Chapitre 3: Géopolitique de l'Europe

1/ Géopolitique de L'Europe


L' Union européenne et plus généralement l'Europe paraissent en difficultés: elle est de moins en moins en mesure de s'imposer aux autres tant sur le plan politique qu'économique. On peut parler d'une “géopolitique du déclin” et en ce qui concerne plus spécifiquement l'UE, d'une Europe n'ayant plus les moyens de la puissance. Pour certains, on peut s'interroger sur le fait de savoir si l'Union européenne ne seraint pas un “nain géopolitique La géopolitique de l'Europe est complexe: en effet, l'Europe ne se résume pas à l'Union européenne. 
Il faut de ce fait analyser la géopolitique de l'Union européenne c'est-à-dire ses états membres avec leurs spécificités mais également les relations de l'UE avec les Etats européens non membres de l'UE, les relations de l'UE avec des partenaires proches notamment les partenaires méditerranéens et les relations avec un monde plus lointain: Amériques, Afrique subsaharienne et Asie. Il s'agit aussi d'étudier le positionnement et les politiques des états non membres de l'UE en faisant une place particulière à une puissance à la fois partenaire et rivale qu'est la Russie. 

 A/ Géopolitique de l'Union européenne: des Europe dans l'Europe 

 Pourquoi peut-on affirmer que l'Union européenne est à plusieurs vitesses et dimensions ? Les états de l'UE n'ont pas les mêmes atouts, les mêmes visions de ce que l'UE doit être. Dans cet ensemble hétérogène on peut élaborer une typologie des états : quelques uns sont des états puissants tant au niveau politique qu'économique: ils sont le centre de la “vieille Europe” (Allemagne, France, Benelux et Italie) et, à l'exception du Royaume-Uni, à l'initiative de la construction européenne. 
D'autres états sont plus périphériques mais riches et dynamiques (pays scandinaves, Autriche) ou ayant des ambitions (Pologne).Enfin, l'UE est également constituée d'états plus à la marge: des états aux difficultés réelles (Grèce, Portugal...) ou au retard conséquent (Bulgarie, Roumanie). 

 a/ des Etats puissants et moteurs au coeur du projet européen 

Trois membres de l'UE sont des puissances certaines et ont des atouts faisant d'eux des puissances motrices de l'Union: l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni. -l'Allemagne : la puissance majeure mais contestée L'Allemagne est incontestablement la puissance majeure de l'UE au moins sur les plans économique, financier et commerciaux. Elle est d'abord la première puissance démographique avec plus de 81 millions d'habitants. Elle est surtout la première puissance économique européenne avec un PIB s'élevant à plus de 3 634 milliards de dollars en 2013 (PIB par habitant = 42 045 dollars en 2013) et pour l'année 2019 ce PIB s'est élevé à 3 863 milliards de dollars. L'Allemagne est de ce fait la 4e puissance économique mondiale derrière les E-U (PIB en 2019 de 21 439), la Chine (14 140) et le Japon (5 154). 
On peut rappeler que le PIB de l'ensemble de l'UE s'élève en 2018 à plus de 18 877 milliards d’euros. Certes, la croissance de l'Allemagne est faible: 0,5% en 2019 (1,4% en 2014) mais elle est toujours la puissance économique dominante du continent européen. Son taux de chômage n'est pas très élevé: 3,4% en 2019 (5 % en février 2020).Sa balance commerciale est toujours excédentaire avec 227 milliards d'euros en 2018 et des exportations dont le montant s'élève 1 317 milliards d'Euros en 2018 : elle est la 3e puissance commerciale mondiale. 
La force de l'Allemagne repose sur des secteurs dynamiques: machine-outil, automobile, électronique... et des FTN puissantes (28 firmes allemandes sont dans le top 500 en 2014 selon le magazine Fortune). En 2019, Volkswagen est la 9e FTN mondiale avec un CA de 278 milliards de dollars, Daimler est la 18e FTN avec un CA de plus de 197 milliards de dollars ou la firme Allianz dans le domaine des assurances qui est 45 e rang mondial avec un CA de 126 milliards de $... 
Certaines FTN allemandes sont en position de force dans leur secteur d'activité: Allianz est le 2e groupe mondial dans le domaine des assurances, BASF et Bayer sont respectivement les 1er et 3e groupes mondiaux dans le secteur de la chimie, Volkswagen est le premier constructeur automobile mondial devant Toyota... De plus, l'Allemagne joue un rôle moteur depuis bien longtemps dans la construction européenne dont elle est un des pivots. 
La Loi fondamentale allemande par son article 23 “contraint” les gouvernements allemands à la promotion de l'unité européenne: l'Allemagne a fait beaucoup dans ce sens abandonnant notamment sa monnaie si forte qu'était le Deutsche mark pour adopter l'Euro.Dans la crise financière que connaît la zone euro, l'Allemagne joue un rôle fondamental: on le voit notamment dans la gestion de la crise en Grèce. Toutefois, l'Allemagne bien qu'elle soit une puissance à de nombreux points de vue ne l'est pas au niveau politique du moins à l'échelle mondiale.
 L'Allemagne n'a pas les capacités ni la volonté d'intervenir sur des théâtres extérieurs: c'est une conséquence de la défaite de 1945 et des traités de l'époque. Si elle est une puissance majeure au sein de l'UE, elle le doit à son économie. 

-une France longtemps motrice mais plus en difficultés 

  • La France a eu un rôle décisif dans la construction européenne: avec l'Allemagne, elle a été (elle l'est probablement moins actuellement) le couple qui a fait progresser l'Union européenne. La France est encore une puissance phare de l'UE bien que certains se complaisent dans un discours décliniste. En effet, elle est avec le Royaume-Uni, le seul état à être capable d'intervenir à l'extérieur : sa puissance militaire et diplomatique est réelle. Les interventions en Libye en 2011 (opération Harmattan) et au Mali en 2013 (opération Serval) illustrant cette capacité opérationnelle: des interventions où l'UE a semblé absente. L'initiative franco-allemande début septembre 2015 concernant les réfugiés montre également cette volonté d'être un acteur majeur de l'UE et des politiques à mener. La France néanmoins ne paraît plus en mesure d'être un des moteurs de l'UE ( même si elle tente de le rester): ses difficultés économiques et financières peuvent expliquer cet état de fait. 
  • En effet, la France ne respecte pas les critères de convergence économiques qui avaient été fixés à Maastricht en particulier ceux concernant le déficit (celui-ci ne devait pas dépassé 3% du PIB) et la dette publique (elle devait rester inférieure à 60% du PIB). Le déficit public pour l'année 2019 (Chiffres de l'INSEE) s'élève à 72,8,8 milliards d'euros soit 3% du PIB alors que la dette atteint 100,5% du PIB (97% au 1er trimestre 2015) avec une dette de 2358,4 milliards d'euros en 2019 (le PIB français est de 2707 milliards d'euros en 2019). 
  • Parallèlement, la France est confrontée à un chômage élevé et récurrent: le taux de chômage était de10,2% en juin 2015 (3 millions 553 550 chômeurs) mais était récemment en baisse pour atteindre avant la crise sanitaire 7,5 % de la population active. Ces difficultés économiques peuvent permettre de comprendre les difficultés du gouvernement français à imposer son point de vue lors des négociations tumultueuses avec la Grèce et ses partenaires européens. Cependant, la France, bien que les difficultés soient présentes, reste une puissance économique de premier plan.
  •  Elle est la 7e puissance économique mondiale (derrière les E-U, la Chine, le Japon, l'Allemagne,le Royaume-Uni et l’Inde). Plusieurs FTN françaises sont toutefois capables de rivaliser avec leurs concurrents internationaux. En 2019, Total est la 20e FTN au monde avec un CA de 184 milliards de dollars, le groupe AXA est en 46e position avec un CA de 125 milliards de $... Sur les 500 premières FTN au monde, 31 sont françaises ce qui la classe au 4e rang mondial devant l'Allemagne. 

 -le Royaume-Uni : une puissance désormais hors de l'UE et peut-être en voie d'éclatement?

  • Le Royaume-Uni est, avec la France, le seul état européen à disposer des éléments nécessaires à l'affirmation d'une puissance relativement “complète” à savoir un poids politique et militaire, un poids économique et financier... 
  • Le Royaume-Uni a longtemps été réticent à entrer dans la Communauté européenne: cette entrée a été actée en 1973. Economiquement, le Royaume-Uni est la 5e puissance économique mondiale avec un PIB en 2019 de 2743 milliards de $. Plusieurs FTN britanniques ont une importance mondiale: 28 sont classées dans le top 500 dont la Royal Dutch Shell à la 3e place mondiale avec un CA de 396 milliards de $ ou BP numéro7 au monde avec plus de 303 milliards de dollars de CA). Londres est la seconde place financière mondiale derrière Wall Street, la livre sterling est une monnaie forte et le pays est attractif tant pour les investisseurs que pour de nombreux individus européens ou non.
  •  La sortie du Royaume-Uni va incontestablement changer la donne tant pour les Britanniques que pour les états de l'UE. Il faut négocier cette sortie: des négociations pouvant durer et être relativement compliquées. 
  • Que vont devenir les relations entre l'UE et le Royaume-Uni ? 

 -Benelux, Italie : des Etats fondateurs au poids limité 

  •  Les pays du Benelux: Pays-Bas, Belgique et Luxembourg tout comme l'Italie sont parmi les états fondateurs de l'Union européenne.  A ce titre, ils font partie de ce que certains nomment la “vieille Europe”. Plusieurs institutions européennes se localisent d'ailleurs dans ces états : commission européenne à Bruxelles, Conseil des ministres à Bruxelles et Luxembourg, secrétariat du Parlement européen à Luxembourg... 
  • Les états du Benelux n'ont certes pas le poids des états précédemment évoqués mais ce sont des états riches et à haut niveau de vie en particulier le Luxembourg et les Pays-Bas. L'Italie, quant à elle, est la 9e puissance économique mondiale même si elle connaît des difficultés similaires à d'autres états : chômage, dette publique importante... 

b/ Des Etats périphériques mais économiquement dynamiques et prospères

 Plusieurs états sont dites périphériques: ils sont entrés plus tardivement dans l'Union, ne disposent pas de la puissance des grands états de l'UE mais ils ont des atouts économiques et pour la Pologne des ambitions. 

 -Suède, Finlande, Danemark, Autriche: l'Europe prospère 

  • Suède, Finlande, Danemark, Autriche symbolisent l'UE riche et prospère. Les PIB par habitant sont compris entre 36 000 dollars par habitant (pour la Finlande) à 42 500 pour l'Autriche. Ils sont également du moins pour les pays scandinaves les symboles d'un modèle de société: modèle flexicurité au Danemark, modèle social-démocrate suédois... Ces modèles sont certes partiellement en crise car comme l'ensemble des membres de l'UE ces états connaissent une croissance ralentie et une montée relative du chômage (9,4 % en Finlande, 7,8% en Suède, 6,2% au Danemark, 6% en Autriche) mais la crise est moins sévère que dans de nombreux états européens (le taux de chômage de la zone euro est de 11,1%). 

 -un entrant récent qui veut s’affirmer : la Pologne

  • La Pologne est un état à l'adhésion récente. On peut l'intégrer dans les états périphériques par son poids démographique de 38 millions d'habitants, une croissance assez forte pour l'UE de 1,6% grâce à une main d' oeuvre bon marché et un 25 e rang mondial au niveau du PIB (en 2019 son PIB est de 565 milliards de $). Elle bénéficie d'investissements importants (plus de 10 milliards d'euros par an) et d'un taux de chômage assez faible de 7,6%.
  •  La Pologne joue de plus un rôle notable au sein de l'UE par son emplacement géopolitique: elle est à proximité de la Russie avec laquelle elle partage une frontière commune (enclave de Kaliningrad) et surtout de l'Ukraine. Les gouvernement polonais entendent faire de leur pays un état incontournable de la région: la Pologne a effectivement les atouts pour être la puissance régionale de cette partie de l'Europe. 

c/ Des Etats plus à la marge ou en difficultés notables

Plusieurs états sont plus à la marge des territoires dits centraux soit parce qu'ils ont d'importantes difficultés soit parce qu'ils ont un retard notable à compenser (les entrants de 2004 à 2013). Ils forment des périphéries moins intégrées. 

 -Irlande, Portugal, Espagne Grèce : d'importantes difficultés à surmonter

  • Quelques états dont l'adhésion à l'UE est relativement ancienne (1973 pour l'Irlande, 1981 pour la Grèce et 1986 pour le Portugal ou l'Espagne ont d'importantes difficultés à surmonter. L'Irlande,la Grèce et le Portugal sont des états au poids démographique réduit: 4,6 millions d'habitants pour l'Irlande, 11 millions pour la Grèce et 10,5 millions pour le Portugal. Le poids économique de ces états est également mineur: le PIB de l'Irlande s'élève à 384 milliards de dollars en 2019, celui du Portugal est de 236 milliards de dollars et pour la Grèce il est de 214 milliards de dollars. 
  • Ces trois états ont été et sont encore confrontés à une crise économique importante: l'Irlande a été fortement affectée par l'éclatement d'une bulle financière domestique aggravée par la crise mondiale de 2008. Cependant,l'Irlande est en nette voie de redressement: un redressement s'expliquant par une politique d'ajustement budgétaire très stricte (L'UE a fourni une aide de 85 milliards d'Euros également). Ce pays a fait le choix (avant les difficultés) d'un modèle ouvert sur les investissements étrangers (en particulier de FTN américaines) et une fiscalité particulièrement avantageuse pour les entreprises (l'imposition sur les entreprises est de 12,5%). La reprise s'est faite sentir dès 2011 et en 2014, le taux de croissance irlandais est de 4,8% (le plus important de la zone euro) et il reste toujours très important:8,2 % en 2018. Le taux de chômage a baissé : il est de l'ordre de 4,6% en 2019. 
  • Est-ce le retour du tigre celtique? La situation du Portugal n'est pas la même : touché par la crise, le Portugal avait été contraint en 2011 de demander l'aide de l'UE et du FMI (78 milliards d'emprunts). Le taux de chômage s'élèvait encore à près de 13,5% (un chômage très important pour les jeunes) en 2015 avec une dette publique d'environ 130% du PIB et le déficit public de 5,5% du PIB. Depuis la situation s’est nettement améliorée avec un taux de chômage autour de 6 % en 2019, une croissance de 1,9 % et une dette qui est tombée à 114 % de son PIB.
  • Le cas de la Grèce a longtemps fait la une de l'actualité depuis plusieurs mois. Certes la Grèce a renoué avec la croissance: 1% en 2014, 2 % en 2019 après des années de récession mais les difficultés demeurent: le taux de chômage est de 16,6 %, la dette publique correspond à 180% du PIB ( 335 milliards d'euros selon Eurostat en 2019), le déficit public est supérieur à 3,5 % du PIB (215 milliards d'euros en 2017). 
  • En août 2015, un nouveau plan de sauvetage de la Grèce avait été élaboré (86 milliards d'euros): ce plan tout comme la cure d'austérité qui lui est consubstantiel seront-ils suffisants à complètement relancer l'économie et à maintenir la Grèce dans la zone euro? Enfin, le cas de l'Espagne est intéressant: ce pays a un poids démographique important avec plus de 46 millions d'habitants et a connu une décennie de forte croissance entre 1997 et 2007 jusqu'à l'éclatement de la bulle immobilière de 2007-2008. La dette publique espagnole est passée de 36% du PIB en 2007 à 86% en 2012 puis 97,7% en 2014 (1013 milliards d'euros) et désormais 95,5 % de son PIB en 2019 et le déficit public est encore important avec près de 11,5 milliard d’euros fin 2019. 
  • Il faut ajouter que certaines régions sont particulièrement endettée comme la région de Valence ou la Catalogne (dette de 36 % de son PIB pour cette dernière soit 74 milliards d’euros). Surtout, le taux de chômage en Espagne reste important tout en ayant baissé : 22,5 % pour l'année 2015 et désormais14 % en 2019. Il concerne particulièrement les jeunes de moins de 25 ans (en 2012, ce taux était supérieur à 50%: il est encore de 36% en 2019). 
  • Nous avons donc des pays en difficultés en particulier les pays latins. De plus, ces états connaissent de fortes inégalités régionales avec des régions mal intégrées à la dynamique européenne comme le Sud de l'Espagne, le centre du Portugal. 

 -des Etats encore en retrait : les entrants de 2004 et la Croatie (2013)

  • Les entrants de 2004 pour la plupart des états d'Europe centrale sont en retrait. L'intégration au sein de l'UE ne peut se faire que dans la durée puisqu'au moment de l'adhésion, ils souffraient d'un retard important qu'il faut combler. Ce retard se manifeste par des IDH plus faibles que la moyenne de l'UE; il en est de même pour les PIB par habitant généralement compris entre 12015 dollars ( pour la Croatie en 2019) et 30650 pour Malte (la moyenne de l'UE est de 30 000 en 2019). Hormis Malte et Chypre, ces états ont comme points communs un passé communiste et le fait d'avoir été dans l'orbite de l'Union soviétique. 
  • Avec la fin du communisme, ces états ont opéré une transition vers l'économie de marché. Lorsqu'ils sont entrées dans l'UE, le retard était manifeste:il s'agit donc pour eux de le combler en s'adaptant à la fois à la dynamique de l'UE et à la mondialisation. Bien entendu, ils n'ont pas tous les mêmes atouts: la République tchèque a un passé industriel que la Croatie ou les pays baltes n'ont pas. 

 -des Etats à la marge: Roumanie et Bulgarie

  • Deux états semblent vraiment à la marge de l'UE à savoir la Roumanie et la Bulgarie. En effet, ces deux états ont les PIB par habitant les plus faibles de 12 483dollars en 2019 pour la Roumanie et de 9558 pour la Bulgarie et des IDH respectivement de 0,781 et 0,771.
  • Néanmoins, la Roumanie connaît une croissance réelle (4% en 2019). Le taux de croissance de la Bulgarie est de 3,7% en 2019. Les taux de chômage en 2019 de la Roumanie et de la Bulgarie sont de 573% et de 6,3%: des taux plutôt faibles pour ces deux pays et dans la moyenne de l'UE. Ces chiffres sont encourageants mais ces deux états partent de très loin: le chemin est donc encore long avant de devenir des périphéries réellement intégrées à l'UE.

B/ Géopolitique de l'Europe hors UE 

Pourquoi peut-on parler de complexité européenne? Quelles sont les caractéristiques de l'l'Europe hors UE? 

 a/ Des Etats refusant l'intégration européenne

Trois états riches ont toujours refusé l'adhésion à l'UE: la Suisse, la Norvège et l'Islande. 

