europe, la Russie pense qu'elle est en mesure d'être une puissance sur laquelle il faut compter. 

 A/ Les Etats-Unis : une puissance qui s’affirme

 Les Etats-Unis connaissent au 19e siècle surtout à partir des années 1870-80 un essor économique et démographique formidable. C'est à la fin de ce siècle qu'ils commencent réellement à affirmer une puissance politique et militaire internationale. Ils sont à l'origine de la seconde Révolution industrielle : une Révolution qui va faire de ce pays une très grande puissance économique. La période des années 1865-1896 est le gilded age soit l'âge doré, des années de réussite économique faisant suite à la terrible guerre civile (la guerre de sécession) des années 1861-1865. 

 a/ Une économie de plus en plus performante et compétitive 

 Progressivement l'économie mondiale bascule : la domination de l'économie britannique s'atténue et une puissance nouvelle se développe à savoir les E-U. Dès l'exposition universelle de 1851 en Angleterre (Crystal Palace), les Européens s'aperçoivent des capacités industrielles de ce pays. L'âge doré correspond à un fort développement économique dont les symboles sont en 1869 l'inauguration du 1er chemin de fer transcontinental, l'essor développement de la sidérurgie à Pittsburgh ou encore les expositions universelles de Philadelphie en1876 et de Chicago en 1893. 

-une puissance fondée sur des atouts solides 

  •  Il faut dire que les E.-U bénéficient d'atouts considérables : un espace immense (9,3 millions de km carré) avec des richesses naturelles et minérales très importantes. En 1913, les E.-U sont au premier rang mondial pour les productions de charbon, de fer et de pétrole. Ils bénéficient de terres agricoles très importantes. L'arrivée massive d'immigrants ( La croissance démographique est liée en partie aux migrations) apporte une main d' œuvre abondante : la hausse de la population active serait à l'origine d'environ 50% de l'augmentation du PNB entre 1840 et 1914 les flux migratoires massifs permettent aussi la mise en valeur du territoire : les migrants se répartissent sur l'ensemble du territoire qu'ils contribuent à valoriser. 

 -et un capitalisme dynamique et conquérant 

  •  Les E.-U bénéficient d'un système capitaliste extrêmement dynamique fondé sur la libre entreprise et une concurrence féroce. Ce système, ce n'est pas seulement la réussite individuelle, les self-made-men mais aussi un phénomène unique de concentration des entreprises. De grands groupes se forment (les trusts) au moment de la seconde Révolution industrielle donnant naissance à des empires industriels : les groupes Rockfeller, H. Morgan ou Vanderbilt en sont de bons exemples en tant que Holdings aux activités diverses ou comme les firmes General Electric ou Du Pont de Nemours. Ces trusts permettent l'émergence d'un autre type de capitalisme. 
  • Parallèlement, des entreprises innovantes se développent comme Eastman-Kodak ou Procter and Gamble Ce capitalisme et les groupes industriels sont innovants à la fois au niveau des découvertes et mise au point technique et scientifique mais également au niveau de l'organisation du travail. 
  • Les entreprises américaines ont compris l'importance du développement technique pour conforter la croissance. Elles ont développé les laboratoires de recherche et financent de nombreux chercheurs. Entre 1900-1910, les E.-U ont déposé plus de 300 000 brevets. La deuxième innovation d'ordre majeure est une nouvelle organisation du travail. 
  • C'est Frederick Taylor (1903 : publication de son livre : La direction scientifique des entreprises), un ingénieur, qui met au point une organisation plus scientifique du travail (OST) : il pense qu'il faut introduire plus de rationalité dans le travail pour qu'il soit plus productif. Cette réflexion conduit à la volonté de mettre en place une parcellisation des tâches qui sont elles mêmes chronométrées. 
  • Parallèlement, il convient de standardiser les productions cette nouvelle organisation du travail est appliquée par H. Ford dans ses usines automobiles de Detroit dès 1913 aboutissant à la production massive et standardisée de la Ford T. Les premières Ford T coûtent 900 dollars en 1909 : ce coût est abaissé à 345 dollars en 1916. 
  • De plus H. Ford pense que les ouvriers doivent être mieux payés non par philanthropie mais parce qu'ils pourront consommer plus (y compris la Ford T). 
  • Enfin, il faut ajouter que sont mis au point des circuits de vente et surtout de crédit plus performants (les premières sociétés de crédit apparaissent en 1915). 
  • Les résultats du développement industriel et du capitalisme des E.-U sont impressionnants : en 1913, 36% de la production mondiale de minerai de fer est américaine (60 millions de tonnes de fer en 1913 contre 29 millions de tonnes pour l'Allemagne 2e producteur mondial), 40% pour le charbon ( 515 millions de tonnes contre 300 millions pour le Royaume-uni 2e producteur mondial), 70% du pétrole extrait dans le monde, 40% de l'acier produit (32 millions de tonnes contre 16,7 millions pour l'Allemagne 2e producteur mondial)... 
  • A ces résultats industriels, il faut ajouter les performances de l'agriculture : en 1913, l'agriculture américaine assure 25% de la production mondiale de blé, 60% de la production de maïs... Il faut aussi ajouter que les E.-U sont relativement peu ouverts au monde sachant que le marché intérieur est suffisant. 

b/ permettant l’affirmation d’ambitions politiques

 Les E.-U ne se contentent pas d'affirmer leur puissance économique : ils ont des ambitions politiques se traduisant par une politique expansionniste fondée sur quelques axes idéologiques. Ils sont sur le « chemin de l'impérialisme » (Histoire des E.-U., Bernard Vincent) 