-Suisse, Norvège: un refus persistant d’adhésion à l'Union européenne

  • La Suisse et la Norvège sont deux particulièrement riches. La Suisse est un état de dimension réduite: 41 000 km carré et enclavé n'ayant aucune façade maritime avec une population de plus de 8 millions d'habitants. Son PIB s'élève à 715 milliards de dollars en 2019 (679 en 2014) ce qui classe la Suisse au 20e rang mondial. Le PIB par habitant est le 4e au monde: plus de 84 000 dollars (derrière le Luxembourg, la Norvège et le Qatar). Ce pays dispose d'une monnaie forte : le franc suisse, d'industries et de firmes performantes comme l'horlogerie, le groupe Nestlé leader mondial de l'agro-alimentaire ou le groupe pharmaceutique Novartis (2e groupe mondial) sans compter des groupes bancaires et d'assurances de première importance (10% du PIB du pays). 
  • La Suisse qui est membre de l'Association européenne de libre échange, a refusé d'adhérer en 1992 à l'espace économique européen (EEE) ce qui a eu pour conséquence le rejet de l'entrée à terme dans l'UE. Les citoyens suisses craignent dans une éventuelle adhésion à l'UE de trop perdre en souveraineté bien que l'UE représente 56% des exportations suisses et 75 % de ses importations. 
  • La Norvège est un état plus important avec une superficie de 385 000 km carré mais une population de plus de 5,1 millions d'habitants seulement. Le PIB de la Norvège est de 417 milliards de dollars en 2019 (22e rang mondial) et le PIB par habitant est un des plus importants au monde de l'ordre de 77 000 dollars en 2019. La Norvège dispose d'atouts énergétiques (hydrocarbures) qui font sa force ( 3e exportateur mondial de gaz et 9e exportateur de pétrole). 
  • La Norvège a rejeté à deux reprises l'adhésion à l'UE: en 1972 et en 1994. Comme les citoyens suisses, les citoyens norvégiens pensent à avoir plus à perdre qu'à gagner en intégrant l'UE. Surtout que la Norvège a accès au marché européen par le biais de l'espace économique européen (EEE) puisque comme l'Islande et le Liechtenstein, la Norvège a accepté d'intégrer ce marché intérieur avec l'UE. Elle est aussi membre de l'espace Schengen dont elle a signé la convention. 81% des exportations norvégiennes et 63% de ses importations se font avec l'UE. 

 - Islande: un Etat qui se remet d'une crise majeure

  • L'Islande, cette île de 103 000 km carré pour 300 000 habitants est également un pays riche avec un PIB par habitant de plus de 67 000 dollars en 2019. Mais ce pays a subi les effets de la crise de 2008: une crise qui a durement touché son système bancaire avec des entreprises et des banques mises en grandes difficultés. Tout comme la Norvège, l'Islande appartient à l'EEE, à l'espace Schengen et à l'AELE. 
  • En juillet 2009, elle a même lancé sa procédure d'adhésion et en février 2010, la Commission européenne ouvre les négociations. Mais en février 2014, le gouvernement islandais présente un projet de loi visant à retirer la candidature: une candidature officiellement abandonnée en mars 2015. Ce refus est une décision gouvernementale sans consultation référendaire: le gouvernement islandais (1er ministre S.Gunnlaugsson) pense que les intérêts de l'Islande seront mieux satisfaits sans intégrer l'UE: les liens actuels dans le cadre de l'EEE paraisse suffisants. 

b/ Des Etats candidats à l'entrée : l'UE comme vecteur de développement économique

 Si les états du Nord de l'Europe au niveau de vie élevé ne semble pas intéressé par l'adhésion, ce n'est pas le cas des états des Balkans. L'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, le Kosovo la Serbie ou le Monténégro sont eux intéressés en tant que candidats officiels ou potentiels: ils reçoivent à ce titre déjà des fonds européens. 

 -la Serbie: une entrée proche? 

  •  La Serbie est l'état le plus peuplé et le plus grand de ces candidats avec plus de 7 millions d'habitants, une superficie de 88 000 km carré. Son PIB par habitant est également le plus élevé: 7398 dollars en 2019. La Serbie a formulé sa demande d'adhésion en 2009 et en octobre 2011, la commission européenne a confirmé une procédure d'adhésion avec le statut de candidat à l'entrée. 
  • En 2012, le Conseil européen a accordé le statut officiel de candidat. L'accord de stabilisation et d'association est entré en vigueur en septembre 2013 et la première conférence intergouvernementale d'adhésion s'est tenue début 2014. Des efforts importants sont demandés à la Serbie dans la perspective d'une adhésion attendue pour 2020 en matière de justice, de respect des droits fondamentaux mais également dans le domaine de la concurrence. 
  • En plus des 33 chapitres à négocier concernant toute adhésion, un 34e est spécifique à la Serbie sur une normalisation des relations avec le Kosovo (un accord a été signé entre la Serbie et le Kosovo en avril 2013: il est perçu comme un premier pas). 

-les autres Etats balkaniques: des situations délicates pour une entrée repoussée? 

  • Les autres états balkaniques ont des caractéristiques assez proches: des superficies réduites: 29 000 km carré pour l'Albanie, 26 000 km carré pour la Macédoine, 51 000 km carré pour la Bosnie, 11 000 km carré pour le Kosovo et 14 000 pour le Monténégro; un nombre d'habitants limité: 3 millions pour l'Albanie, 2,1 pour la Macédoine, 3,8 pour la Bosnie, 1,8 pour le Kosovo et 0,6 pour le Monténégro. Il s'agit donc d'états peu importants démographiquement et territorialement dont la richesse économique est, de plus, réduite avec des PIB par habitant inférieurs à 11 600 dollars en 2013. L'Albanie, la Macédoine et le Monténégro sont des candidats officiels à l'entrée dans l'UE. 
  • L'Albanie a été reconnue officiellement en juin 2014 après avoir été retenue candidat potentiel en 2003, signé un accord de stabilisation et d'association en 2006 et déposé une demande officielle en 2009. Pour éventuellement intégrer l'UE, l'Albanie doit consentir des efforts importants afin de lutter contre la criminalité interne, améliorer son système judiciaire. La République de Macédoine a signé un accord de stabilisation en 2004 et le statut de candidat officiel est reconnu en décembre 2005 par le Conseil européen. Dans ce cas également, la Macédoine doit accomplir de sérieux progrès afin de mettre en place une véritable économie de marché. La Macédoine est néanmoins bloquée dans son processus par une querelle avec la Grèce qui bloque la procédure: cette querelle porte sur le nom Macédoine que la Grèce rejette puisqu'une de ses régions porte ce nom. La Grèce a déjà bloqué l'entrée de la Macédoine dans l'OTAN en 2009. De manière temporaire, la Macédoine porte l'acronyme ARYM: Ancienne République Yougoslave de Macédoine.
  •  En ce qui concerne le Monténégro, l'accord de stabilisation date de 2007, le statut de candidat officiel de 2010 et les négociations sont ouvertes depuis 2012. Le Kosovo quant à lui n'est pas encore un candidat potentiel. Son indépendance, proclamée en le 17 février 2008 est reconnue par 22 états dont la France mais des états dont certains sont membres de l'UE comme la Grèce, la Roumanie, la Croatie, ne reconnaissent pas ce pays (il en est de même pour la Russie ou la Serbie). Pour la Bosnie, l'accord de stabilisation est signé en juin 2008 ouvrant le processus d'adhésion. Mais le manque de réformes notamment sur le respect de la convention des droits de l'homme ralentit le processus. La Bosnie est encore un état fragile depuis les accords de Dayton de 1995: les relations entre les différentes communautés ne sont pas complètement apaisées (communautés serbe, musulmane et croate) 

 c/ Ukraine, Moldavie, Biélorussie: des états pris dans un “étau” entre UE et Russie? 

  • La Biélorussie, la Moldavie et l'Ukraine sont les trois états les plus proches de la Russie: une Russie qui n'entend pas perdre son influence sur des pays qu'elle estime être dans sa zone d'influence. Néanmoins, les trois états en question ne sont pas dans la même situation. La Biélorussie est un état à la superficie assez importante de 207 600 km carré pour une population de plus de 9,5 millions d'habitants. Son PIB par habitant était en 2019 de 6604 dollars donc un pays peu riche dont l'une des particularités est d'avoir une démographie atone (croissance de 0% en 2014 selon la Banque mondiale). Autre particularité de la Biélorussie: elle est un régime autoritaire de type soviétique avec pour chef d'état Alexandre Loukachenko au pouvoir depuis 1994. la Biélorussie entretient des liens importants tant sur le plan politique qu'économique avec la Russie.  En ce qui concerne les relations avec l'UE, elles sont quasi inexistantes. La Biélorussie n'est même pas membre du conseil de l'Europe. 
  • Pourtant, l'UE achète des hydrocarbures à la Biélorussie tout en condamnant le régime. La Biélorussie est membre d'une union douanière avec la Russie et le Kazakhstan avec un tarif commun aux frontières extérieures. Depuis 2012, dans cet espace, les marchandises, capitaux et hommes circulent librement. En 2015, la Biélorussie tout comme la Russie et le Kazahstan ont intégré, sous l'égide de Moscou, l'Union économique eurasiatique comprenant également aussi le Kirghizistan et l'Arménie. La Biélorussie est donc bien loin de l'UE et de vouloir y être intégrée. 
  • La Moldavie n'est pas dans une situation très enviable. D'une superficie de 33 700 km carré pour uine population de 3,5 millions d'habitants et un PIB par habitant faible de 3300 dollars en 2019, la Moldavie, dont plusieurs gouvernements depuis 2009 souhaitait un rapprochement avec l'UE, est minée par les revendications sécessionnistes de la région de Transnistrie, une région peuplée d'une majorité de russophones.  La Transnistrie a d'ailleurs fait sécession en 1990 et suite à un conflit en 1992, des troupes russes sont stationnées dans cette région.
  • La Transnistrie n'est reconnue par aucun état et la situation actuelle est plutôt confuse: des négociations en vue de régler le conflit n'ont toujours pas abouti. La Russie ne compte pas abandonner son influence sur cette partie de l'Europe orientale. Enfin, le cas de l' Ukraine est le plus difficile. Cet état de 604 000 km carré et 42,6 millions d'habitants est depuis plusieurs mois dans la tourmente. 
  • L'Ukraine se compose d'une minorité russophone assez importante: 17,5% de la population. Avant d'évoquer la situation politique, il faut donner quelques précisons sur l'économie ukrainienne: une économie en grandes difficultés . Le PIB par habitant est évalué à 3592 dollars par le FMI en 2019 mais sur la période 2010-2014, il atteint une moyenne de 8000 dollars selon la Banque mondiale). Pour l'année 2015, le PIB devrait chuter de 7,5%. En 2014, la récession que connaît ce pays est profonde: moins 6,5% avec une situation fiancière catastrophique, en avril 2014, le FMI a accordé un prêt de 17 milliards de dollars. La dette publique de l'Ukraine (94% du PIB en 2015) s'élève à 72,5 milliards de dollars: le pays est proche du défaut de paiement. 
  • Une partie de cette dette concerne la Russie: ainsi, l'Ukraine a une dette de plus de 3,5 milliards de dollars (notamment l'opérateur gazier ukrainien Naftogaz) par rapport au groupe énergétique russe Gazprom. 
  • La difficile situation de l'Ukraine s'explique en partie par sa situation politique. En 2013, alors que des accords d'association avec l'UE sont en passe d'être signés, le président ukrainien Victor Ianoukovitch (élu comme président en 2010) refuse cet accord (sous la pression de la Russie). Ce rejet entraîne un fort mécontentement des Ukrainiens pro-européens notamment en février 2014. Les manifestations, sévèrement réprimées, finissent par aboutir à la destitution par le Parlement de V. Ianoukovitch. 
  • Fin février-début mars 2014, les troupes russes occupent la Crimée (une péninsule où la population russe est majoritaire): le 18 mars un référendum est organisé permettant la “naissance” d'une République de Crimée devenant une fédération de Russie. 
  • Parallèlement, des soulèvement ont lieu dans les provinces de l'Est en particulier dans le Donbass où les russophones sont nombreux. En mai 2014, un nouveau président est élu: Petro Porochenko. Depuis avril 2014, l'Ukraine est en donc en situation de guerre civile avec les séparatistes qui ont proclamé deux républiques populaires: la république de Donetsk et celle de Lougansk. La crise ukrainienne est une crise européenne: l'Ukraine est un enjeu à la fois pour l'UE et la Russie. 
  • Cette dernière ne veut pas que l'Ukraine sorte de sa zone d'influence alors que l'UE était prête à un partenariat de plus en plus poussé avec elle. On peut penser que cette crise si elle perdure va accentuer la fracture de l'Europe opposant la Russie à l'UE.

2/ Les relations de l'UE avec le monde


L'UE entretient des relations plus ou moins approfondies avec les autres états: des relations fondés dans certains cas sur un partenariat. On peut rappeler l'échec de la Communauté européenne de défense en 1954 comme un frein au poids géopolitique de l'UE. Toutefois, à partir de 1992 et du traité de Maastricht, l'UE tente de mettre en place une véritable politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Mais dans ce domaine si particulier les décisions doivent être prises à l'unanimité. 

 A/ Les relations avec les autres

Europe Les relations avec les autres Europes: partenariat, volonté d'intégration ? L'UE entretient des relations avec les autres états européens par l'intermédiaire de plusieurs accords d'association et donc de partenariat. L'Europe en règle générale s'organise par des associations, des alliances et des partenariats. 

 a/ des relations de partenariat fortes 

-l'espace Schengen: un espace qui suscite des débats

  • La création de l'espace Schengen est un bon exemple de relations entre états européens dont quelques uns ne sont pas membres de l'UE. Le projet est à l'initiative de la France, l'Allemagne, et les états du Benelux: devant les difficultés dans les années 1980 à créer un espace sans frontières, ils décident de le créer entre eux. 
  • Les accords de Schengen sont signés en 1985: l'objectif majeur de ces accords est la suppression des formalités aux frontières à l'intérieur de cet espace (mais également le renforcement du contrôle des frontières extérieures). La convention d'application de l'accord est signée en 1990: une convention signée également par l'Italie cette même année puis par l'Espagne et le Portugal en 1991. La Grèce en 1992, l'Autriche en 1995, le Danemark en 1996, la Finlande et la Suède rejoignent cet espace. Le plus intéressant est la signature de deux états non membres de l'UE: la Norvège et l'Islande (en 1996) En 2004, c'est au tour de la Suisse d'intégrer l'espace Schengen. 
  • Aujourd'hui, cet espace comprend 22 états membres (Allemagne, Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas, Autriche, Danemark, Suède, Finlande, Espagne, Portugal, Italie, Grèce, Lituanie, Lettonie, Estonie, Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovénie, Slovaquie et Malte pour l'UE) dont 4 états associés non membres de l'UE: Norvège, Islande, Suisse et Liechtenstein.
  •  Il faut donc souligner que des états nom membres de l'UE ont accepté ces accords ce qui prouve qu'il n'est pas nécessaire d'être membres de l'UE pour participer à des actions communes.
  • Inversement, des états membres ont refusé d'intégrer Schengen: le Royaume-Uni, l'Irlande bien que ces derniers bénéficient d'un statut particulier (clause d'opting-in) participant seulement à quelques dispositions comme la coopération policière. 
  • Chypre, Bulgarie, Roumanie et Croatie ne font pas encore partie de l'espace de Schengen: Chypre car existe toujours le problème de la partition de l'île et la séparation actuelle n'est pas reconnue comme frontière officielle; la Croatie devrait intégrer Schengen une fois ses frontières sécurisées en théorie en 2016; quant à la Roumanie et la Bulgarie, les autres états membres ne semblent pas pressés de l'intégration à Schengen, les frontières de ces deux états étant particulièrement poreuses et ouvertes à l'immigration clandestine.

- des liens divers et multiples 

  • L'Union européenne a des liens avec l'AELE (Association Européenne de Libre échange créée en 1961) qui ne compte plus que 4 membres: Norvège, Islande, Suisse et Liechstenstein, les autres ayant rejoint précisément l'UE. L'UE a passé plusieurs accords avec la Suisse (L'UE est le 1er partenaire commercial de la Suisse et plus d'un million de citoyens européens y vivent sans compter les frontaliers au nombre de 230 000 qui passent chaque jour la frontière) dont un accord de libre échange datant de 1972 (élargi depuis). En 1999, la Suisse et l'UE ont aussi signé un accord sur la libre circulation des personnes. 
  • Trois membres de l'AELE font partie de l'espace économique européen (composé de 31 membres): cet espace a été créé en 1992 pour faciliter les échanges entre les membres de l'UE et de l'AELE (accord non signé par la Suisse qui a de ce fait opté pour des accords bilatéraux). 
  • En adhérant à l'EEE, les états nom membres intègrent la plus grande partie des règlements européens: l'EEE permet ainsi l'accès au marché unique. Créé également en 1992, l'Accord de Libre Echange Centre Européen dont l'objectif est de favoriser l'adhésion de ses membres à l'UE. 
  • Sept états appartiennent à cette structure: l'Albanie, la Bosnie- Herzégovine, la Serbie, le Monténégro, la Moldavie, le Kosovo et l'ARYM c'est-à-dire la Macédoine. L'ALECE est vu comme un passage temporaire avant l'intégration à l'UE. 

b/ Un processus d'intégration envisageable ou une réactivation des partenariats ? 

Ces liens de l'UE avec d'autres états européens non membres répond à plusieurs objectifs dont une intégration future. 

 - avec qui ? 

  • Ce processus comme nous l'avons déjà vu ne concerne qu'une partie des états avec lesquels l'UE a tissé des liens. Les états membres de l'ALECE ont à priori vocation à intégrer l'UE ce qui n'est pas le cas d'états comme la Suisse, la Norvège ou l'Islande. Pour les deux premiers, la non adhésion à l'UE semble être un acquis quasi définitif. L'UE dans un cadre plus large a mis en place une politique de voisinage avec l'Europe orientale. 
  • Cette politique de voisinage qui est un accord d'association est mise en place à partir de 2009 (mai 2009) avec plusieurs états: la Biélorussie, l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan soit des états ayant appartenu à l'ex bloc soviétique. Ce partenariat est une idée de la Pologne et de la Suède concernant des états au profil différent puisque trois d'entre eux sont des états caucasiens (Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie). Hormis leur ancienne appartenance au bloc soviétique, ces états sont économiquement en retard.  Il s'agit incontestablement pour l'UE de prendre pied sur des zones géographiques auxquelles la Russie tient. 
  • Ce partenariat repose sur des plateformes devant dans un premier temps permettre le dialogue: plateforme sur la démocratie, l'intégration économique et les convergences avec l'UE, la sécurité énergétique...
  • Un tel partenariat est fondé sur la volonté de l'UE de développer la démocratie et l'économie de marché. Or ce partenariat se heurte à la Russie qui mène un véritable travail de sape contre lui: le cas ukrainien en est un bon exemple. Actuellement, seuls la Géorgie et la Moldavie ,qui rappelons-le ont été amputés d'une partie de leurs territoires respectifs (Ossétie du Sud et Abkhazie pour la Géorgie, Transnistrie pour la Moldavie contrôlées indirectement ou directement par la Russie) ,ont digné un accord d'association avec l'UE (accord signé en 2013 à Vilnius). Ce partenariat est donc au moins en partie remis en question. 

 -quelles perspectives à long terme ?

Les perspectives à long terme sont floues: l'intégration de plusieurs états devrait se faire d'ici un horizon assez proche (années 2020-22) aboutissant à une Union à 35 avec les différents états balkaniques. Par contre, il est difficile d'envisager pour l'heure d'autres perspectives notamment concernant l'Europe orientale: les tensions géopolitiques avec la Russie sont trop vives. 