-une politique expansionniste : les débuts de l'impérialisme américain 

  •  La politique d'expansion des E.-U n'est pas une nouveauté de la fin du 19e siècle. Elle s'est déjà traduite dans les années 1840 en particulier dans la lutte contre le Mexique : une lutte aboutissant à net agrandissement du territoire par la prise de contrôle du Texas en particulier. La fin du 19e siècle voit un nouvel expansionnisme américain dont la cible sont des colonies espagnoles : Cuba et les Philippines. La guerre menée contre l'Espagne en 1898 est un tournant dans la politique extérieure puisqu'elle est une volonté nette d'affirmation et elle conduit au retrait de l'Espagne de ces territoires dont les E.-U prennent le contrôle : Cuba devient un protectorat, les E-U s'implantent aux Philippines mais aussi à Porto Rico (les îles Hawaï sont également annexées en 1898). Ils interviennent à plusieurs reprises en Amérique centrale (Nicaragua en 1909, Saint-Domingue, Panama)... Les E.-U utilisent également la diplomatie du dollar par des investissements importants au Mexique, plus généralement en Amérique centrale et latine, en Chine 

-doctrine Monroe, politique du « big stick » : les instruments idéologiques et politiques de l'affirmation 

  • La politique d'expansion américaine est liée à la doctrine Monroe affirmée dans la première moitié du 19e siècle. Cette doctrine affirmé par le président Monroe (dès 1823) envisage le continent américain comme une chasse gardée et de ce fait comme une sphère d'influence des E.-U. Au début du 20e siècle, le Président Theodor Roosevelt énonce la politique dite du « big stick » : les E.-U doivent être capable d'intervenir par la force pour affirmer leur puissance, préserver leur sphère d'influence et maintenir l'ordre sur le contient américain. Les bases idéologiques, auxquelles on pourrait ajouter la thématique de la destinée manifeste, de l'interventionnisme des E-U sont posées. 
  • Il existe bien un impérialisme américain même si il est dans un premier temps essentiellement tourné vers le continent américain et en partie vers le Pacifique.. Conclusion : Les E.-U sont devenus en quelques années une puissance d'envergure mondiale. Rappelons qu'en 1913 le revenu national du pays est trois fois plus important qu'en Angleterre ou en Allemagne. Avant la première guerre mondiale, ils ont fondé les bases d'une économie à la fois moderne et compétitive : en 1913-1914, ils disposent du tiers du réseau ferré mondial. 

B/ Le Japon: l'émergence d'une puissance non européenne 

 La deuxième moitié du 19e siècle voit l'émergence d'une nouvelle puissance mais cette fois-ci non européenne : le Japon. Ce dernier est longtemps resté à l'écart des puissances européennes y compris pendant le temps fort de la colonisation. Néanmoins, les E.-U avaient imposé au Japon dans les années 1850 ce qu'on avait appelé les traités inégaux (en 1854) obligeant à une ouverture économe du pays. Cette contrainte a fait comprendre aux dirigeants nippons qu'ils devaient se donner les moyens de rivaliser avec les puissances occidentales. 

 a/ L' ère Meiji : l'entrée dans la modernité, une rupture majeure dans l'histoire nippone 

 L'année 1868 met fin à un système politique reposant sur un personnage clé : le Shogun. Le pouvoir est repris par une dynastie impériale et l'Empereur Mutsu-Hito décide de faire de son Etat un Etat moderne : s'ouvre l'ère Meiji. Il s'agit notamment pour les Japonais de se moderniser en utilisant les connaissances occidentales tout en préservant certains éléments culturels japonais indispensable à l'identité nationale (culte de l'Empereur et des ancêtres...) Il faut abandonner les vieilles structures féodales, construire un Etat et une industrie modernes. 

 -le choix de la modernisation : la volonté d'être moderne 

  •  Le Japon se modernise progressivement et assez rapidement : une modernisation fondée en partie sur l'industrie textile. Il développe également des industries de base comme la construction navale, la sidérurgie... il se modernise également par la mise en place d'une administration rationnelle et efficace, d'un système de formation, des infrastructures de communication plus efficientes...
  • De grands groupes, les Zaïbatsus se forment possédés par des familles riches : c'est ainsi qu'émergent des groupes comme Mitsui, Sumitomo, Mitsubishi. Le Japon se dote tout simplement des éléments constitutifs d'un Etat moderne occidental.
 
- au service du développement économique 
 
  • Le développement économique est réel : en 1913, le Japon peut compter sur 14 000 établissements industriels. Cependant, il ne représente que 2% de la production mondiale : l'industrialisation du Japon et les résultats obtenus sont encore timides. Il faut dire que ce pays subit des contraintes fortes : les ressources naturelles ne sont pas abondantes, les espaces agricoles limités d'où d'ailleurs des efforts importants pour améliorer la productivité dans ce domaine. Ce développement économique est au service des ambitions politiques : une partie des ressources financières servent à construire une armée moderne et une flotte de guerre performante. 

 b/ Des ambitions politiques de plus en plus affirmées : vers un impérialisme nippon affirmé et assumé 

Peu à peu, le Japon élabore une doctrine expansionniste et se mêle « aux jeux impérialistes » (Pierre Grosser). Cette doctrine est le fruit d'un nationalisme exacerbé par les contraintes imposées dans les années 1850 par les puissances occidentales. Le Japon veut montrer qu'il est capable d'être une puissance respectée. 

-des ambitions d'abord asiatiques : Corée, Chine ou la volonté de s'imposer en Asie orientale 

  • Le Japon a commencé à s'imposer dès 1874 par une expédition sur l'île de Formose .Au niveau stratégique, le Japon a pour ambition dans un premier temps d'avoir une zone de protection de son propre territoire. En effet, la présence de la Chine même si elle n'est plus depuis longtemps une puissance dominante, de la Russie et des puissances occidentales présentes précisément en Chine par de nombreuses concessions ou ayant des colonies comme la France en Indochine pousse le Japon dans cette voie. 
  • Le Japon a aussi besoin de terres : sa population et ses besoins sont croissants (52 millions de Japonais en 1914) or le territoire est exigu. 
  • La politique d'expansion en Asie a donc commencé dès les années 1870 : en 1876, le Japon impose à sont tour un traité inégal à la Corée : cette dernière offre des ressources agricoles et minérales importantes (minerai de fer par exemple). La Corée est d'ailleurs annexée en 1910. En 1894-95, le Japon agresse la Chine aboutissant à l'occupation du sud de la Mandchourie et à l'annexion de l'île de Formose : la Chine devient un axe de conquête privilégié. 