 B/ Les relations avec le monde 

Quels sont les liens de l'UE avec le monde ? Ces liens lui permettent-ils de renforcer sa puissance et de peser sur les relations internationales? L'UE a bien entendu des relations avec le monde que ce soit avec un environnement proche comme l'Afrique du Nord et plus généralement la rive sud de la Méditerranée ou un environnement plus lointain: Amériques, Asie... L'UE a mis en place une politique européenne de sécurité et de défense (PESD) depuis le traité de Maastricht. 
Elle est fondée sur plusieurs principes: avoir une politique de défense commune à terme, bâtir une armée européenne commune mais aussi le principe que les obligations de l'OTAN s'imposent à l'UE. La politique européenne de sécurité est de ce fait liée à l'OTAN: elle entre dans sa logique (l'UE est donc un pilier de l'OTAN). Certains évoquent pour l'Union européenne une “géopolitique du déclin” (Vincent Adoumié). 
La réflexion de Michel Foucher peut permettre de comprendre l'impuissance de l'UE sur la scène internationale: “Quand on est ni un état ni une nation, comme c'est le cas de l'Union européenne, comment agir dans le monde mû par de puissants intérêts géopolitiques nationaux particuliers ? Comment peser sur des acteurs plus enclins aux rapports de force qu'aux compromis? (...) Bref comment influencer sans dominer?” 

 a/ Les relations avec l'environnement proche

  • La notion de voisinage permet à l'UE de définir un périmètre de proximité dans lequel entrent des pays ayant des frontières communes avec l'UE (frontières terrestres ou maritimes). La politique de voisinage a été lancée à partir de 2001 (Conseil Européen de Stockholm) à partir de deux projets initiaux: le partenariat Euromed (initié dès 1995 avec le processus de Barcelone) et le partenariat oriental (sommet de Prague de 2009) Ce voisinage comprend le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Libye, l'Egypte, Israël, les territoires palestiniens, la Jordanie, le Liban, la Syrie mais également l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine dont les cas ont déjà été évoqués. 
  • Tous les états cités à l'exception de la Biélorussie, la Libye et la Syrie ont entamé des négociations avec l'UE. 
  • C'est le traité de Lisbonne de 2009 qui a mis cette notion de voisinage en exergue et l'a officialisée mettant l'accent sur les relations privilégiées de l'UE avec les pays de son voisinage. Elle doit rendre possible des relations privilégiés avec ces états. Cette notion de voisinage est donc éminemment géographique puisqu'elle renvoie à une proximité avec des frontières communes (terrestres ou maritimes) 

 -le partenariat avec le sud de la Méditerranée : mythe ou réalité?

  • La mer Méditerranée est essentielle pour l'UE avec ses 2,5 millions de km carré, sa longueur de 3500 km de Gibraltar à Beyrouth et la proximité avec des états appartenant à la rive Sud: des états au niveau de développement inégal, des états étant pour quelques uns dans une situation politique très délicate (Syrie, Libye...). La Méditerranée est fondamentale pour de nombreux états européens: les liens sont historiques et très anciens. 
  • C'est un espace d'échanges économiques, commerciaux et culturels depuis fort longtemps. Ce sont aussi des relations pouvant être conflictuelles comme l'ont montré la colonisation et la décolonisation lors d'une période récente. L’UE est confrontée à un Sud de l’Europe avec la rive Sud de la Méditerranée à des situations de crise (Libye, crise migratoire...) avec ce qu’Olivier de France nomme un « anneau de feu. » Les enjeux pour l'UE sont importants et ce à plusieurs niveaux : enjeux démographiques avec des états de la rive sud ayant une croissance démographique plus élevée que celle des états européens même si le taux de fécondité de ces états est en baisse et des courants migratoires importants; des enjeux économiques avec des états en voie de développement ayant avec l'UE, de manière générale, des relations commerciales asymétriques et des enjeux politiques et géopolitiques fondamentaux avec des conflits proches, la montée de l'islam radical... A ces enjeux, on peut ajouter des relations anciennes liées à la colonisation et parfois des mémoires douloureuses. 
  • Démographiquement, la rive sud connaît donc une baisse de la fécondité avec par exemple un indice de fécondité de 2,7 pour l'Algérie (2018) pour une population de plus de 42 millions d'habitants, de 3,2 pour l'Egypte pour 98 millions d'habitants, de 2,5 pour le Maroc pour 36 millions d'habitants ou encore de 2 pour la Tunisie (11,5 millions d'habitants) mais la hausse de la population va se poursuivre avec une structure par âge où les moins de 15 ans sont nombreux: 28% en Algérie, 31% en Egypte, 30% au Maroc alors que le marché de l'emploi est globalement saturé ce qui peut conduire à accroître les flux migratoires. 
  • Au niveau économique, les états de la rive sud sont incontestablement en retard comme le montrent les revenus par habitant (source Banque mondiale en 2015): 4 870 dollars pour l'Algérie, 3040 $ pour le Maroc ou encore 3970 $ pour la Tunisie... (PIB par habitant 2013 en $ de 3160 pour le Maroc, 3243 pour l'Egypte, 4317 pour la Tunisie... selon le FMI). On retrouve ce type d'écarts au niveau social avec l'IDH qui est de 0,736 en Algérie, 0,628 au Maroc, 0,721 en Tunisie, 0,690 en Egypte, 0,769 au Liban... 
  • Les états de la rive sud à l'exception d' Israël ont des économies qui souffre d'un manque de diversification avec des faiblesses au niveau des infrastructures éducatives et sans un tissu productif véritable. Depuis longtemps, l'Union a établi des relations avec les pays de la rive sud. Mais les échanges commerciaux sont souvent asymétriques avec des balances commerciales le plus souvent déficitaires à l'exception des états exportant du pétrole et du gaz naturel. Néanmoins, pour ces états, l'UE est souvent le principal partenaire commercial alors que la réciproque n'est pas vraie. Ainsi, le commerce extérieur du Maroc reste fortement tourné vers l'Europe. Cette dernière est son premier client avec 68% des exportations marocaines vers l'Europe (Russie comprise) en 2015 et son premier fournisseur avec plus de 63% du marché marocain (13,9% pour l'Espagne et 12,7% pour la France). Au début des années 1960, la CEE a signé des accords économiques et commerciaux avec les états du Maghreb et du Machrek y compris des accords d'association comme avec la Turquie en 1963, Malte en 1972 ou Chypre en 1973 (depuis Malte et Chypre ont d'ailleurs rejoint l'UE). 
  • Dès le début de la construction européenne, on constate un intérêt pour la Méditerranée. Des accords sont signés avec le Maroc et la Tunisie en 1969, en 1970 avec Israël, en 1972 avec le Liban et l'Egypte... 
  • En 1972 est lancée la politique méditerranéenne globale dans la continuité d'accords préférentiels signés en 1969 avec les pays du Maghreb. Cette politique se traduit par de nombreux accords bilatéraux à l'exception de la Libye et un régime spécial d'accord est mis en place avec la Grèce, la Turquie, Malte et Chypre en vue d'une éventuelle union douanière. Les accords signés dans ces années 1970 avec les états de la rive sud comprenait une coopération commerciale avec des tarifs préférentiels notamment sur les produits agricoles, une coopération financière et même une coopération sociale afin d'améliorer le niveau de vie des travailleurs immigrés. En 1976 est signée la Convention de Barcelone ou Convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution entrant en vigueur en 1978: les états des rive nord et sud entreprennent de ce fait une coopération dans le domaine environnemental. 
  • On peut ajouter qu'en 1987 le Conseil des ministres européen a rejeté la candidature du Maroc à l'entrée dans la Communauté européenne. A partir des années 1990, sous l'impulsion des états du sud de l'UE (Espagne, France, Italie...), les relations sont approfondies avec une politique Méditerranéenne rénovée lancée par la Commission européenne. Le 6 mars 1995, un accord d'union douanière avec la Turquie est signé entrant en application en 1998; toujours en 1995 est signé un accord UE et Tunisie en vigueur en 1998 puis avec le Maroc en 1996 (application en 2000)... En 1995, se met en place le partenariat euro-méditerranéen suite à la conférence et au processus de Barcelone: un partenariat mettant en relation les 15 membres de l'UE de l'époque avec 12 états de la rive sud: Algérie, Autorité palestinienne, Chypre, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie. L'idée est de bâtir une zone “euro-méditerranéenne” fondée sur la paix et la stabilité et de réaliser à terme un libre échange d'où la nécessité d'abaisser les barrières douanières (une zone de libre échange est prévue pour 2010 et n'est pas réalisée à ce jour). En ce qui concerne le fonctionnement, les accords passés sont à la fois bilatéraux (d'état à état) et multilatéraux. 
  • Mais ce processus a peu d'effets: les écarts entre les deux rives sont conséquents, l'apport financier de l'UE aux pays de la rive sud est limité (18 euros par habitant entre 1995-2004 contre 270 euros pour les pays d'Europe centrale et orientale) et les états de l'UE ont une attitude de méfiance à l'égard des voisins du sud notamment au niveau politique. A partir de 2004, la politique de voisinage à l'égard de cette rive sud est redéfinie devant conduire en 2008 à la création de l'Union pour la Méditerranée. Les buts sont de créer un espace prospère fondé sur des valeurs communes, d'aider au développement... mais aussi de lier aides et avantages accordés à des réformes politique et économique. Le 1er janvier 2007 a été mis en place l'instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP): un instrument de financement avec un budget (en théorie celui-ci devrait être de 18 milliards d'euros pour la période 2014-2020). 
  • En juillet 2008, la conférence de Paris va donc créer l'UpM pendant la présidence française de l'UE. L'UpM comprend 15 partenaires du sud de la méditerranée etc du Proche-Orient : Albanie, Algérie, Bosnie-Herzégovine, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Mauritanie, Monaco, Monténégro, Maroc, Autorité palestinienne, Syrie, Tunisie et Turquie. L'UpM a une gouvernance associant réellement les deux rives avec une double présidence et un secrétariat général dont le siège est à Barcelone. Depuis 2011, en lien avec les événements du Printemps arabe et les conflits de cette région, l'UPM paraît en sommeil même si plusieurs projets ont été lancés en 2013 (40 projets labellisés en 2016 dans plusieurs domaines). En décembre 2015, l'UpM a obtenu le statut d'observateur dans le cadre des Nations Unies 

 -quels liens avec l'Afrique subsaharienne ? 

  •  Les relations entre l'UE et les états africains s'établissent à plusieurs niveaux: des accords bilatéraux, des accords de coopération entre l'UE et les états africains et des liens entre l'UE et les organisations régionales du continent africain. L'UE participe à la coopération avec les états en développement notamment par l'aide au développement. Collectivement, l'UE et les pays y appartenant sont les premiers donateurs d'aide humanitaire au monde avec une aide d'environ 1 milliard d'euros même si cela ne représente que moins de 1% du budget annuel de l'UE.
  • Il existe un mécanisme d'aide humanitaire mis en place par la Commission à savoir le service d'aide humanitaire et de protection civile (ECHO). Par l'aide humanitaire, l'UE est présente dans de nombreuses zones de conflits et de tensions comme en Ukraine, Syrie, en afrique de l'Ouest avec l'épidémie liée à Ebola... Une partie des fonds disponibles est d'ailleurs destiné à des catastrophes naturelles. Depuis 1992, l'aide humanitaire de l'UE s'est réalisé dans 140 pays et vient en aide chaque année à environ 120 millions de personnes. Cette aide humanitaire permet à l'UE d'affirmer sa présence à l'échelle mondiale. L'UE, c'est aussi une importante aide publique au développement. La politique d'aide au développement débute dès 1957 avec la création d'un fonds européen pour le développement. Actuellement cette aide publique au développement bénéficie à 160 pays et repose sur plusieurs instruments: le fonds européen d'aide au développement déjà évoqué avec un budget de 31,5 milliards d'euros pour la période 2014-2020; l'ICD ou instrument de coopération au développement destiné à l'Amérique centrale et du Sud, à l'Asie, l'Asie centrale et l'Afrique du Sud avec 23,3 milliards d'euros pour la période 2014-2020; l'instrument européen de voisinage d'un budget de 15,4 milliards d'euros pour la période 2014-2020 pour la coopération avec les pays du bassin méditerranéen et d'Europe orientale. 
  • Il faut ajouter que plusieurs états européens participent en plus au Comité d'aide au développement créé au sein de l'OCDE en 1961 (les 15 états de l'UE à 15 ont donné dans ce cadre 63,7 milliards de $ en 2012 c'est-à-dire plus de 50% de cette aide du CAD. Néanmoins peu de pays dépassent l'objectif d'une aide publique supérieure à 0,51 % de leur RNB ou tout simplement l'objectif fixé par l'ONU de 0,7% hormis la Suède, la Norvège, le Luxembourg, le Danemark et les Pays-Bas dont les pourcentages en 2015 sont respectivement de 1,4%, 1,05%, 0,93%, 0,85% et 0,73% (France = 0,37%). En dollars, cette APD en 2015 correspond toutefois à 18 milliards de $ pour le Royaume-Uni, 17,7 milliards pour l'Allemagne, 9,2 milliards pour la France... (31 milliards pour les E-U). L'aide de l'UE qui est gérée par la Commission européenne n'est pas comprise dans celle du CAD. Dès 1957, la Belgique et la France ont souhaité que soient maintenues des relations commerciales et économiques avec leurs colonies. En 1963, les 6 pays de la CEE signe avec 18 états africains la convention de Yaoundé associant 18 états africains aux 6 états membres de la CEE valable pour une durée de 5 ans (elle est renouvelée en 1969). 
  • La convention de Yaoundé donnait des avantages commerciaux ainsi qu'une aide financière aux états signataires. Puis est signé la convention de Lomé en février 1975 associant la CEE aux pays de l'ACP. Ces derniers bénéficient d'avantages commerciaux au niveau de leurs exportations vers l'UE notamment d'un régime commercial avantageux par le biais du système préférentiel généralisé. 
  • C'est dans ce cadre qu'est mis en place le système STABEX ou système de stabilisation des recettes d'exportation visant à stabiliser les recettes à l'exportations des pays ACP (48 produits étaient concernés) afin de garantir des recettes minimales (système supprimé en 2000) mais aussi le système SYSMIN ou système de développement du potentiel minier visant quant à lui 8 produits miniers dont les cours devaient être garantis en cas de baisse.
  •  Depuis, l' UE a différencié ses relations avec l'Afrique: l'Afrique du Nord s'intégrant dans le partenariat évoqué plus haut, l'Afrique subsaharienne qui bénéficie des accords de Cotonou et l'Afrique du Sud (accords de libre échange) dont le niveau de développement jugé plus important nécessite l'établissement de relations différentes. En juin 2000 ont été signés les accords dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) de Cotonou, des accords réunissant les 28 membres de l'UE et 79 pays dits ACP. 
  • Ces accords doivent favoriser le développement, le commerce (par des accords douaniers), l'intégration régionale. L'un des objectifs est de permettre l'intégration de ces états dans le processus de mondialisation.
  • Par contre, à l'inverse des conventions précédentes, les accords de Cotonou s'inscrivent dans une logique libérale puisque les avantages commerciaux conférés aux pays ACP sont supprimés comme les systèmes STABEX et SYSMIN. Selon l'UE, il s'agit là de la meilleur façon de s'insérer dans la globalisation. Parallèlement, l'UE et les pays ACP doivent négocier des accords commerciaux et de partenariat économique pour la période 2008-2020. L'UE a même demandé aux états ACP de libéralise,r sur 10 ans, 80% de leurs marchés avec en contrepartie la suppression des contraintes à l'importation des produits ACP. Dans ce double cadre de libéralisation et de négociations d'un partenariat, les pays ACP doivent donc libéraliser leurs marchés. L'UE coopère également avec des associations régionales comme la CEDEAO (Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest). 
  • Parallèlement, l'UE incite les états ACP à former des unions douanières. Ces accords sont valables pour une période de 5 ans et ont été révisés en 2005 et 2010 (aucune révision n'est prévue en 2015). Plusieurs partenariats sont mis en place concernant la paix et la sécurité, la gouvernance démocratique, l'intégration régionale ou encore les objectifs du millénaire pour le développement... On peut insister sur le fait que les Accords de Cotonou peuvent, en théorie, conduire à la suspension de l'aide au développement en cas de violation des droits de l'homme. 

 b/ Les relations avec les E-U et les pays émergents 

- les rapports avec les E-U: du partenariat aux tensions ?

  •  Les liens entre l'UE et les E-U sont très forts bien que parfois non dénué d'ambiguïté.Il faut insister sur le fait qu'après la seconde guerre mondiale, les E-U ont fortement souhaité la construction européenne qu'ils jugeaient nécessaire dans le cadre de la guerre froide. L'Europe de l'Ouest a bénéficié du soutien économique des E-U mais aussi de sa protection militaire. Dans cette optique, il est important de mettre l'accent sur le rôle de l'OTAN: celle-ci est instaurée par la traité de Washington du 4 avril 1949. Comme le font certains, il faut insister sur le fait que les élargissements de l'OTAN anticipent ceux de l'UE. 
  • La Hongrie, la Pologne, la République tchèque intègrent l'OTAN dès 1999 bien avant d'adhérer à l'UE en 2004. Les membres de l'UE sont de ce fait liés politiquement et militairement aux E-U et ce bien qu'il y ait eu des dissensions comme en 2003 au moment de la seconde guerre d'Irak. 
  • Lorsque Donald Trump est arrivé au pouvoir en 2016, les relations entre les E.-U et l’UE ont été fortement impactées. Les E.-U se sont retirés d’accords auxquels les Européens étaient attachés comme les accords de la Cop 21, Donald Trump a rejeté le partenariat transatlantique négocié par Obama avec l’UE et de plus Trump a mené une politique protectionniste y compris à l’égard des partenaires européens. Trump en questionnant à la fois la participation des E.-U à l’OTAN et en se détachant partiellement de l’Europe oblige l’UE à se repositionner Il s’agit notamment de l’éventualité d’une Europe plus autonome par rapport aux E.-U sachant que les Européens ne peuvent plus (ou moins compter) sur les Américains.  Au niveau économique, les E-U et l'UE sont à la fois concurrents et partenaires. 
  • Des négociations sont entamées en vue de constituer un libre échange transatlantique.Ces négociations ont débuté en juin 2013: le but est un traité de libre échange transatlantique (TAFTA : Trans- Atlantic Free Trade Agreement). Les raisons de ces négociations sont de plusieurs ordres: au niveau économique, l'UE et les E-U sont dépendants par leurs échanges et investissements croisés, ils ont intérêts à se lier davantage. 
  • Au niveau géostratégique, ce serait un moyen de contrer les puissances émergentes en particulier la Chine. Les résultats des négociations ne sont pas certains surtout depuis que Trump a mis fin aux négociations (vont-elles reprendre avec Joe Biden?) En effet, ces négociations portent sur l'accès au marché, les règles commerciales et les réglementations à adopter dans le cadre d'une libéralisation plus grande. Des états et des mouvements politiques sont hostiles à ces négociations voyant un danger économique voire culturel. La France a d'ailleurs obtenu le retrait de ce qui touche à l'audiovisuel dans ces négociations menées par la Commission européenne. Quand bien même le projet serait finalisé, il doit être ensuite adopté par le Congrès américain puis le Conseil et le Parlement européen. 

 -les paradoxes des liens avec les pays émergents

  • Les relations avec les pays émergents que ce soit la Chine, le Brésil ou d'autres sont différentes: elles ne sont pas fondées sur une histoire comme celle entre l'Europe et les E-U. Les échanges entre l'UE et l'Asie sont néanmoins importants: 27% des exportations extra-communautaires sont à destination de l'Asie (8,5 % pour la Chine) et un tiers des exportations asiatiques sont destinées à l'Europe. L'UE est le 3e partenaire commercial du Japon. Le déficit commercial de l'Europe par rapport à l'Asie est important : il est d'environ 170 milliards d'euros par rapport à la Chine. Il existe néanmoins un accord de libre échange signé entre l'UE et la Corée du Sud (en application depuis juillet 2011) portant entre autres sur la suppression des tarifs douaniers. Avec la Chine, l'UE envisage un partenariat : des discussions sont en cours concernant certains domaines mais sans avancée particulière.
  • L'UE négocie également deux accords avec le Japon portant sur une coopération politique et stratégique et sur un accord de libre échange. L'UE avait déjà signé des accords sectoriels avec le Japon par exemple en 2007 sur l'énergie nucléaire. Il est intéressant de faire un focus sur les relations entre l’UE et la Chine sachant que ces relations opèrent dans un nouveau contexte géopolitique avec une Chine devenue une puissance majeure et globale. L’Europe entre dans le projet chinois des routes de la Soie, un projet qui englobe une soixantaine de pays dont précisément des pays européens. Il s’agit de renforcer les liens notamment sur le plan économique et commercial entre l’Europe et la Chine. 
  • Il faut savoir que tous les membres de l’UE n’ont pas la même perception de la Chine. Certains Etats acceptent sans trop de difficulté les investissements chinois comme la Grèce... alors que la France et l’Allemagne se montrent bien plus réticent. L’idée est à nouveau tout en restant théorique d’essayer d’adopter des positions communes par rapport au géant chinois. 
  • Il faut d’abord se poser une question essentielle : la Chine peut-elle être un partenaire fiable ou un rival dangereux ? L’attitude de l’UE et des états membres dépend de la réponse apportée à cette question. Une autre question est importante par rapport à la Chine : l’UE doit-elle adopter une politique spécifique ou s’aligner sur les E.-U pour qui la Chine est un rival majeur ? Il y a une voie médiane compliquée à mettre en place : se positionner comme une force d’équilibre entre les E.-U et la Chine. 
  • Les relations économiques avec l'Amérique latine et les deux puissances émergentes que sont le Brésil et le Mexique sont modestes: 6,5% des exportations extra-communautaires sont à destination de l'Amérique latine. 
  • L'UE a néanmoins signé un accord de partenariat économique avec le Mexique en 1997 et des négociations sont en toujours en cours avec le MERCOSUR (depuis 2000). L'UE a des liens et des accords avec les principales zones géographiques de la planète mais elle a mis davantage l'accent sur ses relations avec son voisinage proche et avec les E-U. 

 Bilan général

  • L'UE est, il faut insister sur ce point, une organisation internationale à part entière même si elle n'est pas reconnue comme état. On peut rappeler également que tous les états de l'UE sont membres de l'ONU: les 28 états de l'UE sont d'ailleurs les principaux contributeurs financiers de l'ONU (38% du budget de l'ONU, 22% pour les E-U...).  Depuis 2011, l'UE en tant que telle a “le statut avancé d'observateur”( donc pas de droit de vote).  L'UE participe au G 20 où elle est représentée par le président du Conseil européen et le président de la Commission européenne. L'UE est aussi présente sur la scène mondiale par des accords mais aussi au sein de l'OMC.
  •  Dans le cadre de l'OMC, elle s'exprime au nom des états membres de l'UE Une des questions fondamentales concerne la PUISSANCE : l’UE est-elle une puissance véritable ? Pour certains, elle n’est pas une puissance réelle (idée d’une Europe-marché et non d’une Europe-puissance). L’UE sur le plan géopolitique n’est pas réellement autonome notamment par rapport aux Etats-Unis et à l’OTAN et il serait nécessaire comme le disait Angela Merkel que l’UE puisse vraiment « prendre son destin en main ». La relative impuissance de l’UE est également à mettre en relation avec une « cacophonie stratégique » (Olivier de France). Les différents Etats de l’UE n’ont pas les mêmes perceptions géopolitiques, les mêmes intérêts...  Ils ont des problèmes pour s’accorder sur une stratégie commune.
  •  Se greffe l’essor des nationalismes et un attachement important à la souveraineté nationale empêchant de penser une action commune. Les pays membres ont surtout « une lecture hétérogène du monde » (Oliver de France) avec des points de vue divergents (voir l’attitude par rapport à la Russie par exemple). Comme le souligne avec force Jean- Sylvestre Mongrenier, « l’Union européenne ne constitue pas un acteur géopolitique global capable de poser des actes souverains. »
  •  Il évoque aussi » une « Europe somnambule »(qui) se découvre entourée de menaces. » On peut enfin se demander si « l’Europe a un avenir ?» (Olivier de France). Olivier de France évoque des « blessures européennes » avec une Europe qui n’est plus au coeur du monde, un Brexit qui « entérine l’idée que l’intégration européenne est désormais réversible. »  Avec le Brexit, on peut se demander si l’UE a les capacités à rebondir. 
  • On peut également s’interroger sur le fait que certains Etats européens ont la volonté d’un repli avec la montée en puissance des mouvements nationaux-populistes avec l’idée que seul l’Etat-Nation peut être un rempart face aux difficultés.
Nicolas Danilevski

3/ L'Europe et la Russie : des rapports conflictuels et complexes


A/ La Russie: le retour d'une puissance impériale sur la scène internationale

 La Russie : Etat européen ou asiatique ? Avec quels atouts et quelles limites? L'Europe et la Russie ont des liens anciens. La Russie par sa proximité avec l'UE entretient des relations importantes même si elles peuvent être tendues. De façon plus générale, la Russie est quoiqu'on en dise un état européen. Pour reprendre une expression d'Hélène Carrère d'Encausse, la Russie “n'est pas un pays asiatique, mais un pays d'Europe dont la puissance est asiatique.” Il est intéressant de s'interroger sur ce pays parce qu'il est un partenaire de l'UE et une puissance incontournable mais une puissance qui désormais pose problème à l’UE. Actuellement, les relations entre l'UE et la Russie ne sont, en effet, pas très bonnes: on peut parler d'incompréhension. Cette dernière n'est pas nouvelle: pour mieux saisir cette incompréhension, l'histoire est nécessaire. Pour reprendre ce que dit J.F Colosimo, un des meilleurs spécialistes de la Russie et de l'Orthodoxie, “il y a toujours eu chez nous (en Europe) une forme de fascination/répulsion envers la Russie” (article la Russie et l'ordre du monde, revue Conflits d'octobre 2016). Une Russie qui a produit de grands génies de la culture européenne comme Dostoïevski ou Tolstoï mais qui n'est pas perçue comme européenne à plusieurs niveaux.
Pour certains européens, la Russie représente ou a représenté la barbarie dont le tsar Ivan le Terrible est un des symboles. Pour André Malraux, la Russie n'est ni en Europe ni en Asie, elle est en Russie ce qui revient reconnaître ses spécificités. Cette “exception russe” est notamment fondée sur l'orthodoxie. Il faut rappeler que l'Europe chrétienne s'est posée comme l'héritière de Rome et Jérusalem (d'Athènes aussi) oubliant Byzance et l'orthodoxie que reprendront les Russes.
Il faut rappeler que ce sont des missionnaires byzantins qui ont apporté l'orthodoxie en Russie, une orthodoxie ayant “créé le peuple russe” comme l'affirme Colosimo. La Russie est donc en partie l'héritière de Byzance tout en se forgeant dans la lutte contre l'islam par le biais de la lutte contre les Tatars. Pourtant la Russie a souvent été attirée par l'Europe comme au 18e siècle avec l'attrait des Lumières sur une Tsarine comme Catherine de Russie. Au 19e siècle, deux courant s'oppose en Russie: les occidentalistes qui affirment que la Russie pour affirmer sa puissance doit calquer le modèle européen et les slavophiles qui mettent en avant une identité spécifique: l'identité slave. Cette Russie inquiète: on met souvent en avant son impérialisme oubliant les impérialismes européens. 
L'impérialisme russe est réel mais il s'agit d'un impérialisme s'inscrivant dans une continuité territoriale vers l'Est (Sibérie...). Certes, la Russie a aussi toujours été attirée par un accès aux mers chaudes d'où son intérêt pour le Caucase mais aussi l'Afghanistan (sans réussite pour ce dernier état). L'impérialisme n'est pas une spécificité russe. La Russie est un pays immense: 17 098 242 km carré mais sa population est de moins en moins importante (phénomène de dépopulation): 146 millions en 2019 dont les deux tiers vivent à l'ouest de la Volga. (densité de population donc très faible: 8,7 habitants/km carré). Les frontières terrestres de la Russie sont d'une longueur de 20 622 km et la Russie a des frontières avec 14 états. La Russie, c'est aussi 37 000 km de littoraux maritimes et une zone économique exclusive de 7 566 673 km carré.La capitale, Moscou, est un pôle urbain de 11,5 millions d'habitants mais d'autres villes ont de l'importance comme Saint-Pétersbourg et ses 4,8 millions d'habitants ou des pôles urbains comme Novossibirsk (1,5 million d'habitants, Iekaterinbourg (1,3 million d'habitants)... La Russie est un état multiethnique avec comme groupes principaux: les Russes qui composent 80,8% de la population, les Tatars 3,8%, les Ukrainiens 2,9%, les Tchouvaches 1,1%... On dénombre approximativement 180 groupes ethnolinguistiques (70 dans le seul Caucase). Le PIB par habitant est de 9 972 dollars en 2020 (10 307 $ en 2016 selon la Banque mondiale) pour un PIB global en 2020 de 1464 milliards de dollars (selon le FMI soit au 12e rang mondial) soit un peu moins de 2% du PIB mondial et un PIB qui a baissé depuis 2013. 
Avec la fin de l'URSS, la Russie a perdu environ 20% de “son territoire” et plus de la moitié de sa population. Enfin, on peut rappeler qu'elle se compose de 180 groupes ethnolinguistiques dont 80% de Russes. Rappelons aussi l'importance du pétrole ( entre 12,5 et 13% de la production mondiale) et du gaz naturel (2e producteur mondial en 2014 et au second rang pour les réserves.) La Russie est le principal état ayant succédé à l'URSS et pour les Russes, leur pays est situé entre l'extrême ouest et l'extrême-est de l'Eurasie. Il faut aussi replacer la Russie dans une histoire de longue durée car ceux qui dirigent ce pays inscrivent leurs choix dans l'histoire. La Russie, rappelons-le, trouve ses origines dans une principauté à savoir celle de Kiev, une principauté nommée Rus qui émerge et s'affirme au IXe siècle après J-C. En 988, le grand-prince de Kiev, Vladimir se convertit au Christianisme mais au Christianisme orthodoxe. Cet état s'affaiblit à partir des 12 et 13 e siècles tant par les rivalités internes entre les princes qui souhaitent le contrôler que sous les coups de populations nomades notamment les Mongols. En 1240, la ville de Kiev est prise par les Mongols en l'occurrence par un neveu de Gengis Khan: Batou. Ce dernier fonde la Horde d'or qui contrôle un territoire allant de l'Oural à la mer Caspienne. Aux 13e et 14e siècles, Kiev est conquis par la Lituanie alors un royaume puissant, une Lituanie unie avec la Pologne et qui opte pour le catholicisme. Ainsi, une partie de ce qui devient ultérieurement la Russie a été contrôlée par les Mongols et les Lituaniens. A partir du 15e siècle, une petite principauté commence à s'affirmer: celle de Moscou avec d'ailleurs le soutien de Khans mongols. 
La principauté de Moscou fait le choix de s'appuyer sur la Horde d'or en particulier dans la lutte qu'elle engage au 15e siècle contre la Lituanie. Un événement important a lieu en 1448 quand l'église orthodoxe russe se proclame autocéphale et la chute de Byzance en 1453 fait de Moscou la “troisième Rome” comme l'affirme les Russes orthodoxes. 
A partir du 16e siècle, des Tsars vont jour un rôle décisif dans l'expansion russe notamment avec Ivan IV surnommé le Terrible. Celui-ci construit un état fort et centralisé dans ce qu'on nomme la Moscovie. En ce qui concerne l'expansion, Ivan IV conquiert la Volga, les Khanats de Kazan et d'Astrakhan. Entre 1581 et 1639, commence la conquête de la Sibérie puis à partir du 17e, c'est la conquête de l'Ukraine. Au 18e siècle, l'Empire des Tsars parvient à conquérir l'Estonie et une partie de la Pologne (celle-ci subit un partage en 1772). De la fin du 18e siècle au 19e siècle se déroule la conquête du Caucase et de l'Asie centrale (entre 1865 et 1885 pour cette Asie centrale). La Russie a procédé à une conquête de l'Est avec une véritable colonisation notamment en poussant des agriculteurs à s'implanter en Sibérie. La colonisation s'est grandement accélérée au 19e siècle- début 20e par le biais du développement des axes de communication dont le symbole est le Transsibérien inauguré en 1904. On peut aussi évoquer l'impact de la révolution d'octobre 1917 en précisant qu'à peu de choses près, la Russie de 1917 ressemble territorialement à celle d'aujourd'hui. En effet, pour quelques années, en 1918, les états baltes sont indépendants tout comme la Finlande qui rappelons-le avait fait partie de l'Empire des Tsars depuis 1809. Mais une fois la révolution communiste réussie, les Bolcheviks vont entreprendre une reconquête des terres perdues en particulier entre 1917 et 1921 lors de la guerre civile et surtout, dans le cadre de la Seconde guerre mondiale, ils vont reprendre les états baltes (dès 1941), la région de la Bessarabie mais aussi de territoires n'ayant jamais été russe comme la Galicie et la Bucovine. La Russie a donc formé un Empire immense (Laurent Chamontin évoque “un Empire dans limites”)avec en parallèle la “construction de l'état et celle de l'Empire” pour utiliser la formule de Françoise Thom et Jean-Sylvestre Mongrenier dans l'ouvrage Géopolitique de la Russie. 
Lorsque la Russie devient communiste et change de nom avec URSS, elle est et reste une Russie à la dimension d'un Empire même si le système tsariste a disparu. Lorsque l'URSS est dissoute en décembre 1991, la Russie perd donc des territoires avec environ 25 millions de Russes se retrouvant dans les états dits post-soviétiques. Dans l’Atlas historique de la Russie (éditions Autrement, 2017) François-Xavier Nérard et Marie-Pierre Rey s’interroge sur la « parenthèse soviétique ? » tout comme ils se demandent si après 1991 émerge ou non « une nouvelle Russie ? » On peut donc faire commencer l'histoire de la Russie au 15e siècle avec le développement de la Moscovie et le 16e siècle marque lui le début de la Russie impériale avec une expansion toujours plus importante. 

 a/ Des atouts au service d'une stratégie de retour à la puissance

  • La question de la puissance russe est fondamentale pour comprendre la Russie de Vladimir Poutine. La Russie est une puissance politique, militaire et même économique avec des atouts notables: atouts au service d'une stratégie et d'un retour à la puissance. Pascal Boniface et Hubert Vedrine dans l’Atlas géopolitique du monde global affirment que la Russie « joue à nouveau un rôle important sur la scène stratégique mondiale.Comme l'affirmait un article du Grand atlas 2015 de la revue Autrement, la Russie est une puissance “réaffirmée”. Il est également important de comprendre comment les Russes, au moins leurs dirigeants, se représentent le monde. Certains Russes attachent une importance particulière à l'Eurasie alors que d'autres mettent davantage l'accent sur la double identité slave et orthodoxe. Le projet dit néo-eurasien que V. Poutine veut mettre en oeuvre s'inscrit dans les rivalités actuelles avec l'UE et les E-U (nous y reviendrons). 
  • La Russie est pleinement d'actualité: nombre de revues et d'ouvrages s'intéressent à la Russie pour questionner un retour à la puissance, les relations entre Russie et Europe. Ainsi, la revue Conflits a publié un numéro en 2016 s'intitulant la Russie et Nous sur les rapports entre Europe et Russie.Dans un hors série de 2015 sur la Puissance (Puissance et rapports de force au XXe siècle un article de Pascal Marchand avait pour titre: la Russie: le retour à la puissance? Dans un numéro plus récent encore sur l'indice Conflits de la puissance globale, Pascal Marchand évoque une “puissance déséquilibrée” et dans le classement des puissances mondiales, la Russie se trouve en 3e position derrière les E-U et la Chine, devant la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Plus récemment, cette même revue Conflits en janvier 2020 intitulait son numéro : Le monde à l’heure de Poutine avec une « Russie qui revient de loin » comme le souligne Jean-Baptiste Noé dans la revue avec de « nombreux défis à relever » mais qui a fait un réel retour sur la scène internationale. La revue Diplomatie d'août-septembre 2017 porte aussi sur la Russie avec pour titre: Russie, puissance incontournable? Puis en septembre 2018 un autre numéro évoque La Russie, le monde selon Poutine analysant la vision géopolitique du monde de ce dernier. 
  • Encore plus récemment, Diplomatie en juillet 2020 a publié un nouveau numéro sur la Russie : Nouvelles ambitions, Forces et faiblesses qui interroge la puissance russe et la stratégie du pays. La revue Carto de mars 2021 a sorti un numéro portant aussi sur la Russie de Poutine, vingt ans de pouvoir sans partage mettant notamment l’accent sur la « confrontation avec l’Occident et le tournant vers l’Asie. » Quant à la revue Questions internationale son numéro de février 2021 porte un titre évocateur : Russie, la puissance solitaire. Enfin, un ouvrage publié par la documentation française en 2016 a pour titre: Russie: vers une nouvelle froide? Et toujours en 2016, Jean Radvanyi et Marlène Laruelle ont publié aux éditions Armand Colin un ouvrage au titre instructif: la Russie, entre peurs et défis montrant notamment que si la “Russie fait peur”, elle a également peur (peur du déclin démographique, du déclin économique...). 
  • Pour les Russes, leur pays est situé “entre l'Extrême-Ouest et l'Extrême-Est de l'Eurasie” (Françoise Thom). Jean de Gliniasty dans Géopolitique de la Russie (éditions Eyrolles, 2018) « Asie ou Europe ? » Cette thématique est devenue classique comme nous l’avons déjà suggéré. En effet, un cinquième du territoire russe se situe en Europe (telle qu’on la définit classiquement jusqu’à l’Oural). La Sibérie qui est asiatique représente les trois quart de la Russie mais elle est majoritairement peuplée de slaves. Au niveau géopolitique, la perception du monde est particulière: le Moyen-Orient est vu comme un arc de crises (une perception identique à celle des E-U) avec le poids grandissant d'un islamisme qui a des implications à la fois en Asie centrale qui reste pour la Russie une sphère d'influence et dans la région du Caucase dont une partie est russe et une autre vue aussi comme étant dans la sphère d'influence russe. La Russie accorde de plus en plus d'importance à l'océan glacial arctique dont le potentiel en hydrocarbures est très intéressant :un océan glacial vu également comme une frontière avec les E-U. Elle met aussi désormais bien davantage l’accent sur l’Eurasie notamment avec la création d’organisations eurasiatiques comme l’Union économique eurasiatique à partir de 2015 qui donne naissance à un espace économique commun entre la Russie, le Kazakhstan, la Biélorussie, l’Arménie et le Kirghizistan.
  • A aussi été fondée en 2002 l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) avec Russie, Arménie, Kirghizistan, Tadjikistan, Kazakhstan, Biélorussie. On perçoit donc un tournant eurasiatique qui s’explique notamment par les tensions avec l’Union européenne et aussi un rapprochement avec la Chine. La politique étrangère de la Russie met particulièrement l'accent sur sa sphère géographique proche (“l'étranger proche” ou “sphère d'intérêts privilégiés”) tout en voulant conduire une politique de retour à la puissance. 

 -des atouts économiques: une puissance économique réelle ou factice?