 -l'affrontement avec la Russie : un symbole d'affirmation de la puissance 

  •  Mais c'est surtout l'affrontement avec la Russie des Tsars qui marque l'entrée du Japon dans le cercle des puissances sur lesquelles il faut compter. La Russie et le Japon ont des ambitions qui ne peuvent que se heurter en particulier au sujet de la province chinoise de Mandchourie (la Mandchourie est une province riche en minerais). Pour contrôler cette région, le Japon décide de mener une guerre contre la Russie. L'offensive japonaise est lancée en 1904 (février 1904) et le conflit se termine en 1905 (mai 1905) marquée par une série de victoires navales dont la victoire de Tsushima et le siège de la ville de Port-Arthur. Un traité est signé à Portsmouth : il permet au Japon de contrôler les ressources de la Mandchourie, d'annexer le sud de l'île de Sakhaline... de Cette victoire a des effets importants : elle met en évidence la puissance nippone notamment la puissance militaire (l'armée japonaise acquiert une influence très importante sur la société et l'Etat) ; elle confirme la déliquescence de l'Empire du milieu et révèle les difficultés de la Russie qui apparaît comme une puissance fragile. 

 C/ La Russie : puissance réelle ou puissance faible ? 

 La Russie est en 1913 un Empire fragilisé mais il est encore considéré comme un Empire assez fort pour intégrer une coalition. La France joue dans cette optique la carte russe : l'alliance avec la Russie permet à la France d'avoir à l'Est un point d'appui contre l'Allemagne. 

 a/ Un développement économique en trompe l'œil 

 A la fin du 19e-début 20e, la Russie connaît un développement économique mais il n'est pas suffisant et masque de profonds problèmes. 

 -une Russie qui veut s’industrialiser 

  •  La Russie fait le choix de la modernisation et de l'industrialisation afin d'être compétitive et de répondre aux problèmes du pays. Pour moderniser et industrialiser son territoire, la Russie fait appel à des capitaux étrangers (par des emprunts) : une partie notable de ces capitaux investis sont français dans le cadre de l'alliance franco-russe. En 1913, les emprunts publics souscrits en Russie (plus de 12 milliards de roubles) proviennent à 34% de France et à 46% de Russie même. 
  • En ce qui concerne les investissements privés à la même date, plus de 18% sont français, 46% russes (Royaume-Uni : 12,7%, Allemagne: 11,2%).Ces investissements permettent le développement d'un réseau de communication et de transport dont le transsibérien devient le symbole avec une mise en service en 1902 (50 000 km de voies ferrées construites entre 1881 et 1913) indispensable à l'industrialisation. 
  • Le développement industriel est certain : la Russie est ,en 1913, la 5e puissance industrielle mondiale (5,5% de la production mondiale) derrière les E.-U, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France. Les progrès accomplis sont réels : 56 millions de tonnes de céréales sont produites en 1885 et 68,7 millions de tonnes en 1913 ; la production de charbon est passée de 4 millions de tonnes en 1885 à près de 36 millions de tonnes en 1913... 
  • Néanmoins, ce développement cache des fragilités. ... mais une Russie aux fortes contraintes peinant à concurrencer les grandes puissances Les contraintes en Russie sont fortes : contraintes climatiques, une population en augmentation (elle est passée de 75 millions d'habitants en 1865 à plus de 170 millions en 1913. La Russie est de plus un pays très rural (plus de 85% de la population) où la majorité des paysans sont pauvres. 
  • Certes l'agriculture s'est développée et une catégorie d'exploitants agricoles est plutôt aisée (les koulaks) mais ce n'est pas le cas de la majorité de la population : les inégalités sont très importantes. L'industrialisation ainsi que certaines réformes (réforme de Stolypine avec la fin des communautés rurales) accélère l'exode rural. 
  • Cet exode est utilisé pour développer des régions périphériques comme la Sibérie et accroître la main d' œuvre industrielle mais il n'est pas synonyme d'enrichissement pour les personnes concernées. L'industrialisation est elle même inégale : elle profite à quelques régions : régions de Moscou et Saint- Pétersbourg, à l'Ukraine et à l'Oural qui bénéficient de ressources importantes (charbon...). Les ouvriers russes (environ 3 millions en 1913) sont exploités et vivent dans des conditions très difficiles d'où la fréquence des grèves. 

 b/ pour une puissance politique affaiblie 

L' Empire russe a des ambitions et se pense comme une grande puissance mais c'est un Empire miné par des difficultés internes et se heurtant à des puissances rivales qui limitent ses ambitions. 

-une Russie minée par des contestations internes 

  •  La Russie des Tsars est un régime autoritaire et répressif qui est troublée par des violences récurrentes : terrorisme des années 1880-1900 par des groupes anarchistes ou nihilistes, grèves et manifestations réprimées avec violence. En 1905, une Révolution se déclenche : la mutinerie du cuirassé Potemkine et le soulèvement des marins de Cronstadt (dont on reparlera en 1917) sont des symboles de la contestation. Cette révolution échoue mais aboutit à un compromis politique donnant plus de pouvoirs (en théorie) au Parlement russe, la Douma. Ces années voient l'émergence de mouvements politiques révolutionnaires et marxistes : bolcheviks et mencheviks... et d'hommes dont l'importance est grandissante comme Lénine, Trotski... L'émergence de tels mouvements tout comme la révolution manquée de 1905 montrent le malaise de la société russe : une société fracturée et très inégale. 
 
- mais maintenant des ambitions géopolitiques 

  •  La Russie a des ambitions géopolitiques : volonté d'accéder aux « mers chaudes », contrôle des Balkans, volonté de créer une sphère d'influence en Asie (Mandchourie et Chine) et en Asie centrale... Elle veut affirmer sa puissance mais elle est confrontée à d'autres puissances comme l'Empire d'Autriche-Hongrie qui souhaite lui aussi affirmer son influence dans les Balkans. En Asie, la défaite contre le Japon en 1905 est un coup d'arrêt terrible pour la Russie. 

 Bilan : 

 Le XIXe siècle qu'on peut prolonger jusqu' à la veille de la Première guerre mondiale (comme le montre Eric Hobsbawm pour qui le XIXe siècle commence en 1789 et s'achève en 1914-18) repose sur plusieurs caractéristiques comme le fait remarquer l'historien Jürgen Osterhammel (La transformation du monde : une histoire globale du XIXe siècle).
C'est d'abord un « siècle de progrès asymétrique de l'efficience » notamment au niveau de la productivité avec l'extension d'un mode de production industriel, des progrès qu'on retrouve dans le domaine de la guerre également dans le cadre d'états qui contrôlent plus efficacement les sociétés. C'est aussi un siècle de mobilités avec des migrations importantes à différentes échelles, des mobilités favorisées par des innovations techniques vectrices de mobilités accélérées.
Le XIXe siècle est également d'augmentation des « transferts interculturels ». Osterhammel met aussi l'accent sur ce qu'il nomme la « tension entre égalité et hiérarchie » qu'on retrouve tant dans le cadre des états qu'au niveau de la hiérarchie des états et des puissances. Enfin, la dernière caractéristique est un 19e siècle vu comme un siècle d'émancipation, émancipation politique avec par exemple l'élargissement du suffrage universel dans plusieurs états, abolition de l'esclavage...
Assassinat de l’archiduc François-Ferdinand 1914

3/ « Chronique d'une mort annoncée » de l'Europe


Les années 1900 sont des années de tensions avec des nationalismes virulents et des impérialismes qui s'opposent de plus en plus nettement. 
Certains ont l'intuition d'une Europe qui se dirige vers un gouffre comme l'affirmait en juillet 1914 le chancelier allemand Bethman-Hollweg : « Je vois suspendu au-dessus de l'Europe et de son peuple un malheur qui passe la puissance des hommes. » 
Néanmoins, il faut rappeler qu'un écrivain britannique comme Norman Angell publiait en 1910 un essai intitulé La grande illusion dans lequel il affirmait qu'une guerre ne pouvait éclater notamment pour des raisons économiques. Les différents états n'avaient aucun intérêt économique à la guerre. 

 A/ Des tensions majeures entre les grandes puissances européennes 

 Les puissances européennes ont des ambitions et des projets qui ne peuvent que se heurter : les relations internationales reposent toujours sur des rivalités entre puissances : les années 1900 ne font pas exception. 

 a/ Des tensions aux facteurs multiples 

 Les tensions entre les puissances que sont le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France, la Russie ou l'Empire d'Autriche-Hongrie ont à plusieurs origines. Elles vont être déterminantes dans la constitution d'alliances. 

 -des ambitions opposées... 

  •  L' Allemagne comme nous l'avons vu à affirmer sa puissance politique et économique depuis la réalisation de son unité en 1871. La montée en puissance allemande inquiète les autres notamment le Royaume-Uni et la France surtout que l'Allemagne affiche clairement ses ambitions celles d'un « Empire allemand devenu un Empire mondial » comme l'affirme Guillaume II en 1896. Diplomatiquement, l'Allemagne a cherché à isoler la France par crainte d'une revanche possible. L' Allemagne entend poursuivre son ascension économique et commerciale,veut un véritable empire colonial et compte élargir sa sphère d'influence en Europe notamment en Europe centrale. Certes la Weltpolitik de Guillaume II ne permet pas de confirmer les dires et la volonté de l'Empereur mais elle est perçue comme un danger. 
  • Le Royaume-Uni voit dans l'Allemagne son principal rival : un rival économique, un rival politique et même un rival naval. 
  • W. Churchill, en février 1912 alors qu'il est premier Lord de l'Amirauté proclame : « Notre marine est pour nous une nécessité ; la marine allemande a davantage pour l'Allemagne le caractère d'un luxe. Notre puissance navale assure l'existence même de la Grande-Bretagne. 
  • Elle est notre existence ; pour l'Allemagne, elle est une expansion. » Le développement d'une flotte de guerre allemande mis en œuvre par l'amiral von Tirpitz et décidée par Guillaume II est un des éléments qui heurte l'hégémonie navale britannique. Cette déclaration est révélatrice des inquiétudes britanniques qui voient dans l'Allemagne un danger potentiel : une Allemagne vue comme expansionniste. 
  • Cette perception de l'Allemagne conduit les Britanniques à choisir une alliance avec la France : c'est l'entente cordiale. 
  •  La France voit également dans la politique allemande un danger. 
  • Au début du 20e siècle, la rivalité franco- allemande ne repose plus seulement sur la question de l'Alsace-Lorraine, les provinces perdues suite à la guerre de 1870-71 mais aussi sur les ambitions allemandes notamment coloniales, des ambitions se heurtant aux intérêts français comme le montrent les crises marocaines vues précédemment. La rivalité avec l'Allemagne est l'élément clé qui permet de saisir la politique étrangère française en particulier ses alliances avec le Royaume-Uni et la Russie. Enfin, deux Empires ont également des ambitions qui se confrontent : l'Empire d'Autriche-Hongrie et l'Empire russe.
  •  Le lieu de confrontation de ces ambitions sont les Balkans : la Russie apporte son soutien aux Slaves des Balkans et à leur volonté de s'émanciper de la tutelle autrichienne alors que pour l'Empire austro-hongrois les Balkans font partie intégrante de leur zone d'influence. ... conduisant à la formation de blocs antagonistes Ces rivalités mènent à la formation de blocs antagonistes avec la formation de deux systèmes diplomatiques opposés. 
  • Un premier bloc est constitué de la France, de la Russie et du Royaume-Uni. Le rapprochement entre la France et la Russie date des années 1890 avec la signature en 1892 d'une convention militaire entre les deux pays. 
  • C'est une « tradition » diplomatique française de chercher une alliance orientale : François 1er l'avait fait avec l'Empire ottoman dans la perspective de sa confrontation avec l'Empire des Habsbourg. Le Royaume-Uni fait le choix de laisser tomber son isolement face à l'Allemagne perçue comme une menace en acceptant une alliance avec la France en 1904 (l'entente cordiale). 
  • En 1907, les Britanniques et les Russes règlent leurs derniers désaccords (contentieux concernant la Perse et l'Afghanistan) et forment avec la France la triple entente. Inversement, se forme une autre alliance : la triple alliance. 
  • Dès 1879, l'Allemagne de Bismarck et l'Empire d'Autriche-Hongrie avaient signé un accord et une alliance défensive en cas d'une agression notamment russe. En 1882, l'Italie se joint à l'Allemagne et à l'Empire austro-hongrois : elle n'a pas accepté la prise de contrôle de la Tunisie par la France, une Tunisie que l'Italie revendiquait. Deux alliances et deux blocs se sont bien formés. 