  • Parmi les atouts économiques de la Russie, les atouts énergétiques sont fondamentaux: charbon pétrole, gaz naturel... Pour réutiliser un titre d'un article d'Aurélie Bros de la revue Diplomatie, ils sont le “trésor de la Russie”.En 2018, la Russie est le 3e producteur de pétrole (12,1% de la production mondiale) derrière les E-U et l'Arabie saoudite. En ce qui concerne la production de gaz naturel, la Russie est au second rang mondial (derrière les E-U) avec 669 milliards de m cube en 2018 et au 6e rang mondial pour le Charbon. Au niveau des réserves de pétrole, la Russie se classe au 6e rang mondial et possède plus du quart des réserves de gaz naturel. Ce pays dispose d'autres ressources importantes : or, fer, diamants, minerais rares... (14% des minerais mondiaux sont extraits en Russie). 
  • En 2016, la Russie détient 6,4% des réserves prouvées de pétrole, 17,3% de celles de gaz naturel et 14,1% des réserves de charbon. Ces atouts fournissent 25% du PIB russe et participent à hauteur de 40% du budget de l'état (43% des recettes budgétaires en 2015). Ils font aussi la force d'entreprises publiques comme Gazprom ou Rosneft. Une firme comme Gazprom emploie plus de 400 000 salariés et gère une production de 5478 milliards de m cube par an (85% de la production russe).
  •  Gazprom est une FTN particulièrement puissante dans le domaine énergétique avec un chiffre d'affaires de plus de 118 milliards de dollars en 2020 se classant ainsi au 55e rang mondial. Quant à Rosneft, elle est spécialisée dans le domaine pétrolier réalisant un CA supérieur à 96 milliards de dollars en 2020 et elle est au 76e rang mondial. Le secteur énergétique fournit donc des emplois et joue un rôle important en interne et est un vecteur des politiques publiques pour maintenir un régime stable. 
  • On peut d'ailleurs rappeler que depuis 2004, il existe un fonds de stabilisation alimenté par une partie des revenus liés au pétrole: ce fonds permet de verser les retraites des Russes ou encore de rembourser la dette extérieure. Quant à Gazprom, cette firme est dans l'obligation de livrer du gaz à faible coût aux ménages ayant des difficultés et de ne pas négliger les régions les plus éloignées. Les hydrocarbures ont donc un poids très important pour l’économie russe et elle est dépendante de ces hydrocarbures. Rappelons que la croissance russe des années 2000 a été tiré par les cours plutôt élevés du pétrole et depuis 2014 la stagnation de l’économie russe s’explique en partie par la baisse de ces cours. La Russie peut être donc vue comme une économie rentière (voir plus bas). 

 - et des atouts géostratégiques

  • Les atouts économiques servent en même temps à la Russie comme atouts géostratégiques. Les exportations de gaz, pétrole permettent aux dirigeants russes de garantir, en théorie, un niveau de vie convenable à la population mais aussi de financer des opérations de prestige devant servir des intérêts intérieurs comme l'organisation des Jeux olympiques de Sotchi en 2014 ou la coupe du monde de football de 2018. Ils sont une arme géostratégique externe au service des ambitions russes notamment du maintien d'une sphère d'influence. 
  • L'exemple de l'Ukraine est pertinent: la Russie compte maintenir l'Ukraine dans sa sphère. Pour atteindre cet objectif, elle utilise l'arme économique. Ainsi, Gazprom a suspendu ses livraisons à l'Ukraine en 2006 lorsque des discussions sur les tarifs ont échoué (cette même année, la Russie a réussi à imposer un prix plus important à la Biélorussie). En 2009, Gazprom avait à nouveau réduit ses livraisons de gaz naturel suite à des paiements en retard. Lors de la crise actuelle, Gazprom avait menacé d'interrompre les livraisons alors que 60% des importations de gaz dépendent de la Russie.
  •  En juin 2014, la livraison de gaz est même stoppée faute de paiement de l'Ukraine : la Russie réclamait un remboursement de plus de 1,4 milliard d'euros. Enfin, en juillet 2015, l'Ukraine décide de suspendre ses importations de gaz russe jugeant les tarifs fixés trop élevés: la Commission européenne a décidé de peser pour trouver un accord avant l'hiver. Autres exemples: le projet Nord Stream 1 lancé en 1997 entre la Russie et l'Allemagne afin de construire un gazoduc passant sous la mer Baltique reliant les deux états.Les firmes Gazprom et E.On (Shell également) sont chargées de réaliser ce projet. 
  • Ce gazoduc obéit à des objectifs économiques mais aussi stratégiques puisqu'il permet d'éviter l'Europe orientale et l'Ukraine. Il est entré en fonction en 2011 et les livraisons ont augmenté de 50% en 2014. La Russie et la Grèce ont également lancé un projet de gazoduc (entre 2016 et 2019): c'est une façon pour la Russie de renforcer ses liens avec la Grèce, une Grèce qui semble délaissée par l'UE. Le projet dit Turkish stream, si il doit être relancé, devrait passer par la Grèce.Les ressources énergétiques de la Russie font donc bien partie intégrante de sa politique internationale. La Russie a bien une diplomatie énergétique et dans le cadre du récent réchauffement des relations avec la Turquie, certains projets de gazoduc pourraient être réactivés. C'est le cas du Turkish Stream un projet proposé par Gazprom afin de se substituer au projet South Stream: il aurait une capacité de 63 milliards de mètres cube (il est aussi en concurrence avec un projet entre la Turquie et l'Azerbaïdjan, le projet TANAP, un projet lancé en 2015 par la Turquie devant être terminé en 2019 et reliant l'Azerbaïdjan à la Turquie en passant par la Géorgie, un projet soutenu par l'Union européenne car devant à terme relier l'Europe par la Bulgarie, la Grèce, l'Albanie et l'Italie). 
  • La Russie a aussi procédé à des investissements dans les Balkans possédant ainsi les seules raffineries de Bosnie se trouvant d'ailleurs dans la République serbe de la fédération de Bosnie. Pour la Russie ce qu'on nomme les “batailles de tubes” a une grande importance stratégique. Ainsi, l'Ukraine est vue comme un territoire servant de pont, un pont énergétique, permettant au gaz de Sibérie occidentale d'être exporté vers l'Europe d'où l'importance accordée à l'Ukraine. Certes, la mise en oeuvre du projet Nord Stream a changé la donne puisqu'il relie la Russie à l'Allemagne par la mer Baltique sans passer par l'Ukraine avec une capacité de transit importante de 55 milliards de mètres cube par an (plus du tiers des exportations russes vers l'Europe). Si le projet de Turkish Stream était réalisé, l'Ukraine ne serait plus d'aucune utilité en tant que pont énergétique pour la Russie. L'utilisation de l'arme énergétique n' est toutefois pas si aisé car les états européens peuvent réorienter leurs sources d'approvisionnement notamment en profitant éventuellement du gaz de schiste américain. 
  • On peut aussi mettre en évidence l'importance de l'Arctique russe où les ressources sont particulièrement importantes. Jean de Gliniasty évoque « la nouvelle frontière arctique » qui est « le coffre-fort de la Russie. » L'Arctique recèle d'importants gisements de matières premières. Il fut préciser que cette région qui ne compte que deux millions d'habitants assure néanmoins 20% du PIB du pays. La majeure partie des ressources pétrolière et gazière proviennent de Sibérie occidentale (60,3% du pétrole en 2015 et 88,5% du gaz) alors que la Sibérie orientale contribue pour 4,2% de la production de pétrole et 1,8% de la production de gaz. Selon une étude de 2008 conduite par le US Geological Survey l'Arctique contiendrait 30% des réserves de gaz à découvrir (13% des réserves de pétrole) et 66% de ces réserves de gaz seraient en territoire russe. En 2013, l’USGS évaluait à environ 10 milliards de tonnes de pétrole les gisements de l’Arctique et à plus de 48 milliards de m cube de gaz naturel. Au gaz et pétrole,il faut ajouter(voir les gisement de Norilsk) dans cet Arctique russe des minerais comme le nickel, le palladium, du cobalt... 
  • La région arctique assure déjà 99% de la production russe de diamants, 98% de celle de platine... Le problème de ces ressources sont les coûts d'exploitation élevés ce qui conduit la Russie a favorisé des accords de partenariat avec de grands groupes mondiaux comme Exxon Mobil ou encore la China National Petroleum Corporation. Pour accentuer le développement de cette région la Russie souhaite développer la route maritime du nord (RMN).Celle-ci est ouverte au commerce international depuis 1991 mais cette route est encore marginale avec un transit faible. Toujours dans ce contexte, la Russie veut sécuriser ces espaces maritimes mais plusieurs états ont des revendications sur ces espaces maritimes arctiques comme la Norvège, le Canada...En mai 2008, les cinq états riverains de l'Arctique à savoir la Russie, le Canada, la Norvège, le Danemark et les E-U ont signé une déclaration (la déclaration d'Ilulissat) par laquelle les pays signataires s'engagent à résoudre les différends sur le sujet selon les principes de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. 

 -Quelle stratégie russe? 

  • La nostalgie de la puissance On peut mettre en avant ce que Sabine Jansen dans un article de la revue Questions internationales de 2020 (La Russie puissance solitaire), « le long remords de l’Empire. » La Russie est marquée par son histoire à la fois par la Russie impériale que la puissance de l’URSS (on utilise souvent l’expression d’empire soviétique pour traiter de la période communiste). S’ajoute ce qu’elle nomme « l’obsession de l’unité » d’un ensemble particulièrement vaste et d’une « tentation de la grandeur. » Dans la même revue Clémentine Fauconnier met en exergue les « vingt ans de poutinisme ou comment restaurer la puissance. » La Russie ne peut se penser qu’en tant que puissance en relation avec son histoire. La géopolitique russe est façonnée par plusieurs dimensions importantes. L’un de ces dimensions est de s’inscrire dans une continuité historique avec en particulier le refus de l’encerclement (comme au temps de la guerre froide), la défense d’une identité culturelle spécifique.
  •  La mémoire et l’identité jouent un rôle de plus en plus important. Comme le souligne Mélissande Bélanger (revue Diplomatie), c’est « un outil de propagande pour le Kremlin. » Dès lors le passé est instrumentalisé (voir l’instrumentalisation de la Seconde guerre mondiale par le pouvoir) sans oublier avec Poutine le retour aux traditions russes et à l’importance accordée à l’Église orthodoxe. Pendant longtemps l'URSS puis la Russie ont eu tendance à privilégier le hard power dans les relations internationales. La notion de soft power est intégré à la politique russe que depuis 2013 même si avant cette date la Russie avait mis en place des éléments de soft power avec notamment des chaînes d'informations. On peut citer à cet égard le groupe Russia Today créé en 2005 qui comprend actuellement 6 chaînes de TV, six journaux en ligne. A été fondé en 2007 pour préserver la langue russe la fondation Rousskii Mir (monde russe) mais aussi un journal multilingue nommé Russia Beyond. Il faut également insister sur les agences de presse comme Rossia Segodnia dont la branche internationale créée en 2014 Sputnik. Toutefois ce soft power russe n' a pas les mêmes objectifs que celui des E-U: il s'agit avant tout d'un soft power de riposte par rapport aux informations divulguées par les médias non russes. C'est aussi un soft power surtout à destination de populations russophones même si il y a des objectifs plus larges. La politique étrangère russe et la stratégie du pays privilégie “l'étranger proche” soit les anciens états ayant appartenu à l'ex-URSS. Les Russes utilisent aussi l'expression: “sphère d'intérêts privilégiés”. 
  • Avec la fin de l'URSS en 1991 (Poutine a qualifié cette fin comme la “plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle”), la Russie post-communiste est dans une situation troublée avec, en particulier, 25 millions de Russes se trouvant hors de Russie dans les différents états post- soviétiques mais aussi elle est devenue une puissance très affaiblie et s'est notablement rétractée géographiquement. On peut signaler que dans un premier temps avec Boris Eltsine (1992-1999), la Russie d'abord mis l'accent sur le fait qu'il fallait d'abord redresser économiquement le pays avant de penser à un éventuel retour à la puissance. L'arrivée au pouvoir de Poutine va changer la donne et la politique russe. Certains vont mettre en valeur l'identité slave et orthodoxe sachant pourtant que la Russie est un état où existent plusieurs confessions religieuses et ethnies. Poutine a, dans cette optique, resserré les liens entre l'état et l'église orthodoxe. Parallèlement se développent une double thématique: celle de la Russie comme étant au coeur du Heartland, le pivot géographique du monde défini par Mackinder au début du 20e siècle et la thématique eurasienne de la Russie avec un projet eurasien. Pour Poutine, le projet eurasien est une façon de contrecarrer l'UE et les E-U. Les relations entre la Russie et l'UE (et plus généralement avec l'Occident) se sont dégradées ce qui explique une politique plus tournée vers l'Eurasie. 
  • Parallèlement, la Russie s'appuie sur les BRICS qui sont pour elle un contrepoids aux E-U et à l'UE: des BRICS renforçant donc la multipolarité du monde. Avec Vladimir Poutine, la volonté de retour à la puissance est évidente et s'appuie sur un type de pouvoir politique particulier, un mode de gouvernement que certains appellent un “autoritarisme patrimonial”. Nous sommes face à un pouvoir autoritaire et vertical avec en plus une presse contrôlée et une censure omniprésente. Le pouvoir est fortement personnalisé et l'état de droit a en partie disparu.Le système russe lie l'état et ses structures avec des intérêts privés (les dirigeants des grandes firmes russes sont étroitement liés au pouvoir). De façon plus générale, la stratégie russe est fondée sur quelques axes précis: maintenir une zone d'influence sur l'Europe orientale mais également sur les ex-Républiques d'Asie centrale et du Caucase. La Russie est un acteur majeur de conflits dit “conflits gelés” c'est-à-dire des conflits armés transformés en conflit en partie achevé: ces conflits sont instrumentalisés par Moscou.
  •  On peut rappeler que lorsque l'URSS a éclaté, de nombreux dirigeants russes pensaient qu'à terme “l'espace soviétique” serait reconstitué d'une façon ou d'une autre. En effet, plusieurs des nouveaux états devenus indépendants continuaient d'être liés au moins économiquement à la Russie (une certaine dépendance) et leurs dirigeants étaient généralement issus de l'ancien pouvoir soviétique (la nomenklatura). La Moldavie en est un exemple lorsque celle -ci devient indépendante en 1991 avec une grande partie de ses habitants étant de langue roumaine. La Moldavie avait été annexée par l'URSS au début de la seconde guerre mondiale et redevient indépendante donc en 1991. Les Moldaves souhaitent de ce fait se tourner vers la Roumanie ce que la Russie ne peut accepter. Lorsque les Russophones de Transnistrie proclament la “République du Dniestr”, ils sont soutenus par la Russie et la 14e armée russe. Pour la Russie, le contrôle de la Transnistrie est un moyen d'empêcher la Moldavie (elle est levier pour de fait contrôler la Moldavie) de rejoindre l'Union européenne: elle joue là dessus encore plus depuis la signature d'un accord d'association signé entre l'UE et la Moldavie en 2014. Il faut aussi ajouter que les Gagaouzes qui ont obtenu une autonomie importante menacent également de faire sécession et sont soutenus par la Russie. La Moldavie est l'exemple d'un “conflit gelé” instrumentalisé par la Russie. 
  • Celle-ci procède de la même façon dans le Caucase avec la Géorgie et les régions ayant fait sécession avec l'aide russe d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud. La Russie s'est appuyé sur les Abkhazes et les Ossètes pour influer sur le pouvoir géorgien notamment lors de la guerre dite des “cinq jours “du 8 au 12 août 2008 où les forces russes sont intervenues en Géorgie. Depuis le 24 août 2008, la Russie reconnaît l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie (pasd la Géorgie ni l'Union européenne). Pour la Russie, la Géorgie est vue comme une “marche méridionale” c'est-à-dire une zone périphérique à contrôler car aux frontières de l'état russe. La Russie a tenté de maintenir des liens importants avec plusieurs états de la “zone d'influence” dès la fin de l'URSS. La création de la CEI (Communauté des états indépendants) le 21 décembre 1991 allait dans ce sens, une CEI à laquelle n'adhère pas les états baltes et la Géorgie jusqu'en 1993 à l'inverse des autres anciennes républiques soviétiques. Cette CEI réunissait donc les principales républiques de l'ex-URSS et était un projet d'intégration politique, militaire et économique. En 1992 est même signé un traité de sécurité collective entre les états de la CEI. En 1994, le président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev (il l'est d'ailleurs toujours avec une énième réélection en avril 2015 avec 97% des suffrages) propose une union eurasiatique qui disposerait d'une monnaie et d'un commandement militaire intégré: un projet refusé par la majorité des membres de la CEI.
  •  En fait, les liens que tisse la Russie obéissent à plusieurs logiques: une Union douanière Russie, Biélorussie et Kazakhstan par exemple, ou la création de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) en 2003 avec le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, l'Arménie, la Biélorussie et l'Ouzbékistan en 2005. Cette OTSC s'appuie sur un état-major militaire dont le siège est à Moscou et même d'une force d'action rapide installée sur une base aérienne au Kirghizstan. En fait la Russie voudrait faire de l'OTSC une forme “d'OTAN eurasiatique”. L'ancien espace soviétique est donc à géométrie variable mais avec des états qui sont hostiles à la sphère d'influence russe comme l'Ukraine, la Géorgie, l'Azerbaïdjan et la Moldavie qui avaient fondé en 1996 un forum de coopération régionale: le GUAM. Entre 1999 et 2005, l'Ouzbékistan rejoint le GUAM avant de le quitter. Le GUAM qui devait être un lien géopolitique entre les pays membres et l'UE (mais aussi l'OTAN) s'avère peu efficace. Ces liens voulus avec les anciennes républiques soviétiques font se poser une question intéressante à Jean de Gliniasty : « la Russie cherche-t-elle à reconstituer l’URSS ? » Mais comme il le ,précise : « il n’y aura pas de retour en arrière » même si la Russie continue d’influer sur les anciennes républiques soviétiques (ou tente d’influer) Les ex-Républiques d'Asie centrales et du Caucase sont donc un espace pivot de l'Eurasie que la Russie ne peut délaisser. 
  • L'Asie centrale, avec les états du Kazakhstan, de l'Ouzbékistan, du Turkménistan, du Kirghizistan et du Tadjikistan, est une “zone d'influence jusqu'ici incontestée” pour reprendre l'expression de Benno Zogg. Son instabilité fait aussi qu'elle est à contrôler (proximité de l'Afghanistan...). Il faut mettre en évidence les changements que connaît cette région dont on parle si peu. Ces états représentent environ 67 millions d'habitants. Avec l'éclatement de l'URSS, les Républiques d'Asie centrale sont devenues indépendantes. C'est une région plutôt stable reposant sur des régimes autoritaires dont l'Ouzbékistan est une illustration puisque ce pays a été dirigé par Islam Karimov depuis 1991 jusqu'à son décès en 2016. Mais cette stabilité est en partie apparente avec un fort degré de corruption, des droits de l'homme peu respectés, des tensions ethniques, la proximité de zones instables comme l'Afghanistan... La Russie accorde beaucoup d'importance à cette Asie centrale qui peut être considérée comme la base arrière de sa zone d'influence. L'Asie centrale a deux caractéristiques majeures: un fort héritage soviétique et donc des liens historiques avec l'actuelle Russie et une géographie spécifique. Géographiquement, il s'agit d'une région enclavée avec d'importantes chaînes de montagnes étant positionnée sur l'ancienne route de la soie (zone intermédiaire entre l'Asie et l'Europe) mais qui possède des ressources naturelles importantes dont du pétrole. L'héritage soviétique imprègne les structures politiques et économiques de ces pays avec des économies restant en partie contrôlées par l'état. Certains états bénéficient de l'importance des remises des travailleurs présents en Russie comme le Tadjikistan et le Kirghizistan: 43% du PIB du Tadjkistan provient de ces remises des travailleurs tadjiks en Russie (entre 700 000 et 1,2 millions selon les années pour une population d'environ 8 millions d'habitants). 
  • Ces états ont conservé des structures politiques de type soviétique: le pouvoir est contrôle par des autocrates et sont des régimes autoritaires. Le président Nazarbaiëv au Kazakhstan est resté au pouvoir de 1991 à 2019 et lui a succédé Kassym-Jomart Tokaiev un ancien premier ministre ; Emomali Rahmon est au pouvoir au Tadjikistan depuis 1997. Le Turkménistan est dirigé par Gurbangly Berdimuhamedov depuis 2007 qui a instauré un culte de la personnalité (il a pris le surnom de protecteur) Au Kirghizistan, un nouveau président a été élu en janvier 2021 à savoir Sadyr Japarov et enfin l’Ouzbékistan avait été dirigé de 1990 à 2016 par Islam Karimov qui à sa mort a été remplacé par Shavkat Mirziyoyev. Dans ces états, la langue russe est couramment utilisée.Un état comme le Turkménistan a une importance géoéconomique notamment pour les exportations russes de gaz vers l'Asie. Le Kazakhstan est toujours une priorité avec sa minorité russe et son emplacement géostratégique fondamental sans oublier son pétrole. Ce dernier est un des membres fondateurs de l'union douanière avec la Russie et la Biélorussie ainsi que de la création de l'Union eurasiatique (1er janvier 2015.) L'idée russe est que les états d'Asie centrale puissent rejoindre deux structures: l'Union économique eurasiatique ou eurasienne (UEE) et l'organisation du traité de sécurité collective. Le Kirghizistan a rejoint l'Union le 8 août 2015 et le Tadjikistan devrait suivre.
  •  Le siège de l'Union économique eurasienne est à Moscou. Cette UEE regroupe tout de même 173 millions d'habitants et environ un cinquième des réserves mondiales d'hydrocarbures mais elle est par nature déséquilibrée vu le poids de la Russie (80% du PIB de cette UEE) Pour Poutine, l'UEE est un axe majeur de sa politique mais elle est une organisation peu équilibrée puisque la Russie représente 80% du PIB de cette UEE (85% de sa population également).Parallèlement, la Russie apporte un soutien aux régimes politiques de la région. Toutefois depuis quelques années, la Chine est devenue un partenaire économique important de ces états d'Asie centrale à telle enseigne que certains évoquent la possible “fin du pré carré russe” dans cette région (Hélène Thibault).En 2015, la Chine est ainsi devenue le 1er partenaire commercial de l'Ouzbékistan, le 1er investisseur au Kazakhstan. La Chine compte intégré ces états dans le projet lancé en 2013 par Xi Jinping d'une nouvelle route de la Soie: le projet “One belt, one road”. Toutefois, il semble qu'entre la Russie et la Chine, il y ait plus une convergence d'intérêts qu'une réelle compétition au sujet de l'Asie centrale. Enfin, la Russie a fait le choix de se rapprocher davantage de la Chine. On peut parler d'un “pivot vers l'est” avec une Russie qui semble s'orienter plus fortement vers l'Asie. On peut là aussi rappeler que dès 2000 Poutine aimait à rappeler que la Russie est eurasiatique et qu'en juillet 2001, la Russie a signé avec la Chine “un traité d'amitié, de coopération et de bon voisinage”. 
  • La crise ukrainienne, les sanctions à l'égard de la Russie ont incontestablement renforcé la volonté russe de se tourner davantage vers l'Asie. Plusieurs éléments montrent depuis 2014 ce rapprochement : lors de la célébration de la victoire soviétique de 1945 du 9 mai 2015, alors que les dirigeants européens et américains avaient boycotté la cérémonie, les soldats de l'armée populaire chinoise défilaient sur la place rouge de Moscou; parallèlement, les deux états ont procédé à des manoeuvres navales conjointes en Mer Méditerranée et des accords de livraison de gaz russe à destination de la Chine étaient signé le premier en mai 2014 pour un montant de 400 milliards de dollars entre Gazprom et le géant pétrolier chinois CNPC (sur une durée de 30 ans) et un second accord est signé en avril 2015 entérinant l'accord de 2014 et décidant l'acheminement par la route dite de l'est. Au sommet des BRICS à Oufa en juillet 2015, la Russie et la Chine ont conforté leur rapprochement et veulent développer un partenariat stratégique global. 
  • Ce rapprochement s'inscrit dans le cadre de la dégradation des relations entre la Russie d'une part et les E-U et l'UE d'autre part. On peut néanmoins souligner les limites à priori d'un tel rapprochement: la Russie ne représente que 2% des exportations chinoises alors que l'UE et les E-U absorbent le tiers de ces exportations et la Chine est traditionnellement méfiante à l'égard d'un pays avec qui les relations n'ont pas toujours été au beau fixe. La stratégie russe est également axée sur le panslavisme et les Balkans car une partie des peuples balkaniques sont slaves et orthodoxes. Dans cette optique, la Serbie est pour la Russie un partenaire important: la Serbie n'a d'ailleurs pas appliqué les sanctions contre la Russie décidées par les E-U et l'UE lors de la crise ukrainienne tout comme l'ancienne République yougoslave de Macédoine (le Monténégro a quant à lui appliqué les sanctions).
  •  En 2013, les deux états ont noué un partenariat stratégique dont une coopération militaire. La Serbie a depuis 2013 le statut d'observateur au sein de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC: une organisation politique et militaire créée en 2003 comprenant la Russie, l'Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan) et en octobre 2014 Poutine s'est rendu en Serbie. On peut aussi préciser que la Russie entretient de bonnes relations avec la République serbe de Bosnie (la Bosnie est une fédération de deux “états: la fédération croato-musulmane et la fédération serbe ou Republica Srpska). On peut aussi évoquer deux régions auxquelles la Russie attache de l'importance à savoir le Caucase et l'extrême-Orient russe. Le Caucase est toujours un défi pour les autorités du pays puisque le Caucase Nord, celui contrôlé directement par la Russie, est instable comme l'ont prouvé les guerres en Tchétchénie (1994-1996 et 1999-2009). Parallèlement le Caucase russe voit le développement de l'islam radical avec la création d'un émirat du Caucase lié à DAECH, connaît une situation économique et sociale difficile avec un chômage important...
  • Cette région est toujours instable et sujette à des violences puisqu'on dénombrait environ 5 200 victimes de violences entre 2010 et 2013. L'extrême-Orient est dans une situation différente: il est un atout géopolitique d'importance (36% du territoire russe mais seulement 5% de la population) étant une fenêtre sur l'Orient et l'Asie. Cette région assez délaissée dans les années 1990-2000 est à nouveau un centre d'intérêt s'inscrivant dans une politique étrangère en partie réorientée vers l'Asie. 