 b/L'exacerbation des nationalismes : un vecteur fondamental de conflit 

 L'une des sources essentielles des tensions est la montée des nationalismes : ces derniers sont le résultat de l'importance accordée à l'état-nation : un état-nation devenu la forme politique étatique clé du 19e siècle. 

 -des nationalismes à la sources de vives tensions 

  •  Le 19e siècle voit le développement de l'idée nationale, la constitution de nouveaux états-nations et corrélativement la montée de nationalismes de plus en plus exacerbés. C'est avec la Révolution française que se développe véritablement la nation dite populaire.
  •  Le concept de Nation prend une place de plus en plus importante dans la vie politique européenne: plusieurs peuples revendiquent une identité nationale, ont conscience de former une Nation et souhaite disposer d'un Etat. 
  • Ces revendications ont comme effets la naissance de nouveaux Etats comme l'Italie et l'Allemagne, la formation et l'affirmation de mouvements nationalistes dans les Empires : Empire d'Autriche-Hongrie, Empire Ottoman. Une nouvelle étape est franchie dans les années 1870 : la défaite de la France en 1870-71 accroît le nationalisme, les puissances de l'époque lient nationalisme et impérialisme.
  • De nouvelles formes de nationalismes apparaissent : nationalisme dit intégral, panslavisme... Un nationalisme qui peut aussi être un nationalisme du refus : refus de l'autre, théorie du bouc émissaire, développement de l'antisémitisme (les Juifs sont vus comme un corps étranger à la nation).Plus inquiétant est le poids pris par un nationalisme de masse devenant une forme de fanatisme pouvant intégrer le fait que la politique c'est faire la guerre. Le chancelier allemand Bethmann- Hollweg déclarait peu avant l'entrée en guerre en 1914 : « Les guerres ne sont pas projetées ni provoquées par les gouvernements. 
  • Ce sont bien plutôt les minorités fanatisées qui poussent les peuples à la guerre par leur agitation bruyante. Ce danger est toujours présent et peut-être plus encore aujourd'hui qu'hier, alors que l'opinion publique, la voix du peuple et l'agitation politique ont pris du poids et de l'importance. » 
  • Cette phrase contient une part de vérité à savoir le rôle des mouvements nationalistes (« les minorités fanatisées ») dans l'exacerbation des passions nationales mais oublie le rôle joué par les hommes politiques dans la manipulation des opinions publiques. 

- un exemple symptomatique : la rivalité entre la France et l'Allemagne 

  •  Les cas français et allemand peuvent être considérés comme symptomatiques mais pas isolés de la montée de ces nationalismes. En ce qui concerne la France, la guerre perdue de 1870-71 est une rupture : la défaite ajoutée à la perte de l'Alsace-Lorraine a profondément imprégné les esprits. La IIIe République a toujours mis l'accent sur le nationalisme, un nationalisme républicain mais un nationalisme tout de même. Comme l'écrivait l'historien de la IIIe République Ernest Lavisse : « J'ai toujours souligné notre obligation permanente envers les provinces perdues. 
  • Jamais le clocher de la cathédrale de Strasbourg n'a disparu de mon regard.(...) ». La République va mettre en œuvre une politique autour de deux axes principaux : l'éducation à la République et la formation patriotique. L'école va notamment servir à faire des Républicains et des patriotes. Si au début de la IIIe République, le nationalisme est plutôt un nationalisme républicain et de gauche (il va le rester en partie), il glisse progressivement à droite. En 1882, est fondée la ligue des patriotes par Ferdinand Buisson et Paul Déroulède, deux républicains mais le second va progressivement passer à l'extrême droite. Cette ligue a pour objectifs la célébration de la nation par des symboles tel le culte de Jeanne d'Arc, le développement de l'idée de revanche... 
  • Le glissement vers la droite se retrouve chez plusieurs écrivains et intellectuels : Edouard Drumont, Maurice Barrès, Charles Maurras. Ils veulent ce que Maurras appelle un nationalisme intégral à la fois anti-allemand et revanchard mais également anti-républicain et hostile à ceux qui étaient perçus comme les ennemis de l'intérieur : Juifs, Francs-maçons. L'action française fondée en 1898 par Charles Maurras et Léon Daudet (le journal l'Action française est lui crée en 1908) illustre ce type de nationalisme. 
  • Le nationalisme de gauche ou de droite est un des éléments de la société française. Le cas allemand est très instructif : il fallait dans un premier temps construire l'Allemagne dont l'unité était récente (1871) : une Allemagne longtemps éclatée avec des particularismes régionaux et confessionnels. 
  • Le rôle de Bismarck est essentiel notamment par sa lutte contre l' Eglise catholique perçue comme transnationale et trop proche de Rome et du Vatican d'où le Kulturkampf (surveillance des écoles confessionnelles, contrôle des paroisses...). 
  • Parallèlement, en 1878, une loi vise le mouvement socialiste : un mouvement suspecté de vouloir une révolution sociale et européenne. L'armée est mise en valeur : elle est vue comme le garant de l'Etat et symbole de la nation. Le nationalisme allemand, une fois l'identité nationale affirmée et l'obtention de l'adhésion des Allemands, va se traduire par la volonté d'une politique mondiale (Weltpolitik) avec Guillaume II : cette politique devait être l'expression de la puissance allemande. En parallèle, le pangermanisme s'affirme représenté par des associations puissantes comme la Ligue pangermanique fondée en 1890 et qui avait plus de 18 000 adhérents en 1901. Ce type de mouvement appuie une politique agressive et expansionniste dont l'un des buts est de réunir tous les Allemands dans un seul et même Etat.
  •  Enfin, on peut ajouter l'existence de 16 500 associations prussienne de combattants réunissant en 1910 1,5 million de membres auxquelles on ajoute d'autres associations comme la Fédération allemande des combattants (1,7 million de membres ou la ligue de Kyffhäuser ( 2,5 millions de membres) sans oublier les associations de jeunesse paramilitaires (Jeune Allemagne, Jeune Garde). Que ce soit l'exemple français ou l'exemple allemand, nous sommes en présence de sociétés où le nationalisme est très présent. 

 B/ Une Europe sujette à des crises et des conflits 

 Dans les années 1900-1913, l'Europe, du moins une partie, est en crise : crise franco-allemande, crises balkaniques... Les tensions sont donc vives. Pourtant pouvait-on envisager un conflit généralisé ? 

 a/ La multiplication des crises politiques et diplomatiques 

 Les relations difficiles entre l'Allemagne et la France se sont traduits par des crises mais aucune d'entre elles ne dégénère en conflit direct. 

-la crise franco-allemande : une anticipation d'un conflit plus direct ? 

  •  Les relations franco-allemande sont systématiquement tendues. Les crises marocaines vues précédemment en témoignent. Lors de la crise de 1911, une crise bien plus grave que celle de 1905, la guerre est évitée de justesse. 
  • La presse tant allemande que française tout comme les milieux nationalistes poussent au conflit. 
  • La France accepte de céder une partie de sa colonie congolaise à l'Allemagne soit 265 000 km carré contre la reconnaissance des droits français sur le Maroc (L' Allemagne peut ainsi accéder au fleuve Congo). Toutefois, l'une des conséquences de cette crise est l'accélération de la course aux armements et de la militarisation de la société. 
  • Les budgets de la défense augmentent fortement en 1912, l'Allemagne fait passer ses effectifs militaires de 600 à 800 000 hommes et la France (son Parlement) vote la loi dite des « trois ans » permettant une mobilisation plus important et plus longue 

-1913 : une guerre généralisée est-elle envisagée ? 

  •  En 1913, une guerre en Europe est envisagée : deux blocs se sont formés, la situation dans les Balkans est explosive, les mouvements nationalistes ont une influence croissante... Cependant, elle n'est pas vraiment envisageable : personne ne croit et ne pense à une guerre généralisée qui deviendrait une guerre d'ampleur mondiale. La guerre n'est en aucun cas une fatalité y compris dans les premiers mois de l'année 1914. Le 2 janvier 1914 le journal Le Petit Parisien affirme lors de ses vœux « Ce qu'on peut souhaiter de mieux, au début de cette année qui s'ouvre, pour l'Europe et pour le monde, c'est douze mois de paix ». 

 C/ Des conflits symptomatiques qui minent l'Europe 

 Pour qu'un conflit se déclenche, il faut un détonateur : les Balkans, « véritable poudrière » seront ce détonateur. 

 -les Balkans : une région instable devenue une poudrière 

  •  Les Balkans sont un espace géographique en ébullition depuis le 19e siècle. Cette partie de l'Europe est en grande partie sous l'emprise, au début du 19e, de l'Empire Ottoman : un Empire Ottoman en déclin, un déclin dont profitent des peuples pour vouloir s'émanciper de cette tutelle. Un autre Empire, l'Empire d'Autriche-Hongrie exerce une influence sur les Balkans, une influence de plus en plus forte : il compte se substituer, d'une manière ou d'une autre, à l'Empire Ottoman. L' Empire austro-hongrois annexe d'ailleurs la Bosnie-Herzégovine en 1908. 
  • Enfin, il ne faut pas oublier le rôle de la Russie qui a des vues sur une partie des Balkans à la fois par solidarité slave et pour accéder à une mer chaude : la mer Méditerranée. 
  • Au 19e siècle, les peuples balkaniques veulent former sur le modèle de l'Europe occidentale des Etats-Nations : la Grèce devient indépendante en 1830 et donne le ton, la Serbie obtient son indépendance en 1878 tout comme la Roumanie, la Bulgarie en 1908... 
  • Le déclin de l'Empire Ottoman conduit les Britanniques à envisager son éventuel partage sachant en plus que du pétrole est découvert dans la région de Kirkouk (une ville du nord de l'actuelle Irak alors sous contrôle Ottoman). 
  • Des nationalismes se créent, se structurent mais des se heurtent à des difficultés : la présence ottomane, un espace composé de peuples divers et un peu plus tard, des frontières qui ne correspondent pas nécessairement à la localisation des peuples et à ce qu'ils désirent. 
  • En 1909-1910 les Balkans sont dans une situation tendue : un Empire d'Autriche-Hongrie de plus en plus présent qui se heurte à une Serbie dont l'un des projets est de réunir les slaves du sud (Croates,Bosniaques...) : projet soutenu par la Russie ; la Roumanie et la Bulgarie ont des velléités d'expansion tout comme la Grèce souhaitant former une grande Grèce en intégrant la Macédoine sous contrôle ottoman et enfin un Empire Ottoman encore présent (Albanie, Macédoine...). Au début du 20e siècle, ces nationalismes s'exacerbent et vont se traduire par plusieurs guerres.