b/ Mais des faiblesses pouvant être un frein à la puissance

Bien que la Russie dispose d'atouts pouvant peser sur ses choix stratégiques et sur les relations internationales, elle n'est pas exempte de faiblesses atténuant sa volonté de puissance.

-L'espace: une faiblesse ?

  • L'immensité peut être à priori perçue comme un atout ( 17 098 246 km carré) or elle est souvent perçue comme une faiblesse: la Russie, pour reprendre l'expression de Jean Radvanyi (La Russie, entre peurs et défis) est “malade de son espace”. La superficie de la Russie est deux fois supérieure à celle des E-U ou à celle de la Chine: elle est un “état-monde” (F. Thom et J-S Mongrenier). Cette faiblesse n'est pas seulement géographique avec la difficulté à gérer un espace aussi important, elle est d'une certaine façon politique. En effet, la Russie a toujours des problèmes d'acceptation des frontières notamment celles héritées de l'éclatement de l'URSS en 1991: l'annexion de la Crimée en 2014 en témoigne. Nous reviendrons sur cette thématique ultérieurement. Sur un plan économique, l'immensité pose problème notamment parce que plusieurs régions de cette immense Russie perdent des habitants en lien avec la crise démographique que connaît le pays.Rappelons que la population russe a diminué entre 1993 et 2010 et le pays doit faire face à un processus de “désertification” en particulier dans l'Extrême-Orient russe. 
  • Cette région a ainsi perdu 22% de sa population depuis 1990 alors qu'elle représente 36 % du pays. Certains territoires sont particulièrement touchés comme le Magadan avec une perte de 60% de sa population ou la région du Kamtchatka avec plus de 40% de sa population en moins. De nombreux russes quittent ces territoires pour gagner l'Ouest notamment les régions de Moscou et Saint-Pétersbourg. 
  • Ces pertes de populations se retrouvent dans le nord de la Russie (région de l'Oural par exemple) ce qui conduit à l'abandon et à la non exploitation de terres cultivables mais également dans des villes en crise car fondé surn une seule activité économique. Pour les Russes, ce phénomène traduit un espace fragilisé , une fragilisation renforcée par des réseaux de communication insuffisant et mal entretenus. Ainsi, le poids des différentes régions est très différent: les 10 régions les plus riches concentrent plus de 55% de la valeur du produit régional de Russie alors que les 20 régions les plus pauvres ne concentrent que 3,5% de cette valeur. Il faut signaler que la majorité des régions les plus en retard et pauvres sont des régions où les populations sont composées majoritairement de non russes ce qui ne peut qu'accroître les tensions “ethniques” (voir le retard des régions du Caucase). 

-des faiblesses économiques: dépendance et difficultés 

  • Les faiblesses sont avant démographiques et économiques. V Poutine a eu et a encore la volonté de redresser l'économie russe et ce depuis 2000: il a contribué à restaurer la puissance de l'état, s'est appuyé sur la hausse des cours des matières premières pour améliorer les conditions de vie de la population. Mais le pays souffre d'un déficit démographique de plus en plus important avec moins 7,4 millions d'habitants entre 1990 et 2013. De plus, un quart de la population se concentre sur 2,5% du territoire en l'occurrence en Russie d'Europe et 51% de cette même population vit sur 31% du territoire ce qui génère des déséquilibres spatiaux importants. A ces difficultés, se greffe “l'éternelle” double contrainte de l'immensité et du froid avec des corollaires négatifs comme l'insuffisance des réseaux de communication (44 km de routes pour 1 000 km carré soit deux tiers inférieure à la France par exemple). Les inégalités économiques, sociales et régionales sont de ce fait très fortes. On peut distinguer “trois Russies”: une Russie composée de territoires dynamiques avec les régions de Moscou et Saint-Pétersbourg notamment qui est ce qu'on peut nommer le centre russe; une Russie plus périphérique de Rostov à Novossibirsk composée de régions industrielles et ayant une densité de population assez forte et enfin une Russie des marges comprenant la Sibérie et l'Est du pays. Certes ,cette partie de la Russie a des atouts énergétiques dans son sous-sol mais elle est éloignée du centre politique et économique, souffre du handicap des transports...
  •  Enfin, la Russie connaît une sérieuse crise économique: la baisse des cours des matières premières notamment du pétrole tout comme les sanctions occidentales contre elle pénalise l'économie russe. Les spécialistes considèrent qu'elle est en récession: sa croissance n'était que de 0,4% en 2014, cette est tombée moins 2,2 % au premier trimestre 2015 et à moins 4,6% au second trimestre. En 2019, la croissance est de 1,3 % avant donc la crise sanitaire. Certes, il n’y a plus de croissance négative jusqu’au Covid (moins 4 % de croissance en 2020) mais la croissance reste faible. Dans ce contexte, certains investisseurs hésitent à poursuivre leurs investissements en Russie. Néanmoins, la balance commerciale est encore excédentaire grâce aux exportations de matières premières (70% des exportations russes).
  •  La Russie étaint dans une logique récessive dans les années 2014-2016: en 2015, la production industrielle a baissé de 4%, les revenus des consommateurs de 7%... Depuis 1992 et la période Eltsine, l'organisation de l'économie russe a évolué. Eltsine avait décidé à partir de 1992 d'ouvrir l'économie russe et de la libéraliser appliquant ce qu'on a appelé une “thérapie de choc”. A été lancé un très important mouvement de privatisations des entreprises avec notamment en 1995-96, la cession par le gouvernement russe des entreprises les plus intéressantes, celles du pétrole, de la chimie ou encore de la métallurgie, des entreprises “achetées” par des groupes financiers russes contrôlés par ceux qui vont devenir les oligarques du système. 
  • Seuls quelques secteurs jugés stratégiques comme le nucléaire ou les industries d'armement restent sous le contrôle de l'état. Les fameux oligarques qui prennent de ce fait le contrôle de l'économie russe sont d'anciens dirigeants du Parti communiste qui ont su s'adapter et tisser un réseau relationnel important. 
  • Plusieurs groupes se développent: Bazoyi Element dirigé par Oleg Deripaska, OneskimBank de Mikhaïl Prokhorov se sont spécialisés dans la métallurgie, l'aluminium, les métaux rares. Le groupe Severstal d'Aleksei Mordachev se spécialise dans la sidérurgie et le groupe Youkos de Mikhaïl Khodorkovski dans le pétrole. Ces groupes sont bien entendu très liés au régime d'Eltsine tout en n'hésitant pas à utiliser comme n'importe quelle firme transnationale “l'optimisation fiscale” avec des placements dans les paradis fiscaux. Avec Poutine, on assiste à un tournant. En effet, de nombreux russes sont pour le moins inquiets du tournant libéral et de l'ouverture craignant que la Russie perde le contrôle de son économie et de ses industries clés. Lorsque Poutine prend la direction du pays, les choses vont changer. Un élément important est la volonté de Poutine de contrôler les oligarques notamment en souhaitant qu'ils ne s'occupent pas de politique. 
  • Certains ont compris la volonté de Poutine et le danger de lui résister: certains cèdent leurs groupes et quittent le pays comme Boris Berezovski qui possédait une groupe de médias (chaîne de TV ORT, groupe de presse Kommersant). Par contre, M. Khodorkovski opte pour un autre choix: celui de s'opposer à Poutine; ce dernier est arrêté en 2003 et condamné à la prison (deux procès le condamnant à 8 puis 11 ans de prison: il est gracié en 2013). 
  • En fait Poutine veut contrôler les leviers de l'économie et imposer un contrôle de l'état sur cette économie notamment le contrôle de secteurs stratégiques comme le secteur pétrolier ou gazier. Les groupes russes vont devenir de véritables holdings d'état devant redynamiser l'économie russe: certains parlent d'un “capitalisme rentier” sous contrôle étatique. Il existe en effet, pour reprendre l'expression de deux journalistes russes, Evguenia Albats et Anatoli Ermoline, une “Corporation Poutine” soit 57 individus choisis par Poutine pour diriger les groupes nationaux: Alekseï Miller, que Poutine avait rencontré à Saint-Pétersbourg en 1996, est le président de Gazprom, Igor Setchine également lié à Saint-Pétersbourg où Poutine a travaillé est président de Rosneft... Les grands groupes sont donc contrôlés par la “maison Poutine”. Cette économie est gangrenée par la corruption: une corruption contre laquelle Poutine promet sans cesse de s'attaquer. 

-des faiblesses politiques et géopolitiques: un retour contrarié à la puissance

  • La Russie n'est pas, même si V. Poutine le laisse croire, une puissance si forte que cela. Les hydrocarbures sont un atout indiscutable mais les Russes ont besoin d'un savoir-faire dans l'exploitation des gisements sibériens qu'ils ne maîtrisent pas suffisamment (d'où un appel régulier à la technologie japonaise). De plus, l'économie russe est très dépendante de ces richesses en matières premières: elle est une économie de rente qui a donc besoin des autres. Elle ne peut utiliser l'arme économique et stratégique des ressources comme elle l'entend. Les faiblesses structurelles de son économie pénalisent sa stratégie géopolitique. Le choix de se tourner vers la Chine ne peut permettre à la Russie de se détourner de l'Union européenne qui reste un partenaire économique majeur. 
  • Parmi les questions prégnantes, la question identitaire qui peut être aussi vue comme une faiblesse. Il faut rappeler que l'éclatement de l'URSS a été un véritable choc pour les Russes. La Russie actuelle est toujours plurielle au niveau ethnique et, mais la Russie n'est pas le seul état dans ce cas, l'identité et ses enjeux sont devenus un problème important. On note un regain de xénophobie avec un questionnement sur ce qu'est être russe. Lors de l'éclatement de l'URSS, la Russie devenait-elle un état russe ou une fédération de Russie comprenant différentes nationalités ? Deux conceptions et deux projets s'opposent: le projet russe voulant faire de la Russie l'état -nation des Russes et le projet russien devant intégré toutes les composantes ethniques dans une identité plurielle. Au début des années 1990 avec Boris Eltsine, les réformateurs optent pour une identité dite civique devant être fondé sur une citoyenneté partagée quelque soit l'ethnie. 
  • Cette identité “russienne” devait empêcher l'éclatement de cette nouvelle Russie composée de peuples différents. En 1997, d'ailleurs, la mention de la nationalité au niveau des passeports est abandonnée signifiant qu'on se dirige vers cette identité russienne. Néanmoins, la fédération de Russie est toujours un état fédéral composé de 85 “sujets égaux en droits” ce qui est une reconnaissance de la pluralité ethnique (le recensement de 2010 a permis la différenciation de 194 nationalités). Parallèlement, plusieurs groupes ethniques disposent de territoires administratifs dans lesquels ils peuvent conduire des politiques spécifiques concernant la langue, le système éducatif... Il faut ajouter que les non russes représentent tout de même 20% des habitants de Russie. Certes toutes les populations non russes n'ont pas le même poids: les Ukrainiens sont environ 3 millions, les Biélorusses 800 000 et sont ainsi des minorités importantes. Parmi ces minorités, certaines sont russophones comme les minorités comme les minorités finno-ougriennes que sont les Caréliens, les Tchouvaches ou des peuples sibériens que sont les Bouriates, les Events... 
  • Par contre, certaines minorités sont vues par de nombreux russes comme étant de culture véritablement différente: c'est le cas des peuples musulmans que sont les Tatars (6 millions), les Bachkirs (1,6 million), les Tchétchènes (1,3 million)...Les tensions dans le Caucase avec certains de ces peuples sont évidentes et questionnent l'identité russe surtout que les années 2000 ont vu la donne changée. En effet, les années 2000, qui sont les années Poutine, voit un nationalisme s'affirmer. Ce nationalisme russe est basée sur la réhabilitation du passé et de l'hsitoire russe que ce soit l'histoire tsariste ou le passé communiste. L'histoire russe est revalorisée notamment au travers des grandes figures russes comme Alexandre Nevski, Dmitri Donskoï... Parallèlement, Poutine renoue avec l'église orthodoxe liant de ce fait russité et orthodoxie. 
  • Les milieux nationalistes deviennent plus actifs craignant la dérussification du pays et voulant un retour de la puissance. Devant ces phénomènes, les minorités sont inquiètes: certaines souhaitent le maintien et le développement du fédéralisme qui est une garantie pour les minorités, d'autres et ce dès les années 1990 ont souhaité l'indépendance comme les Tchétchènes... Le questionnement identitaire est renforcé par le déclin démographique: la population de Russie est passée de 148,5 millions en 1992 à 141,9 en 2009 perdant donc des habitants : une légère reprise s’est amorcée depuis quelque temps. On peut véritablement parler de dépopulation liée à une fécondité faible et une espérance de vie elle aussi plutôt faible pour un état développé. 
  • Une légère reprise (ou stabilisation) est constatée depuis 2010 avec une population atteignant 146,3 millions en 2015 (l'annexion de la Crimée a ajouté 2,3 millions de citoyens russes ce qui atténue la reprise) en lien avec un solde migratoire positif. La fécondité qui était de 1,17 en 1999 est passée à 1,54 en 2009 ce qui n'est d'ailleurs pas suffisant. Poutine tente de développer une politique nataliste avec des aides pour les familles ayant deux enfants ou plus, un accès rendu plus compliqué pour l'avortement, la valorisation de la famille traditionnelle (une somme de 10 000$ est attribué pour une seconde naissance à certaines conditions d'utilisation néanmoins)...En 2015, le taux de fécondité est remonté à 1,75 ce qui est notable mais toujours en dessous du seuil de renouvellement des générations. On constate une surmortalité masculine exceptionnelle: l'espérance de vie des hommes était descendue à 58 ans en 1996 pour atteindre 65 ans en 2013 mais le déséquilibre hommes-femmes est important (92 hommes pour 100 femmes pour les 15-65 ans et 44 hommes pour 100 femmes pour les plus de 65 ans). 
  • Selon différentes projections, la population russe pourrait tomber entre 122 et 135 millions en 2030: le déclin démographique est un problème à la fois politique car symbole d'un affaiblissement possible de la puissance et économique. Il faut insister parce que c'est un cas exceptionnel sur la baisse de l'espérance de vie alors que tous les états développés et même moins développés connaissent une hausse de cette espérance de vie. Celle-ci est même passée sous la barre très symbolique de 60 ans pour les hommes entre 1999 et 2006 pour remonter actuellement à 65,9 ans pour les hommes et 76,7 ans pour les femmes (2015). Cette baisse de la population est un problème économique avec une population en âge de travailler qui devrait diminuer de 10% entre 2015 et 2025 or la Russie a besoin de main d' oeuvre. Il faut aussi préciser que la Russie est transformée par les flux migratoires à plusieurs niveaux. Ainsi, entre 1991 et 2011, plus de 4 millions d'individus sont partis de Russie notamment vers l'Allemagne, les Etats-Unis, Israël (pour les Russes juifs)... En 2014, 186 000 départs ont été constatés. 
  • Mais la Russie est aussi un pays vers lequel on migre: elle est même au second rang mondial derrière les E-U avec 12 millions de migrants (selon les chiffres fournis par la Russie) ce qui correspond à environ 8% de la population (le pourcentage est de 15% aux Etats-Unis). Parmi les migrants, des Russes qui vivaient dans les Républiques d'Asie centrale de l'ex-URSS et se sont installés en Russie. Certains russes qui vivaient dans les états baltes ont fait de même (en 1989, 25 millions de Russes vivaient dans les Républiques non russes de l'ancienne URSS.Ont également migré des populations de ces ex-République afin de fuir des conflits comme un certain nombre de Tadjiks. Migrent aussi des individus pour des raisons économiques (travail): c'est le cas de nombreux Ouzbeks qui sont environ 3 millions en Russie... La Russie attire donc des migrants des anciennes Républiques soviétiques mais aussi des migrants, depuis quelques années, en provenance de Chine en Extrême Orient Russe. il faut noter qu'une partie notable des migrants sont en position d'illégalité mais les entreprises russes ont besoin de travailleurs (à relier au déclin démographique). 
  • Les migrations suscitent des réactions xénophobes de la part d'une partie de plus en plus importante des russes. Cette xénophobie est particulièrement vrai pour les migrants du Caucase ou les migrants venue du Tadjikistan et de l'Ouzbékistan. Cette xénophobie concerne également des citoyens du Daghestan ou de Tchétchénie alors qu'ils sont citoyens russes et membres de Républiques russes. Cette xénophobie est à corréler à la forte montée du nationalisme russe. Il faut savoir que la Russie, pour des raisons économiques, tente de mettre au point une politique migratoire avec des lois favorisant les migrations liées au travail même si cette immigration reste encadrée par des quotas selon les secteurs d'activité ou les régions. 