-conduisant à une instabilité source de tensions dangereuses 

  •  En 1912, se forme la ligue balkanique composée de la Serbie, de la Bulgarie, de la Grèce et du Monténégro (une ligue ayant l'appui de la Russie) : cette ligue déclare la guerre à l'Empire ottoman en septembre. Ce dernier est vaincu : les territoires ottomans des Balkans sont tous occupés. En mai, une conférence se tient à Londres sous l'égide des grandes puissances validant les territoires perdus par les Ottomans : l'Albanie devient une principauté indépendante, les pays vainqueurs se partagent la Macédoine et la Thrace. Une deuxième guerre balkanique est déclenchée en juin 1913 par la Bulgarie soutenue par l'Autriche- Hongrie : celle-ci s'estime non satisfaite par la conférence de Londres et entre en conflit avec la Grèce et la Serbie. 
  • La Bulgarie perd l'affrontement et un traité de paix est signé à Bucarest en août aboutissant au partage de la Macédoine entre la Grèce et la Serbie, la Roumanie intègre la province de Dobroudja au Sud. Pourtant rien ne semble vraiment régler : l'Empire d'Autriche-Hongrie est inquiet du poids pris par la Serbie et s'appuie sur la Bulgarie défaite par les Serbes ; la Serbie a toujours le projet de réunir les Slaves du sud... 
  • Ce qu'on nomme la question d'Orient est donc essentielle pour comprendre certaines tensions en Europe. On assiste dans cette région à un processus de fragmentation des territoires reposant sur des quêtes identitaires à tel point qu'on va rapidement utiliser le terme de balkanisation pour désigner ce type de processus quelque soit les lieux concernés. Cette partie de l'Europe, mais elle n'est pas la seule, a donc vu se développer de forts nationalismes avec des idées au potentiel inquiétant comme la « Megale Idea »ou grande Idée qui consiste pour les nationalistes grecs à vouloir réunir l'ensemble des territoires helléniques comme la Macédoine ou la Crête (celle-ci est rattachée à la Grèce en 1908) ou le pantouranisme, un mouvement voulant réunir les populations turques des empires ottoman, perse et russe (le panturquisme consiste quant à lui à renforcer les liens entre turcophones notamment entre Turcs de l'Empire ottoman et turcs de l'Empire russe. 

 Conclusion:

 L'année 1913 peut être vue comme le dernier temps fort de l'Europe : une Europe qui domine encore le monde à tous les niveaux. 
Toutefois en 1914 marque un « glissement vers la guerre » (Ian Kershaw).
 La guerre qui éclate en 1914 n'est pas un « accident » et le « moment venu la volonté de guerre l'emporta sur le désir de paix » comme l’écrit Ian Kershaw. Le déclenchement de la première guerre mondiale va bouleverser l'équilibre européen et mondial : plus jamais l'Europe ne sera en mesure de dominer le monde comme elle l'a fait auparavant. Les années d'avant- guerre ont été perçue par certains néanmoins comme une « belle époque » ou un âge doré (« Gilded age » aux Etats-Unis) : une belle époque qui ne l'était pas nécessairement pour tous que ce soit les catégories sociales défavorisées ou les peuples et sociétés dominées. L'année 1913 est la dernière année avant que que l'Europe ne sombre « entre 1914 et 1945 dans la barbarie », une « ère d'autodestruction calamiteuse » (Ian Kershaw) Bilan : le monde en 1919, après l'affrontement généralisé 

 -Une Europe affaiblie 

  •  L'Europe sort très affaiblie de la Première guerre mondiale démographiquement, économiquement et politiquement (comme nous le verrons ci-après). Les pertes humaines sont considérables : plus de 9 millions de morts (1 300 000 pour la France, 1 900 000 pour l'Allemagne...), 6 millions d'invalides, 4 millions de veuves, 8 millions d'orphelins. 
  • Il faudrait ajouter les effets de l'épidémie de la grippe espagnole (20 millions de décès ?) et les décès liés aux conditions de vie et d'hygiène. A cela se greffe un déficit des naissances donnant naissance à ce qu'on nomme les classes creuses. Les coûts économiques et financiers sont très importants et vont affecter durablement l'Europe. Les Etats européens sont endettés : l'endettement est à la fois intérieur par l'intermédiaire des différents emprunts (elle s'élève à 219 milliards de francs-or pour la France, à 196 milliards pour le Royaume-Uni, à 169 milliards pour l'Allemagne) et extérieur avec les emprunts faits notamment aux Américains (33 milliards de francs-or pour la France, 32 pour le Royaume-Uni...). 
  • De plus les monnaies ont perdu de leur valeur en l'occurrence par rapport au dollar (dépréciation monétaire). L'inflation est importante : les prix ont fortement augmenté pendant le conflit : pour un indice 100 en 1913, les prix sont passés à 254 pour la Grande-Bretagne, 356 pour la France, 415 pour l'Allemagne... Les destructions pénalisent les économies : destructions d'usines, de réseaux de communication, de villes, de terres agricoles...
  •  Ces destructions ont des conséquences sur les volumes de production et engendrent une dépendance. Par rapport à un indice 100 en 1913, la production industrielle est tombée à 70 pour la France, 59 pour l'Allemagne et même 23 pour la Russie. Le temps de la domination économique de l'Europe semble révolu. Par contre, un pays, les E.-U, sort plus fort économiquement (le Japon également). 

-Des bouleversements géopolitiques fondamentaux : de la « mort » de l'Europe à la confirmation du poids des E.-U. 