 B/ Les relations UE/Russie: entre dépendance et tensions

Pourquoi les relations UE /Russie sont difficiles et complexes? En quoi peut-on parler d'une rivalité et d'une concurrence entre puissances ? Les relations entre la Russie et l'UE sont à la fois des relations de dépendance réciproque et de défiance.Actuellement, on peut parler d'un choc des voisinages entre Russie et UE avec des relations qui ne sont pas au beau fixe à telle enseigne qu'on parle d'une nouvelle guerre froide. Entre la Russie et l'UE, il existe plusieurs sujets de crispation comme l'annexion de la Crimée, l'intervention russe dans la région ukrainienne du Donbass. Dans un ouvrage récent intitulé: Vers une nouvelle guerre froide? (2016) Jean-Robert Raviot met en évidence les visions antagonistes de la Russie et de l'Europe (et de l'Occident en général) qui sont au fondement des tensions actuelles. L'Europe et les E-U oeuvrent pour un ordre mondial global fondé sur leurs valeurs et normes alors que la Russie est restée dans une logique dite “néo-westphalienne” selon Raviot. Pour la Russie, l'ordre mondial est fondé sur des relations d'équilibre entre les états et la Russie a vocation à être un pivot de ce qu'on appelait au 19e siècle le “concert des nations”.
Mais avant d'expliciter ces relations, il faut expliciter le système mis en place par Poutine. En arrivant au pouvoir,Vladimir Poutine veut redresser l'économie russe mais aussi assurer le contrôle poltique du pays tout en voulant redonner à son pays de la puissance notamment par une réaffirmation sur la scène internationale. Il veut aussi restaurer l'ordre et l'autorité. Dans cette optique, il renoue avec le passé de l'URSS: son objectif étant de mettre en place un compromis idéologique en prenant en compte à la fois le passé soviétique et le passé tsariste en renouant avec l'église orthodoxe Ainsi, le drapeau de l'armée soviétique redevient le drapeau de l'armée russe. 
Entre 2000-2004, Poutine, pour affirmer son pouvoir, met au pas les oligarques tout en prenant le contrôle des médias. Il souhaite aussi redonner plus de poids au pouvoir central au détriment des régions composant le pays. Poutine est réélu en 2004 (71% des voix au 1er tour): il va accentuer certains axes de sa politique. Confronté aux révolutions dites de couleur dont la révolution orange d'Ukraine, le régime de Poutine s'oriente vers un renforcement du patriotisme (programme d'éducation patriotique à destination de la jeunesse) tout en promouvant la notion de “démocratie souveraine” par laquelle la Russie doit choisir une voie de développement qui ne soit pas celle de l'Occident. En 2008, Poutine ne pouvant se représenter à la présidentielle, c'est son affidé, Dmitri Medvedev qui devient président, un Medvedev qui nomme Poutine comme 1er ministre.
En 2012, après la parenthèse Medvedev, Poutine est à nouveau élu président: depuis 2012, on assiste à un nouveau tournant de plus en plus conservateur et répressif: Internet est de plus en plus contrôlé, une répression accrue à l'égard de certains opposants (procès du groupe féministe des Pussy Riots)...Poutine affirme plus nettement les valeurs chrétiennes dont il se pose en défenseur ainsi que la culture russe. Le contexte international a changé avec les interventions de la Russie en Ukraine (annexion de la Crimée) mais aussi en Syrie. La Russie s'oppose et s'affirme par rapport aux Etats-Unis et à l'Union européenne. De plus pour reprendre une expression de Florent Parmentier, Bruxelles et Moscou (sont) deux grammaires de puissance avec une UE qui est une construction voulant réussir à élaborer une intégration d'un ensemble d'états alors que la Russie est depuis longtemps un territoire immense qui ne peut être contrôlé que par un pouvoir puissant ayant la volonté de maintenir à ses marges une sphère d'influence. 
Les deux “blocs” n'ont pas la même structure ni le même projet et se heurtent au niveau de leurs voisinages respectifs. L'UE a mis au point une politique de voisinage à l'égard des états d'Europe orientale avec comme objectif vraisemblable l'adhésion à l'UE, une politique de voisinage que la Russie ne peut accepter. Il existe un fort hiatus entre la politique de voisinage de l'UE concernant des états comme l'Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan et ces états que la Russie considère comme faisant partie de ce que les Russes nomment l'étranger proche. Les crises géorgienne et ukrainienne de 2008 et 2013 ont accentué le fossé entre la Russie et l'UE avec une situation actuelle plutôt bloquée. A cela, il faut ajouter qu'au sein de l'UE, il n'y a pas de réelle unanimité concernant la politique à mener vis à vis de la Russie de Poutine. Il faut comprendre que pour la Russie, l'aire géographique privilégiée est cette Eurasie post-soviétique, cette aire qualifiée “d'étranger proche”. On peut rappeler que cette idée d'un étranger proche était déjà présente avec Boris Eltsine. 

 a/ Liens et dépendance : entre Russie et UE

En 2013, Poutine affirmait: “Nous savons que la Russie est un pays et européen et asiatique.” 

 -la dépendance énergétique: une double dépendance

  • La dépendance énergétique entre l'UE et la Russie comme nous l'avons déjà vu est réelle mais c'est, d'une certaine façon, une dépendance réciproque. Pour la Russie, l'Europe est un marché historique et fondamental. Ainsi en 2016, 81% des échanges de gaz de la Russie se sont réalisés avec l'Europe alors que l'Asie ne représente que 7% de ces échanges... Le rôle considérable joué par le pétrole et le gaz dans la politique russe conduit à penser en partie la Russie comme une “énergocratie”: le gaz et le pétrole peuvent être vus comme des “socles” de puissance. La doctrine russe de sécurité nationale adopté en 2009 a décidé de faire de l'énergie un véritable outil de puissance. C'est dans cette logique de puissance que l'état a pris le contrôle du secteur énergétique. 
  • Ainsi, le groupe privé Youkos a été démembré et les firmes Gazprom, Rosneft ou Transneft sont des firmes publiques. De manière générale, l'UE est énergétiquement dépendante (à plus de 53% de son énergie) Plus de 55%, du pétrole consommé au sein de l'UE est importé hors d'Europe: ce chiffre s'élève à plus de 67% pour le gaz. La Russie fournit le tiers du total du gaz et du pétrole consommé par l'UE: la dépendance est évidente. Cette dépendance est renforcée par une consommation de gaz par les Européens de plus en plus importante avec une production de la mer du Nord en baisse. Néanmoins, la Russie n'est pas le seul partenaire énergétique de l'UE qui a su diversifier ses sources d'approvisionnement. 
  • L'UE développe un partenariat énergétique avec les états de la mer Caspienne notamment: le projet de gazoduc Nabucco entre la Caspienne et l'Europe est un exemple: ce gazoduc passera par la Turquie ce qui est une façon de moins dépendre de la Russie. Cependant, l'harmonie ne règne au sein de l'UE puisque l'Allemagne et la Russie ont financé conjointement le projet Nord Stream passant par la mer Baltique. En plus, il existe un autre projet dit South Stream entre la Russie et l'Italie passant par la mer Noire, la Bulgarie et la Grèce: ce projet est à l'initiative de Gazprom et de la firme italienne ENI. 
  • Ce projet est abandonné depuis 2014 par la Russie (hostilité d'une grande partie des membres de l'UE) mais cet abandon ne pourrait être que temporaire. Il faut insister sur une dépendance réciproque: l'UE a besoin du gaz et du pétrole russe mais la Russie a besoin de l'argent européen en retour. On peut relever le rôle récent joué par la région arctique et son exploration gazière et pétrolière. Cette “nouvelle frontière” est l'objet de rivalités entre plusieurs états dont la Russie, le Canada, les E-U, la Norvège: le but est de parvenir à délimiter des zones d'exploitation. Cette exploitation encore virtuelle des richesses de l'Arctique peut donner un atout supplémentaire à la Russie. -mais des liens économiques et commerciaux importants Les liens économiques et commerciaux entre la Russie et l'UE sont importants et ne se limitent pas aux hydrocarbures.Jusqu'en 1991 et l'éclatement de l'URSS, les relations économiques et commerciales étaient dictées par l'idéologie soviétique. Avec le passage à l'économie de marché et la transition économique, la Russie s'est tournée vers l'Europe occidentale .Actuellement, la Russie est, après les E-U et la Chine, le 3e partenaire commercial de l'UE: celle-ci est le principal marché pour les Russes (52% de ses exportations). 
  • La Russie et l'UE sont interdépendants: ainsi entre 2004 et 2008, par exemple, le commerce entre la Russie et l'UE avait été multiplié par 2. La dépendance commerciale de la Russie est importante. L'UE est également jusqu'à la crise récente, le premier investisseur en Russie. En 2013, la Russie était devenue le 3e pays recevant le plus d'IDE et les principaux investisseurs étaient européens (Chypre à hauteur de 13% en seconde position derrière la Suisse, le Royaume-Uni pour 11% puis le Luxembourg, les Pays-Bas, la France et l'Allemagne): la dépendance est également financière. 
  • En 2019, les IDE vers la Russie étaient de plus de 32 milliards de $ (avec un stock d’IDE de 463 milliards de $). Les principaux investisseurs sont en 2019 Chypre, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Royaume-Uni. Il ne faut pas oublier l'assistance financière (2,8 milliards d'euros) apportée par l'UE à la Russie au début ds années 1990 (programme TACIS) afin qu'elle assure sa transition vers une économie de marché: plusieurs projets TACIS étaient en cours jusqu'en 2013. Jusqu'en 2014, l'UE exportait nombre de produits vers la Russie: elle était ainsi la 2e destination des exportations de viande de porc (après la Chine). Globalement, en 2020, les exportations de biens vers la Russie se sont élevées à 331 milliards de $ et les importations à 239 milliards de $. En 2020, l’UE demeure le premier client de la Russie avec plus de 136 milliards de $ d’exportations russes. 
  • L’UE demeure le 1er débouché de la Russie avec plus de 40 % des exportations russes vers l’UE et 35 % des importations russes proviennent de l’UE avec l’Allemagne comme 1er fournisseur. En 1997, un accord de partenariat et de coopération stratégique avait été signé entre la Russie et l'UE. En 1999, les états membres de l'UE ont décidé d'axes communs concernant la Russie: intégration de celle-ci dans un espace économique et social commun, meilleure coopération en particulier dans le domaine énergétique...Pour favoriser ces axes, l'UE s'appuie sur des programmes d'aide et en particulier le programme TACIS évoqué plus haut (Technical Assistance to the Commonwealth of Independant States) permettant de financer des projets. En 2005, l'UE et la Russie ont signé un accord de coopération en vue de créer un marché ouvert entre eux et de créer 4 espaces communs: un espace économique, un espace de liberté, de sécurité et de justice, un espace sécurité extérieure et un espace de recherche et d'éducation. 

 -La région de Kaliningrad, un symbole de relations possibles

  • La région de Kaliningrad (15 000 km carré pour un peu moins d'un million d'habitants et ancienne ville de Königsberg) était sous souveraineté allemande jusqu'en 1945. Après la seconde guerre mondiale, la région est rattachée à l'URSS suite aux accords de Yalta et Potsdam: sa population allemande a été contrainte à partir. Elle fait aujourd'hui partie de la Russie avec comme particularité géographique d'être séparée de la Russie par la Biélorussie et la Lituanie: elle n'est donc pas en lien géographique direct avec le territoire russe. La région possède un atout géostratégique car elle est une ouverture sur la mer Baltique: elle est peuplée à 80% de russes. 
  • Cette région a longtemps été perçue par l'UE comme une menace y compris d'ailleurs après 1991. Avec l'adhésion de la Lituanie et de la Pologne qui ont une frontière commune avec cette enclave, Kaliningrad est devenue une source d'intérêt tant pour l'UE que pour la Russie. Or, contrairement à ce que l'on aurait pu penser, la Russie et l'UE ont noué un dialogue intéressant concernant Kaliningrad. Plusieurs accords ont été signés facilitant notamment le transit de marchandises.
  •  L'UE a aidé cette enclave par le programme TACIS (40 millions d'euros entre 1991 et 2005). Il s'agit d'éviter pour l'UE que l'enclave soit source de tensions. Quant à la Russie, V.Poutine a toujours affirmé que les relations entre Kaliningrad et l'UE devaient servir d'exemple de ce que devraient être les relations entre la Russie et l'UE c'est-à- dire des relations de coopération. Toutefois, cette enclave pourrait être source de tensions puisque Poutine qui ne veut pas d'un bouclier anti-missile de l'OTAN en Europe centrale menace d'installer des missiles dans cette enclave de Kaliningrad. 

 b/ De fortes tensions génératrices de clivages qui s'accentuent

  • Depuis 2014, les tensions entre l'UE et la Russie sont évidentes: les relations se sont détériorées en particulier avec la crise ukrainienne. Des tensions étaient déjà apparues lors du conflit entre la Russie et la Géorgie en 2008. En août 2008, la Géorgie décide de mettre fin au séparatisme de l'Ossétie du Sud, région appartenant à la Géorgie. La Russie va apporter son soutien militaire à l'Ossétie: la Géorgie est agressée et vaincue. L'UE a vigoureusement protesté mais n'a pu empêcher deux provinces géorgiennes: l'Abkhazie et l'Ossétie d'être indépendantes, une indépendance sous protection russe. 
  • L'UE s'est contentée, pouvait-elle faire autrement ?,d'appeler à la fin des hostilités, de rappeler les règles du droit international à la Russie. Certes les états baltes et la Pologne ont souhaité que l'OTAN s'oppose à la politique russe mais sans effet. L'UE, par contre, n'a pas reconnu l'état de fait et la sécession des deux provinces. La crise ukrainienne, l'intervention russe en Syrie ont changé encore davantage la donne modifiant la façon dont les Européens perçoivent la Russie.
  •  En effet, jusqu' à une date récente, la Russie était surtout intervenue dans son entourage géographique immédiat. Avec les actions conduites en Syrie, la Russie confirme qu'elle est de retour sur la scène internationale et pas seulement européenne d'ailleurs. 

 -le cas de l' Ukraine: un symbole des divergences entre Russie et UE 

  • Le cas de l'Ukraine est un cas intéressant.L'Ukraine est perçue par les Russes comme le berceau historique de la Russie et de plus les Russes n'ont jamais vraiment considéré l'Ukraine comme une nation. En 2010, Viktor Ianoukovitch, un pro-russe accède à la présidence de l'Ukraine et cette accession est vue comme une bonne chose par la Russie surtout après ce qui a été vécu par les Russes comme une humiliation à savoir la “révolution orange” de 2004. Il s'inscrit aussi dans la politique de voisinage de l'UE à l'égard de l'Europe orientale: une politique que la Russie rejette. L'UE souhaitait faire de l'Ukraine dans un premier temps un partenaire.
  •  Le partenariat oriental voulu par l'UE (depuis 2009) concerne l'Ukraine mais aussi la Biélorussie, la Moldavie et des états du Caucase. L'UE et l'Ukraine avaient décidé d'approfondir leurs relations par un accord d'association visant à mieux intégrer l'Ukraine comme partenaire économique. Les états baltes, la Pologne avaient poussé fortement en faveur du Partenariat oriental mais aussi en faveur de la signature d'un accord d'Association individuel entre l'UE et l'Ukraine (également avec la Moldavie et la Géorgie). Ce traité comportait notamment un accord de libre échange auquel la Russie s'opposait craigant une remise en question des accords signés avec l'Ukraine dans le cadre de la CEI. Le président ukrainien Ianoukovitch est donc pris entre deux “feux”. L'accord d'association est finalement annulé en 2013, le 21 novembre, par V. Ianoukovitch ce qui a provoqué les événements ukrainiens et le changement de gouvernement et de président. Le 24 novembre d'importantes manifestations se déroulent à Kiev notamment sur la place de l'indépendance (place Maïdan), des manifestations voulues par les Ukrainiens pro-européens. Cette manifestation est fortement réprimée et la contestation s'amplifie. Ianoukovitch reçoit l'appui de Moscou dont une aide en février 2014 de 2 milliards de $. 
  • Fin février, avec l'aide de l'UE, des négociations ont lieu entre Ianoukovitch et des représentants de l'opposition et aboutissent à un accord prévoyant des élections anticipées ainsi qu'une réforme de la Constitution. Le 22 février , Ianoukovitch s'enfuit d'Ukraine pour gagner la Russie et il est destitué. Ce changement a provoqué la réactivation des relations UE -Ukraine et certains chapitres de l'accord d'association ont été signés. Mais cette politique de voisinage se heurte à la politique russe qui considère que l'Ukraine fait partie de son environnement proche. La Russie a donc soutenu les séparatismes de l'Est de l'Ukraine (région du Donbass) et de la Crimée (la Crimée est composée d'une majorité de russophones à 58 % + 24% d'Ukrainiens + 12% de Tatars... ). Fin février 2014, des troupes russes sont intervenues en Crimée et en mars un référendum organisé en Crimée a permis le rattachement de cette région à la Russie. L'annexion de la Crimée le 17 mars est un coup de force majeur et même sans précédent depuis 1991 et dans le cadre d'une Russie post-soviétique. Ce coup de force n'est pas comparable à ce qui s'est passé en 2008 avec l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud puisque ces deux régions avaient proclamé leur indépendance dès 1991-92 après l'éclatement de l'URSS et, de plus, c'est le président géorgien, M Saakachvili qui est à l'origine directe du conflit en question. Dans le cas de la Crimée, cette région était jusqu'au 17 mars partie intégrante de l'Ukraine. On sait, par contre, que cette annexion n'était pas préméditée mais s'inscrit dans le cadre des événements ukrainiens.
  •  Pour le spécialiste de sciences politiques canadien Jacques Lévesque (revue diplomatie de 2014), il s'agit d'un “revanchisme” avec le rôle clé joué par l'histoire notamment par l'histoire récente. En effet, nous en reparlerons ultérieurement, dans les années 1990, la Russie issue de l'éclatement de l'URSS avait accepté (avait-elle d'ailleurs d'autres choix?) le nouveau jeu international, un jeu dont les règles émanaient des E-U et de leurs alliés européens. Or, progressivement et surtout avec l'arrivée au pouvoir de Poutine, la Russie a perçu les choses différemment: le jeu international allait à l'encontre de ses intérêts avec des Occidentaux qui ne comprenaient pas l'importance accordée par la Russie à son étranger proche. On peut à cet égard rappeler quelques faits intéressants.
  •  En janvier 1994, dans la région autonome de Crimée appartenant à l'Ukraine, des élections ont lieu: est élu président de cette région Iouri Mechkov (il est élu avec 73% des suffrages). Or Mechkov est élu sur un programme dans lequel il évoque un possible rattachement avec la Russie (il avait même promis un référendum sur ce sujet). Mechkov n' a pas eu le soutien de la Russie d'Eltsine: les Russes lui ont conseillé d'organiser un référendum sur une autonomie accrue de la Crimée et non sur un autre point afin qu'il n'y ait pas de problème avec l'Ukraine (Celle-ci appartenait à la CEI et les accords de Minsk qui avaient fondé la CEI reconnaissaient l'intangibilité des frontières. De chaque membre) ainsi qu'avec les E-U et l'UE. Lors du référendum sur une plus grande autonomie, plus de 78% des citoyens de Crimée approuvent (82% ont même approuvé l'idée que les citoyens de Crimée puissent avoir la double nationalité: russe et ukrainienne. Président ukrainien de l'époque, Leonid Koutchma décida que le référendum était illégal sans que la Russie ne bouge. Lors de la Révolution orange de 2004 qui avait permis l'éviction de Viktor Ianoukovitch au profit de Victor Iouchtchenko, la Russie s'est sentie lésée car Poutine soutenait Ianoukovitch: la Russie a réagi par “l'arme du gaz” avec la fin des prix préférentiels accordés à l'Ukraine concernant le gaz naturel. 
  • Un même processus a eu lieu dans l'Est ukrainien avec les proclamation en mai des Républiques “autoproclamées et populaires de Donetsk et de Lougansk”, républiques reconnues par Moscou. Poutine pousse à la sécession de l'Est de l'Ukraine. L'UE a réagi par une série de sanctions sur des personnes et des programmes de coopération dans un premier temps puis sur des secteurs économiques. Depuis la situation reste confuse avec une guerre civile plus ou moins larvée. La crise ukrainienne et le déploiement prévu de nouvelles forces de l'OTAN dans les pays baltes mais aussi en Pologne accroissent les tensions. L'Ukraine montre les divergences entre l'UE et la Russie: cette dernière considère que l'Ukraine fait partie de sa zone d'influence donc elle ne peut adhérer à l'UE et à l'OTAN alors que l'UE s'imaginait une ouverture possible vers cette Europe orientale. Ainsi, au niveau de la Crimée et de l'est de l'Ukraine (région du Donbass), les positions de l'UE et de la Russie ne sont pas conciliables. 
  • De façon plus générale, on peut s'interroger si il existe une porte de sortie dans les tensions au sujet de l'Ukraine. Certes ont été signés en février 2015 les accords de Minsk II (Russie, Allemagne, France et Ukraine) mais ils n'ont pas été mis en oeuvre. Ces accords prévoyaient notamment pour les régions sécessionnistes l'octroi d'un statut d'autonomie, statut devant être reconnu par la Constitution ukrainienne ce que l'Ukraine peut difficilement accepté. De plus le cessez-le-feu entre les belligérants n'est pas toujours respecté. Les tensions persistent aussi dans les discours: pour les autorités ukrainiennes, les rebelles du Donbass sont des “terroristes” ce qui d'ailleurs évite d'évoquer une guerre civile. Il faut ajouter la persistance des sanctions à l'encontre de la Russie, sanctions renouvelées en juin 2017. La situation paraît donc bloquée. 

- des stratégies différenciées pour des tensions toujours plus importantes ou des perspectives de rapprochement ? 

  • Les stratégies de l'UE mais aussi celle des Etats-Unis et de la Russie sont différenciées. La Russie entend préserver son influence sur ce qu'elle appelle son étranger proche que ce soit l'Europe orientale, les états du Caucase ou ceux d'Asie centrale soit ce qui correspond peu ou prou à l'ex- URSS. La Russie entend contrôler une grande partie de l'espace anciennement soviétique. La stratégie russe est une “stratégie impériale” s'inscrivant dans une histoire russe ancienne depuis les Tsars. 
  • Parallèlement, la Russie était inquiète du rôle de plus en plus important que l'UE jouait dans l'ancienne zone d'influence soviétique finissant par considérer cette influence comme une menace. Dans cette optique de contrôle, la Russie instrumentalise un certain nombre de conflits. Inversement, l'UE pense que tout pays européen a vocation à intégrer à plus ou moins long terme l'UE d'où les tensions entre la Russie et l'UE. On doit également faire remarquer que les membres de l'UE n'ont pas tous la même approche de la Russie ce qui rend les relations encore plus complexe et permet à la Russie de jouer sur ces différences. Ainsi, l'Allemagne a toujours cherché à développer des relations cordiales avec la Russie se posant notamment en médiateur à chaque période de tensions. 
  • Par contre, les états de l'Est européen comme la Pologne ou les états baltes ont une perception plus négative de la Russie: une perception s'expliquant par la période de la guerre froide pendant laquelle ces états furent contre leur gré dans l'orbite soviétique. Le rapprochement apparent entre la Russie d'une part et l'UE (plus les E-U) d'autre part à partir de 1991-92 repose sur un malentendu (une “méprise” pour Jean Radvanyi) Le rapprochement était superficiel car même si les Occidentaux ont encouragé les réformes de Boris Eltsine, ils pensent que le contexte d'une Russie affaiblie doit leur permettre de peser encore plus sur l'Europe orientale et l'ancienne sphère d'influence soviétique. Inversement, les Russes, surtout avec Poutine, n'ont pas l'intention d'abandonner leur influence sur ce que le Kremlin nomme “l'étranger proche”. C'est dans cette optique que Boris Eltsine avait voulu la création de la CEI (Communauté des états indépendants). 
  • Si les dirigeants russes admettaient l'adhésion à l'Union européenne notamment des états baltes, ils étaient bien plus réticents à une adhésion à l' OTAN: l'élargissement de l'OTAN aux pays d'Europe de l'Est est un point fort d'achoppement entre la Russie et les Occidentaux. Rappelons que dès 1994, l'OTAN avait lancé son Partenariat pour la paix puis les Européens ont lancé d'abord une “politique de voisinage” en 2004 avec les pays d'Europe orientale avant de lancer un Partenariat oriental en 2009. Certes, la Russie adhère en 1994 au Partenariat pour la paix ainsi qu'au Conseil de l'Europe en 1996 tout en ayant un rôle dans le cadre de l'Organisation de la sécurité et de la coopération en Europe (OSCE) et en acceptant la création d'un conseil conjoint Russie-OTAN en 1997 mais elle ne peut accepter à un moment donné une trop forte présence et influence des Occidentaux à proximité de son environnement proche. Avec les adhésions des états baltes à l'OTAN, cette dernière se trouve aux yeux des Russes trop proche de la Russie notamment de Saint-Pétersbourg. Avec un mer Baltique considérée comme un enjeu stratégique pour la Russie (40% du commerce russe transite par la Baltique) Inversement, il faut mettre l'accent sur le fait qu'une partie de la politique extérieure russe, et ce dès la période Eltsine ont inquiété les Occidentaux les poussant à être plus présent en Europe orientale. 
  • En effet, la Russie instrumentalise des tensions et des mouvements sécessionnistes que ce soit en Transnistrie (Moldavie), en Géorgie (Ossétie du Sud, Abkhazie) ou encore en Crimée bien avant son annexion en 2014. La brutale intervention de la Russie à partir de 1993-94 en Tchétchénie alors que cette région russe demande son indépendance renforce l'inquiétude occidentale. Les Américains réagissent en 1997 en créant une organisation composé de la Géorgie, de l'Ukraine, de la Moldavie et de l'Azerbaïdjan (le GUAM), une organisation peu utile et efficace. On peut aussi souligner l'existence au sein des états de l'UE d'un clivage entre des états plutôt russophiles comme l'est l'Allemagne et des états russophobes comme les états baltes ou la Pologne, une russophobie s'expliquant par l'histoire notamment celle de la guerre froide. Pour ces derniers, la Russie représente une menace réelle et directe. On peut néanmoins rappeler que pour la Russie de Poutine l'UE en tant que telle ne représente pas une réelle menace n'ayant pas d'armée commune ni d'ailleurs une réelle politique étrangère partagée. Ce qui inquiète la Russie est davantage l'OTAN. Parallèlement, la stratégie russe par rapport à l'étranger proche n'est pas une franche réussite. 
  •  C'était déjà le cas avec la CEI voulue par Eltsine: une Communauté des états indépendants proposée en 1991 à tous les anciennes républiques de l'URSS devenues indépendantes. Il faut savoir que d'emblée, les états baltes rejettent cette CEI. L'accord fondant la CEI permet à ses membres de se conformer à l'intangibilité de leurs frontières (les états s'engagent aussi à respecter l'intégrité de leurs territoires respectifs). Mais cette CEI n'a jamais bien fonctionné. Plusieurs accords mis au point dans le cadre de la CEI entre 1992 et 1999 n'ont pas été signés par tous les états membres. Les années 2000 sont marquées par de nouvelles tensions avec les révolutions de couleurs notamment la “révolution des roses” en 2003-2004 en Géorgie permettant l'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Saakachvili, un homme à la fois très libéral et surtout pro-occidentale et la révolution “orange” en Ukraine amenant au pouvoir un président V. Iouchtchenko lui aussi pro-occidental. Pour la Russie, ces changements sont vus négativement: les Russes voient derrière ces événements la main des Etats-Unis. 
  • Par rapport à ces changements, la Russie réagit par des pressions économiques dont les “guerres du gaz” avec l'Ukraine témoignent (première crise en 2005-2006 lorsque Gazprom n'alimente plus les gazoducs ukrainiens suite à un désaccord sur les prix de transit du gaz russe vers l'Europe. Plus grave est le cas de la Géorgie déjà évoqué. Le président Saakachvili a non seulement entrepris des réformes libérales vues très favorablement par les Occidentaux mais il tient un discours de plus en plus anti- russe et les tensions s'accroissent entre le pouvoir géorgien et les deux régions sécessionnistes que sont l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie soutenues par la Russie. Le 8 août 2008, le président géorgien lance une opération militaire contre les régions en question ce qui provoque l'intervention de la Russie.
  •  L'Abkhazie (60% du budget de cette région provient d'aides russe) et l'Ossétie du Sud avec l'aide russe se détachent ainsi de la Géorgie: L'intervention russe est un non respect des accords de Minsk ayant fondé la CEI. Il faut souligner qu'aucun des autres états membres de la CEI ne reconnaît l'indépendance de l'Ossétie et de l'Abkhazie: une indépendance seulement reconnue par la Russie: la CEI est devenue une coquille vide. Il faut rappeler qu'en 1990 alors que l'URSS n'est pas encore dissoute, la République autonome d'Abkhazie, une République de 8 643 km carré et 240 000 habitants, avait déclaré sa souveraineté par rapport à la Géorgie soviétique et l'Ossétie du Sud fait de même. En octobre 2015, le président d'Ossétie du Sud, Leonid Tibilov a annoncé un référendum sur le rattachement de l'Ossétie du Sud à la Russie dans un avenir proche. De façon générale, l'Abkhazie, l'Ossétie du Sud et la Transnistrie sont considérés comme des territoires devant être sous influence russe. Ces régions sécessionnistes ont reçu et reçoivent toujours l'appui de la Russie qui se sert d'elles contre les pouvoirs en place. 
  • En 1992, la Transnistrie est en conflit avec la Moldavie et l'armée moldave suite à sa déclaration d'indépendance en 1991 mais l'intervention russe fait la différence. La Transnistrie est un territoire historiquement plutôt, lié à l'Ukraine qui n'a pas appartenu à la principauté de Moldavie, une principauté de 1359 à 1859 avec une population roumanophone, une principauté convoitée dans son histoire tant par la Russie que l'Empire Ottoman ou austro-hongrois. Par contre quand la Russie devient communiste, la Transnistrie fait partie de la République socialiste soviétique autonome de Moldavie en 1924 au sein de la République d'Ukraine. En 1940, cette république autonome de Moldavie devient un des 15 Républiques de l'URSS. La Transnistrie est un territoire de dimension réduite de 4 163 km carré de 500 000 habitants seulement ( la plupart russes ou ukrainiens) qui sans l'appui de la Russie ne pourrait être viable. Elle est reconnue seulement par la l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud (la Russie ne la reconnaît pas encore) sous le nom de République moldave de Dniestr avec comme capitale Tiraspol. Actuellement, pour cette région on parle de conflit gelé avec des soldats russes toujours présents évitant que la Moldavie ne rejoigne l'OTAN (et l'UE). 
  • En 2006, la République a organisé un référendum d'autodétermination (97% de oui à l'indépendance) et en 2014 par un autre référendum, les électeurs ont tranché en faveur d'un rattachement à la Russie. En 2015, des dirigeants moldaves ont émis l'hypothèse d'un tel rattachement à condition de pouvoir intégrer l'UE. On peut donc affirmer que les frontières de l'actuelle Russie ne sont pas totalement formées avec des zones étant devenues des “zones grises” comme le Donbass, la Transnistrie... Cela a été évoqué brièvement et rentre en ligne de compte dans les relations UE-Russie sont les différences d'attitudes et de perception entre les différents états de l'UE au sujet de la Russie. L'Allemagne, par exemple, tente toujours de maintenir un niveau acceptable de relations avec la Russie. Il est vrai que l'Allemagne et la Russie sont deux partenaires commerciaux importants puisqu'en 2013, l'Allemagne était le second fournisseur de la Russie derrière la Chine avec 38 milliards de $, un chiffre qui est tombé à 20 milliards en 2015 (effet des sanctions contre la Russie). Il faut savoir que l'Allemagne importe beaucoup de gaz de Russie et a grandement participé au financement du gazoduc North Stream qui permet d'acheminer par la mer Baltique 55 milliards de m cube de gaz de Russie en Allemagne sans passer par la Pologne ou l'Ukraine.
  •  La société russe Gazprom souhaite le doublement du North Stream et dans cette optique a trouvé des partenaires occidentaux que sont les groupes allemands EoN et BASF mais aussi le groupe français Engie et la Royal Dutch Shell): ce North Stream 2 permettrait d'exporter 110 milliards de m cube de gaz soit à peu de choses près l'équivalent des exportations de gaz russe vers l'Europe de l'Ouest. La France est moins dépendante de la Russie notamment au niveau du gaz (environ 16% du gaz importé en France est russe) ce qui permet à la France d'être plus critique à l'égard de la Russie que l'Allemagne. De même en Europe centrale, des états comme la république tchèque, la Slovaquie ou la Hongrie sont peu favorables aux sanctions contre la Russie étant notamment très dépendants à l'égard du gaz russe (10% pour la République Tchèque et la Slovaquie, 50% pour la Hongrie). Inversement, les états baltes perçoivent la Russie comme un réel danger: ils se considèrent sur la ligne de front face à la grande Russie. La crainte est bien entendu liée à une histoire mouvementée puisque ces états baltes devenus indépendants en 1919 ont été annexés par l'URSS de Staline en 1994 et ont été soviétiques jusqu'en 1991. De plus, ces états ont des minorités russes (35% pour l'Estonie et 42% pour la Lettonie en 1991). Les Russes des états baltes sont environ 1 million et en tant que minorité est perçue comme un danger potentiel sachant qu'ils n'ont pas obtenu de façon automatique la citoyenneté des pays en question. 
  • Pour devenir letton ou estonien, les Russes doivent passer une série de tests difficiles concernant la langue, les institutions ou encore l'histoire. De ce fait toujours en 2016, des milliers de Russes sont privés de citoyenneté. En 2012, la Russie a même développé un programme de rapatriement de russes des pays baltes (10 000 familles). L'entrée dans l'OTAN des états baltes en 2004 a été pour eux un soulagement mais ils ont toujours une forte crainte de la Russie. Un état comme la Pologne est dans la même logique exigeant une politique plus dure de l'UE à l'égard de la Russie. On peut donc voir que les états de l'UE n'ont pas le même positionnement par rapport à la Russie n'ayant pas la même histoire avec ce pays ni le même positionnement géographique. 

 Bilan:

  • La Russie: une intégration possible à l'UE ou un rival géopolitique permanent ? Dans les années 1990, la situation de la Russie était particulièrement délicate avec l'éclatement de l'URSS et un pays complètement reconfiguré dont le territoire était réduit notamment en comparaison de l'Empire des Tsars d'avant 1914, une reconfiguration qui a ébranlé les Russes et leurs dirigeants. Il faut rappeler que dans ce contexte d'éclatement, les Russes pensaient que la Russie elle-même pouvait éclater avec les revendications indépendantistes diverses comme celle de la Tchétchénie par exemple. A cette inquiétude géopolitique se greffait une inquiétude économique avec un pays transformé par le passage à l'économie de marché sans oublier l'inquiétude du déclin démographique. Depuis le début des années 2000, Vladimir Poutine entend redresser la Russie pour en faire à nouveau une puissance respectée à tel enseigne qu'on peut peut être parler d'une renaissance d'une vieille puissance. 
  • Avec la fin de la guerre froide, la Russie avait été associé par les Européens et les Américains à collaborer. La Russie avait ainsi rejoint le G7 devenant de ce fait le G8 mais aussi l'OMC un peu plus tard (en 2012). En contrepartie d l'adhésion à l'OTAN des pays d'Europe de l'Est, l'OTAN et la Russie ont signé l'Acte fondateur OTAN-Russie et la mise en place d'un conseil conjoint en 1997. Dans le même ordre d'idée, l'UE et la Russie ont signé un accord de partenariat et de coopération en 1994 et entrant en application en 1997 (des sommets et rencontres biannuels sont prévus...). 
  • Mais avec les événements d'Ukraine et de Crimée, la situation a profondément changé avec des sanctions occidentales contre la Russie laissant apparaître un climat proche de celui de la guerre froide. La Russie est-elle condamnée à être un rival permanent de l'UE? On pourrait imaginer inversement une intégration future à l'UE: une UE qui irait jusqu'aux frontières de la Chine. A priori, les chances que la Russie intègre l'UE sont très minimes. 
  • La Russie n'a d'ailleurs jamais souhaité adhérer à l'UE. Sa politique montre même l'inverse: la création de la CEI en 1991, l'Union douanière en 2008 entre elle, le Kazhkstan et la Biélorussie tout comme le projet d'Union eurasiatique vont dans un autre sens. La seule possibilité entre l'UE et la Russie est en fait d'améliorer leurs relations: envisager autre chose est plus que difficile. Comme le rappelle Jean-Robert Raviot la Russie mène surtout une “politique post-impériale” à savoir la volonté de conserver son influence dans les anciennes républiques soviétiques. La Russie ne semble pas conduire une politique impériale et de ce fait la Russie est pour l'UE un partenaire stratégique certes difficile mais un partenaire...
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