  •  Cette première guerre mondiale provoque des bouleversements politiques et géopolitiques très profonds : elle est une rupture fondamentale. La fin du conflit est marquée par les traités de paix dont le plus célèbre est celui de Versailles (28 juin 1919). Les autres traités sont le traité de Saint-Germain-en-Laye (10 octobre 1919) concernant l'Autriche, le traité de Trianon pour la Hongrie (4 juin 1920), le traité de Neuilly pour la Bulgarie (27 novembre 1919) et le traité de Sèvres (10 août 1920). 
  • Ces traités de paix vont bouleverser la carte de l'Europe mais aussi celle du Proche et Moyen-Orient. Il convient de s'arrêter sur la conférence et le traité de Versailles. En effet, les E.-U, en particulier son président W. Wilson, entendent fixer les lignes directrices de la paix à venir.
  •  Il faut selon Wilson bâtir un nouvel ordre mondial et européen fondé sur des principes libéraux et le respect des peuples. Wilson entend se référer à ses 14 points de janvier 1918 prévoyant la liberté économique, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes... Il est conscient qu' il faut que l'Europe redevienne prospère (50% des exportations américaines lui sont destinées).
  • La conférence de Versailles dure cinq mois, du 18 janvier au 28 juin : cinq mois pendant lesquels les opinions des négociateurs se confrontent. 
  • La France opte pour une position dure à l'image de son président Poincaré ou de Clemenceau : il faut faire payer au sens propre comme au sens figuré l'Allemagne alors que les E.-U et même le Royaume-Uni dont J. M Keynes adoptent une position moins intransigeante. Quoiqu'il en soit, ce traité de 440 articles aboutit à des changements notables : la France récupère l'Alsace-Lorraine, le Danemark le Schleswig et la Belgique Eupen-Malmédy, la Sarre est placée sous tutelle de la SDN. 
  • L' Allemagne perd également à l'Est la Posnanie et une partie de la Prusse orientale en faveur du nouvel état polonais. Au total, l'Allemagne perd 88 000 km carré de territoires et se trouve en partie démembrée. A cela s'ajoute la perte de ses colonies, une armée devant être réduite à 100 000 hommes (sans blindés ni artillerie) et des réparations à payer (132 milliards de marks-or en 30 annuités). 
  • Les autres traités ont des conséquences majeures. Les traités de Saint- Germain- en- Laye et de Trianon font éclater l'Empire d'Autriche-Hongrie au profit de la Pologne, de la Roumanie récupérant la Bukovine, la Transylvanie et la région de Dobroudja, de l'Italie qui récupère l' Istrie et Trieste et de deux états récemment créés : la Tchécoslovaquie (composée de la Bohême-Moravie, de la Slovaquie et de la Ruthénie et La Yougoslavie. L' Autriche se retrouve réduite à 85 000 km carré et la Hongrie perd aussi des territoires. Le traité de Sèvres démembre l'Empire Ottoman : des territoires deviennent gérés par la France et le Royaume-uni sous forme de mandats de la SDN (Syrie pour la France, Palestine et Mésopotamie pour le Royaume-Uni), l'Arabie devient indépendante et la Turquie ne conserve en Europe qu'Istanbul...
  • Elle doit céder à la Grèce la région de Smyrne et une partie de la Thrace. Les traités ont modifié fortement l'Europe avec la naissance de nouveaux états : Yougoslavie, Tchécoslovaquie, renaissance de la Pologne (composée de la Posnanie, de la Silésie, de la Galicie et du corridor de Dantzig) et des modifications territoriales au détriment des vaincus mais ont tenté de répondre aux volontés des peuples et des nations au moins partiellement.
  • Ils ont changé la carte du Proche et Moyen-Orient avec le démembrement de l'Empire Ottoman. 
  • Enfin, il faut évoquer brièvement un changement fondamental à l'impact unique en Europe: les révolutions russes et notamment celle d'octobre 1917. La Révolution de février 1917 a mis fin au régime des Tsars et encore plus déterminante, la Révolution d'octobre permet aux communistes d'arriver au pouvoir. Cette arrivée au pouvoir a des conséquences : le retrait russe de la Première guerre mondiale (traité de Brest- Litovsk en mars 1918) et pour la première fois la mise en place d'un système communiste. En 1922, la Russie, et c'est un changement significatif, devient l'URSS : Union des républiques socialistes soviétiques

 -Une paix manquée ? 

  •  Cependant on peut à juste raison considérer que l'après-guerre correspond à une paix manquée. Le traité de Versailles a provoqué un profond ressentiment en Allemagne, un ressentiment qui aura un impact profond sur la société, les partis politiques et l'avènement du nazisme. 
  • En 1919, Keynes avait écrit : « J'ose prédire que la revanche allemande sera terrible. » 
  • Ces traités de paix ne résolvent pas toutes les difficultés et en créent d'autres comme le problème de Dantzig et de son corridor entre la Pologne et l'Allemagne, la situation de la Sarre, le problème pour l' Italie des « terres dites irrédentes ». La nouvelle carte de l'Europe ne répond pas systématiquement à la carte des nationalités : la nouvelle Tchécoslovaquie inclut sur son territoire une minorité allemande importante dans la région des Sudètes, la Yougoslavie est composée de peuples multiples : Serbe,Croates, Slovènes, Hongrois... La création de la SDN suite au traité de Versailles est certainement une idée intéressante mais la Société des Nations n' a pas les moyens d'agir et de faire respecter la paix et ironie, voulue par le président Wilson, le Sénat américain ne ratifie pas l'entrée des E.-U dans la SDN. Enfin, après ce conflit d'autres problèmes surgissent dont certains directement en lien (direct ou indirect avec le conflit lui même) : la question de la Palestine, le génocide arménien, les tensions croissantes dans certains territoires colonisés (Inde...). 
  • La Première guerre mondiale laisse des sociétés profondément fracturées, accentue des problèmes fondamentaux que sont les nationalismes ethniques, les tensions territoriales, les tensions entre classes sociales... autant de problèmes qui vont s'exacerber conduisant à d'autres conflits dont une Seconde guerre mondiale encore plus destructrice et meurtrière. Comme l'écrivait Ernst Junger : « Cette guerre ne marque pas la fin mais le début de la violence. 
  • Elle est la forge dans laquelle le monde sera martelé afin de créer de nouvelles frontières et de nouvelles communautés.
  • Ces nouveaux moules ont soif de sang, et le pouvoir sera exercé d'une main de fer. » Les années 1917-1923 furent marqués par d'importantes guerres civiles et de multiples violences. L' Europe entre dans ce que l'historien Robert Gewarth nomme pour l'Europe « la crise de la quarantaine », une crise de quarante ans comprenant la montée des totalitarismes, la seconde guerre mondiale et le processus de décolonisation.
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